Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Le point

Printemps, es-tu là ?

Ses adversaires voient en lui, au mieux, un doux illuminé, au pire un inquiétant agitateur d’idées, incapable toutefois d’influer sur le cours des événements mondiaux. Laissons à leur jugement les uns et les autres et constatons que Jimmy Carter vient, une fois de plus, de voir juste. « Quand j’ai rencontré les dirigeants militaires, l’impression que j’ai eue c’est qu’ils voulaient avoir certains privilèges au sein du gouvernement après l’élection présidentielle », a-t-il affirmé. L’artisan des accords de Camp David de 1978 qui devaient déboucher sur le traité de paix conclu l’année suivante par Anouar Sadate et Menahem Begin est un homme d’action qui, à 87 ans, n’hésite pas à parcourir des milliers de kilomètres pour demeurer en contact avec la réalité sur le terrain. C’est de plus un homme qui connaît le Proche-Orient, une région que d’autres – qui prétendent en parler en connaissance de cause – seraient incapables de situer sur une carte d’état-major.
« Je dirais que les généraux voudraient conserver un contrôle aussi large que possible, pour aussi longtemps qu’ils le pourront, avant d’accepter les acquis de la révolution et les conséquences de l’élection présidentielle », a encore estimé, dans une interview à l’agence Reuters, l’ancien président américain, pour qui un profond bouleversement n’est pas à attendre à l’échéance du deuxième trimestre de l’année en cours.
La nouvelle est passée inaperçue ; elle n’en est pas moins significative : il y a quelques jours, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) accordait à l’État – initiative que l’on ne saurait imaginer dans un autre pays – un prêt équivalant à un milliard de dollars pour lui permettre de soutenir la monnaie nationale. On croit savoir aujourd’hui que l’institution militaire, forte de 440 000 hommes*, contrôle entre 10-15 pour cent et un tiers (les estimations varient) de l’économie nationale. Le produit intérieur brut se situant aux environs de 180 milliards de dollars, il s’agirait d’une manne représentant au bas mot 14 milliards. Pour comprendre les raisons de cette importance grandissante, il faut remonter aux années 1820, soit à l’ère de Mohammad Ali, père de l’Égypte moderne, lequel avait eu l’idée d’importer la technologie occidentale. Cent trente ans plus tard, sur l’initiative de Gamal Abdel Nasser, l’économie amorçait un tournant décisif qui la plaçait sous le contrôle de l’État, avant de se libéraliser progressivement, sous l’impulsion du successeur du raïs. Il fallut attendre l’élection de Hosni Moubarak pour voir les généraux reprendre les commandes de larges pans de la vie active. Selon la revue spécialisée Jane’s, le chapitre de la Défense absorbe annuellement 5 milliards de dollars, fournis en partie seulement par le 1,3 milliard versé par Washington. Le reste provient de sources aussi diverses qu’inattendues : usines d’huile d’olive, de lait, d’eau en bouteille, boulangeries, cimenteries, stations d’essence et raffineries, hôtels et centres touristiques. Selon des sources locales, il existerait même un partenariat pour la production de Jeeps des séries Cherokee et Wrangler. Ce fructueux business étant exempté du paiement d’impôt et de taxes diverses, on comprend que le conflit né dans la foulée du « printemps » de la place al-Tahrir soit appelé à perdurer et que, par voie de conséquence, les candidats à l’élection présidentielle de juin prochain ne se bousculent pas.
À quelques centaines de kilomètres du Caire, un autre printemps, celui de Damas, n’en finit pas de s’annoncer, sans qu’il soit possible de savoir s’il pourra ou non tenir ses promesses. Opposition désorganisée, tiédeur des rues (damascène et alépine, celle d’autres grandes villes aussi) à rejoindre la contestation, hésitations des grandes puissances à s’engager autrement qu’en belles paroles, passablement échaudées qu’elles sont par le précédent libyen, extrême complexité du tissu social et économique du pays, poigne ultrapesante – délicat euphémisme... – de l’équipe dirigeante, il y a tout cela qui explique la lenteur des progrès accomplis jusque-là par les révoltés de Homs et de Deraa. Il y a aussi le souvenir d’un passé relativement récent, ces années qui s’étalent de la fin de la Seconde Guerre mondiale à 1970, marquées par une cascade de putschs réussis ou ratés, par la plus grande confusion, quand chaque communauté possédait ses divisions militaires et que se délitait le timide semblant d’État existant.
Certes, à travers l’histoire, rares sont les exemples de révolutions ayant tourné court. Mais quelqu’un pourrait-il, ces jours-ci, fixer un délai au-delà duquel il serait loisible de parler d’échec ou de succès? Ou à tout le moins dire que le mouvement est sur la bonne voie ?

* Selon l’International Institute of Strategic Studies.
Ses adversaires voient en lui, au mieux, un doux illuminé, au pire un inquiétant agitateur d’idées, incapable toutefois d’influer sur le cours des événements mondiaux. Laissons à leur jugement les uns et les autres et constatons que Jimmy Carter vient, une fois de plus, de voir juste. « Quand j’ai rencontré les dirigeants militaires, l’impression que j’ai eue c’est...

commentaires (2)

Ce ne sont point les hommes qui mènent la révolution, c'est la révolution qui emploie les hommes.Ainsi ont été les révolutions avant 1970en Syrie et le reseront ainsi s 'il y aura vraiment un printemps proche . Antoine Sabbagha

Sabbagha Antoine

08 h 35, le 17 janvier 2012

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Ce ne sont point les hommes qui mènent la révolution, c'est la révolution qui emploie les hommes.Ainsi ont été les révolutions avant 1970en Syrie et le reseront ainsi s 'il y aura vraiment un printemps proche . Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    08 h 35, le 17 janvier 2012

  • En fait c'est peut être une autre transition qui se joue. N'est-ce pas que la Syrie se libanise tandis que le Liban se syrianise chaque jour davantage en somme un mode de gouvernance basée sur une hostilité générale?

    Beauchard Jacques

    04 h 01, le 17 janvier 2012

Retour en haut