Sur le papier, les chiffres paraissent impressionnants dans une Égypte pourtant abonnée au gigantisme : plus de 40 millions d’électeurs et 6 000 candidats représentant une cinquantaine de partis pour désigner une Assemblée de 500 membres chargés d’élaborer une nouvelle Constitution. Pour la petite histoire : pourquoi avoir choisi d’étirer la consultation sur six semaines ? Parce que la loi prévoit la présence dans chaque bureau de vote d’un magistrat et que les dignes représentants de la justice sont en nombre nettement insuffisant.
Tout le monde s’accorde à prédire sinon un raz-de-marée, à tout le moins une victoire nette et sans bavure des islamistes, al-Nour et Frères musulmans (rebaptisés pour la circonstance Parti de la liberté et de la justice) confondus. D’ailleurs, les deux formations n’épargnent aucun effort pour présenter un front uni, surtout face au Conseil suprême des forces armées, dont l’image de Big Brother bienveillant, à égale distance de tout le monde, a été sérieusement écornée après les attaques, impunies à ce jour, contre les coptes, le tabassage de manifestants, place al-Tahrir, et l’incapacité à faire respecter la loi. Résultat : sur le terrain, la cote de popularité des militaires est tombée de 86 pour cent, dans la foulée de la débâcle Moubarak, à 61 pour cent ces temps-ci. Un désamour peu fait pour décourager les galonnés puisqu’ils continuent d’aspirer à avoir la haute main sur la direction des affaires comme cela n’a jamais cessé d’être le cas depuis la révolution des Officiers libres, le 23 juillet 1952.
En prévision du jour J, islamistes purs et durs ou pseudomodérés multiplient les largesses, avec force distributions gratuites de viande, de médicaments à bas prix et offres aussi farfelues que l’accès libre à des rencontres de football. Les candidats des Ikhwane sont présents dans 65 pour cent des circonscriptions, tout comme les islamistes radicaux, soucieux de faire patte de velours dans l’espoir de rafler un maximum de sièges. Les hommes de l’ancien régime, toujours présents sur la scène, ont entrepris de leur côté de prendre un nouveau départ au sein des innombrables regroupements appelés à faire trois p’tits tours avant de passer à la trappe une fois les élections terminées... Dans le même temps, ils sont parvenus à mettre sur pied de minuscules partis, sept au total, dont il ne restera rien après le grand show en préparation. Il faut dire que, depuis, le Parti national démocrate de l’ancien raïs a été autorisé par décision de justice à prendre part au grand show populaire.
Parce que la place de l’Égypte sur la scène régionale est à la mesure de sa géographie et de son histoire, parce que les effets des bouleversements qui ont accompagné la révolution du Nil ne pouvaient que se répercuter sur l’ensemble des pays « frères », enfin parce que rien de ce qui touche ce pays ne peut laisser indifférentes les grandes puissances, ces premiers pas sur le long chemin de la démocratie sont suivis avec beaucoup d’attention, à Washington notamment. Ces trente dernières années, les Américains ont octroyé à leur protégé arabe une aide – militaire principalement – de 60 milliards de dollars. Dans les semaines à venir, le Congrès US devrait effacer une dette d’un milliard de dollars pour la transformer en aide au secteur civil.
Pour la première fois dans leur toute jeune histoire, les partis laïques se présentent en position de force, auréolés du rôle joué en février dernier dans la chute du tyran, face à des formations religieuses aux racines solidement ancrées dans les traditions du pays. Il y a tout lieu de craindre cependant qu’ils n’aient pas les reins assez solides pour espérer l’emporter. Tout au plus pourraient-ils perturber le jeu politique et donner ainsi l’occasion à l’armée de s’accrocher au pouvoir. Sous le fallacieux prétexte, refrain connu, de vouloir « éviter le chaos ».
Chris, il vit toujours dans mon coeur. Etre Libanais, c'est l'être dans son coeur et dans son âme, dans ses paroles et dans ses actes. Anastase Tsiris
14 h 41, le 17 novembre 2011