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Moyen Orient et Monde - Le point

Président par accident

Ainsi donc, tout le monde aurait eu tout faux et sur toute la ligne. Une confrontation avec l’armée ? Les premiers mots du président élu ont été pour l’institution militaire, à laquelle il porte « un amour dont Dieu seul connaît l’étendue », le maréchal Hussein Tantaoui se dépêchant de lui adresser de chaleureuses félicitations qui semblent n’avoir suscité aucun étonnement, même poli. Les coptes en danger, poussés vers l’exode en masse, menacés d’extermination ? Paroles de Mohammad Morsi : « Nous autres Égyptiens, musulmans et chrétiens, sommes des bâtisseurs ; ensemble nous allons lutter contre les conspirateurs qui veulent porter atteinte à notre unité. » Et encore : « Nous sommes tous égaux en droits, nous avons tous des devoirs envers notre patrie. » La guerre contre Israël aux portes ? Le successeur de Hosni Moubarak vient de s’engager à respecter les accords internationaux conclus par le passé, ce qui ne devrait pas manquer de rassurer Benjamin Netanyahu et les siens, toujours prompts à appeler leurs concitoyens à demeurer vigilants.


Il y a dans toutes ces protestations de bonne foi de quoi rassurer les plus pessimistes. Ces méchants Ikhwane, que l’on nous peignait volontiers la bave aux lèvres et le yatagan au poing, se révèlent être de douces brebis au cœur rempli d’un amour sincère pour le genre humain. Il n’y aurait rien à craindre, à court comme à moyen, peut-être même à long terme, et le pays du Nil, enfin débarrassé d’une dictature vieille de soixante ans, peut se consacrer à construire une démocratie digne du XXIe siècle.


Profil de ce cinquième président : non seulement ce n’est pas un militaire, mais c’est aussi un homme profondément croyant et qui a effectué de fréquents séjours en prison sous le régime précédent. La rhétorique antioccidentale en cours dans les rangs des Frères musulmans ne doit pas faire oublier qu’il a fait une partie de ses études d’ingénieur à l’Université de la Californie du Sud et que deux de ses cinq enfants sont porteurs de passeports américains. La sinuosité de son parcours, de son discours aussi – ardent défenseur des valeurs les plus strictes de la religion un jour, proche des libéraux le lendemain –, n’en finit pas d’étonner certains.


Si le clash entre les Frères musulmans et le Conseil suprême des forces armées, donné comme inévitable, n’a pas eu lieu, grâce notamment à la proclamation des résultats du scrutin, c’est que, à en croire certains, des arrangements sont intervenus entre les deux parties, sur la forme, sinon sur le fond. Avec cependant quelques couacs à venir, tel celui du traditionnel serment, le nouveau chef de l’État se disant déterminé à se prêter à cette cérémonie devant l’Assemblée du peuple et non pas devant le CSFA. Pour le reste, les héritiers de Hassan el-Banna donnent l’impression d’avoir remisé au placard les propos enflammés de l’ère passée. Au refus de voir un chrétien ou une femme accéder à la plus haute magistrature a succédé une vague promesse d’en nommer à la vice-présidence. Aucune indication par contre sur une éventuelle interdiction de la vente d’alcool ou sur l’obligation du port du voile. Aujourd’hui, les premières priorités ont noms le rétablissement du Parlement, dissous la semaine dernière, la suppression de certaines prérogatives que les généraux s’étaient octroyées, le rétablissement de la sécurité, la relance du secteur touristique à l’arrêt depuis des mois, le redémarrage de l’économie, le renflouement des caisses de l’État, le retour des militaires dans leurs casernes. Autant de chantiers qui nécessitent l’aval de deux hommes : le maréchal Tantaoui et Mohammad Badih, le guide de la confrérie. On pourrait ajouter à cette courte liste le nom de Kheirat al-Chater, éphémère candidat à la présidence, scratché pour une obscure condamnation beaucoup plus politique que criminelle, proche des États-Unis et toujours considéré comme l’éminence grise du mouvement. Islamiste pur sucre donc, mais millionnaire (l’un n’empêchant pas l’autre), défenseur de l’économie de marché – une règle devenue aussi celle de Morsi. Pragmatique surtout, un maître mot dans la novlangue qui semble, de nos jours, dicter la conduite des Frères et qui devrait bien vite donner du fil à retordre aux exégètes de leur pensée.


Les laissés-pour-compte de la révolution apprécieront (ou non) le slalom qui s’annonce, fait de rares fidélités et de nombreuses promesses non tenues. Cela s’appelle, suivant le côté de ces Pyrénées chères à Pascal où l’on se situe, des révisions déchirantes ou des renoncements. À en juger par les résultats observés jusque-là, cela a fort bien réussi aux nouveaux détenteurs du pouvoir.


Jules Renard : « De certains qui ont réussi, on dit qu’ils sont arrivés. Oui, mais dans quel état... »

Ainsi donc, tout le monde aurait eu tout faux et sur toute la ligne. Une confrontation avec l’armée ? Les premiers mots du président élu ont été pour l’institution militaire, à laquelle il porte « un amour dont Dieu seul connaît l’étendue », le maréchal Hussein Tantaoui se dépêchant de lui adresser de chaleureuses félicitations qui semblent n’avoir suscité...

commentaires (1)

Excusez-moi, Cher Monsieur Christian Merville, mais je dirais plutôt : Président plannifié, agréé par l'Aigle doré, et issu de durs marchandages... Merci, et bonne journée.

SAKR LEBNAN

02 h 52, le 26 juin 2012

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Commentaires (1)

  • Excusez-moi, Cher Monsieur Christian Merville, mais je dirais plutôt : Président plannifié, agréé par l'Aigle doré, et issu de durs marchandages... Merci, et bonne journée.

    SAKR LEBNAN

    02 h 52, le 26 juin 2012

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