« L’intifada morale », nouvel appel du secrétariat du 14 Mars, en solidarité avec May Chidiac

Le secrétariat général du 14 Mars a organisé hier une rencontre de solidarité avec la journaliste May Chidiac, ayant récemment été l’objet d’une vile campagne de diffamation.
La rencontre n’était pas tant une réunion de solidarité avec May Chidiac qu’une rencontre visant à dénoncer la violence morale et la déliquescence du discours politique, mises une nouvelle fois en évidence par les propos orduriers à l’encontre de la journaliste. Au-delà du mouvement de solidarité avec May Chidiac, l’enjeu s’impose donc de stigmatiser le bas niveau amoral, devenu intolérable, des échanges politiques.
Cette rencontre a donc abouti hier à l’adoption d’une résolution relative à la formation d’une commission. Son rôle sera la préparation d’un séminaire visant à jeter les bases d’une éthique morale, de normes univoques et solides, appelées à dicter toute action politique, ne fût-ce qu’à un niveau minimum, celui du rejet des discours et attitudes amorales qui font fi de la dignité humaine. Il a été décidé que la commission soit formée de l’ancien député Samir Frangié, des journalistes Ali Hamadé, Michel Hajji Georgiou, Charles Jabbour et Assaad Béchara.

Azouri et « le sommeil hypnotique des partisans de Aoun »
Ils ont tour à tour prononcé des allocutions de solidarité avec une femme devenue symbole du journalisme libre et de la digne résilience, et que le député Marwan Hamadé a comparée au « papillon du 14 Mars ». S’adressant à elle, il lui a rappelé que les auteurs des attentats de 2005 « ont réveillé les souffrances ensevelies de ceux qu’ils ont assassinés et qu’ils continuent d’insulter ».
Le psychanalyste Chawki Azouri a mené sur ce point un argumentaire d’une indéniable consistance scientifique, dont l’objet est « l’attitude profondément discriminatoire du général Michel Aoun », mais surtout profondément inquiétante de ses partisans. « Dans les insultes utilisées par ces derniers, on est dans un autre registre, celui du passage du mot à la chose qu’il représente (...). Ce phénomène est propre au sommeil hypnotique où les mots prononcés par l’hypnotiseur s’incarnent dans le corps de la personne hypnotisée. Ce qui permet cette incarnation, précise Chawki Azouri, c’est la relation de sujétion totale, de servitude volontaire de la personne hypnotisée envers l’hypnotiseur. » Ce mécanisme s’applique autant entre deux personnes qu’entre une foule et son chef. « Il peut leur faire faire tout ce qu’il veut, les entraîner même au meurtre, s’il fait appel à leur instinct de survie en présentant l’objet du meurtre comme une menace (...). » S’attardant sur certaines réponses du chef du bloc du Changement et de la Réforme, lors d’un passage télévisé, après la campagne contre May Chidiac, Chawki Azouri a rappelé que ce dernier s’était présenté comme lui-même « victime d’une agression ». « S’il est donc victime d’une agression, il peut légitimement attaquer », prévient le psychanalyste, identifiant ce mécanisme à une « projection, propre à la psychose où il n’y a plus de différence entre l’intérieur et l’extérieur ». « La métaphore s’incarne, le mot devient la chose (...), cette conviction délirante est partagée. Les mots deviennent des armes », conclut Chawki Azouri.

Lorsque le message de paix est insupportable
Le journaliste Charles Jabbour a relevé à cet égard que « la division politique n’est qu’un détail devant la régression politique, la décadence des mœurs, la violence morale et la culture de la haine et du racisme ». Si les schismes politiques trouvent une solution, « la recrudescence morale au sein d’une société ne saurait se résoudre par un compromis ou un accord, mais nécessite un processus long et complexe de réhabilitation culturelle et éducationnelle, sur les valeurs des droits de l’homme ». Charles Jabbour a appelé ainsi à une « intifida de moralité », sans toutefois nier le lien étroit entre sabotage des valeurs sociales et effritement d’une démocratie « aux mains de l’occupant et à des fins clientélistes et opportunistes ».
En outre, le journaliste Sami Nader a fait remarquer que les attaques contre May Chidiac sont intervenues quelques jours seulement après la visite du pape Benoît XVI au Liban. « Non seulement ces attaques ont contrasté avec le message de respect de la dignité humaine et de culture de la paix, mais c’est comme si les démons nous avaient rattrapés, nous ôtant toute aptitude à supporter le message papal », a-t-il déploré. Il a estimé nécessaire que « les leaders politiques et avec eux les dignitaires de l’Église assument la responsabilité de leur discours de sorte à mettre fin aux dérapages ».

Le Mal, aux antipodes de la finalité humaine
Pour notre collaborateur Michel Hajji Georgiou, c’est « la violence morale » qui est la plus grave, tant elle porte « une dangereuse intention d’éliminer l’autre et de l’assassiner symboliquement, pavant la voie à la propagation de la violence matérielle ». « La décadence du discours politique qui brave les lignes de l’éthique est le signe d’un retour aux dédales du racisme et des réflexes tribaux (...) présageant presque d’une abolition de l’homme et d’un retour à l’état barbare. »
C’est dans ce cadre d’ailleurs que le président de l’Association des droits de l’homme et du droit humanitaire Waël Kheir a insisté sur « le Mal qui rejaillit à l’état brut de l’attaque outrageuse contre May Chidiac ». Ainsi, Hadi al-Amine a évoqué « une rencontre de solidarité non seulement avec May, mais avec nous-mêmes (...) afin de traverser, main dans la main, le chemin de la peur (...) à travers une introspection critique à l’égard du “moi” maladif ».
L’ancien bâtonnier Michel Lyan a rappelé que cette campagne est susceptible de poursuites judiciaires sur base du code pénal. Enfin, Antoine Courban, médecin et activiste, a résumé l’essence de l’acte de solidarité avec May Chidiac et pour la dignité humaine, corollaire de la liberté : « La paix du Liban est d’abord le respect de la dignité de l’individu (...) et cette dignité est intrinsèque et inconditionnelle, puisque la finalité de l’être humain est le fondement même des valeurs morales. »
Étaient également présents à la rencontre : les députés Nabil de Freige (représentant le leader du courant du Futur, Saad Hariri), Ahmad Fatfat, Nohad Machnouk et Jean Oghassapian, les anciens députés Samir Frangié, Farès Souhaid, Élias Atallah et Moustapha Allouche, l’ancien ministre Hassan Mneimné, ainsi que de nombreux journalistes, représentants de la société civile et personnalités indépendantes, dont notamment Élias Moukheiber, Daoud Sayegh et Michel Mecattaf.