Le choc. Pas parce que Michel Samaha est soupçonné d’avoir obéi aux ordres du docteur Bachar, soupçonné de cuisinier une mini-nouvelle guerre sectaire et confessionnelle, au Liban-Nord notamment. Finalement, avec cette hyperconstance de l’ancien député depuis une vingtaine d’années et avec ce stakhanovisme forcené dans sa défense du gang Assad, cette loyauté criminelle, si l’enquête la confirmait, n’a rien de surprenant : elle est dans l’ordre des choses. Ce n’est pas comme si les Libanais avaient découvert, par exemple, que Nawaf Moussaoui travaillait au service des États-Unis ou que, par exemple, Boutros Harb était un espion iranien. Le choc, parce que rarement le professionnalisme des FSI aura atteint pareils sommets. Le choc, parce que dans un Liban-marécage, un Liban-bananeraie, ce genre d’espoirs-fou(dre)s fait un bien féroce.
Que cela plaise ou non, Michel Samaha bénéficie jusqu’à la fin de sa garde à vue légale d’une absolue présomption d’innocence. Un énorme hic, pourtant : l’éventualité qu’un ancien élu soit tiré manu militari de son lit en pleine nuit sans que les services de renseignement n’aient des preuves en téflon tient extrêmement peu la route. Ou, plutôt, ne la tient aucunement. Surtout, ironie suprême, à l’aune d’un gouvernement où les pro-Assad sont majoritaires, d’un exécutif sans la moindre once, du moins officielle, de 14 marsisme. Surtout pour un homme qui bénéficie des soutiens tels que ceux de Michel Samaha : le fait que le président Sleiman ait indirectement démenti que son homologue syrien l’ait appelé pour intercéder en faveur du gardé à vue est un aveu clair et net. Et indiscutable.
Le choc, aussi, parce que l’affaire Samaha (re)pose impitoyablement trois problématiques cruciales.
Un : la distanciation. Cette fameuse distanciation derrière laquelle s’abritent les dirigeants libanais et que le peuple syrien pourra difficilement leur pardonner après la chute du régime baassiste à Damas. Si Michel Samaha est déféré devant le tribunal militaire, s’il est donc coupable, cela veut dire que ce régime toujours en place en Syrie, ce régime dont la barbarie prouve chaque jour une élasticité aux limites du fascisme, cherche à dynamiter le Liban et sa formule. Comment alors oser défendre encore la distanciation ? Les autorités libanaises, bien sûr, le feront. À moins d’un miracle. Elles ont, comme presque toujours, une (sale) réputation à tenir.
Deux : la notion de traîtrise à la nation. S’il est coupable, Michel Samaha (et tous ses semblables) devrait être jugé exactement comme l’aurait été un Antoine Lahd, comme aurait dû l’être Fayez Karam, comme l’ont été tous ceux qui ont collaboré avec Israël. Si les accusations lancées contre l’ancien député étaient confirmées, la Syrie de Bachar el-Assad doit immanquablement être considérée autant ennemie du Liban qu’Israël. C’est de la mathématique pure – sauf que là aussi, les autorités libanaises ne bougeront pas le petit doigt. Toujours cette obligation de réputation...
Trois : le comportement du Hezbollah. Le parti de Dieu a été jusqu’à ne pas cautionner quasi publiquement les propos de l’un de ses cadres-clés : Mohammad Raad, le soir même de l’arrestation de Michel Samaha, avait évoqué des machinations sécuritaires que nous avons longtemps expérimentées. La réaction dans les 48 heures à venir de Hassan Nasrallah ou de ses lieutenants concernant cette affaire est d’une importance énorme ; un point d’inflexion. Parce que cette réaction permettra d’apporter de substantiels éléments de réponse à une question fondamentale : jusqu’à où le Hezb, c’est-à-dire, pratiquement, l’Iran, est prêt à aller dans son soutien à Bachar el-Assad ? Jusqu’à la résurrection de la guerre civile ? Jusqu’aux 10 452 km2 entièrement brûlés ? Le Hezb a contre lui, il est vrai, le sinistre, le sanglant souvenir de mai 2008. Que fera-t-il aujourd’hui ?
Le choc. Qui pourrait être in fine salutaire. Mais ne pas se réjouir. Ne pas se réjouir de ce qui arrive à Michel Samaha. Ne pas se réjouir parce qu’il a une femme et des filles qui ne sont très probablement pas concernées par les forfaits supposés de leur époux et de leur père ; qui ne doivent pas l’être. Ne pas se réjouir parce que ce serait faire du... Michel Samaha, cet homme qui n’a jamais caché sa satisfaction, sa joie, à chaque viol des libertés et de la démocratie au Liban, à chaque infamie infligée aux jeunes, aux droits de l’homme, aux dignités par des autorités libanaises fières de ramper sous les bottes de l’occupant syrien. Ne pas se réjouir de ce qui arrive à Michel Samaha, mais se réjouir, furieusement, du talent de Wissam Hassan et de son équipe, cornaqués d’une main de maître par Achraf Rifi ; se réjouir de cet hommage posthume rendu à Wissam Eid, assassiné parce qu’il avait découvert d’énormes indices sur l’attentat Hariri. Se réjouir pour ces hommes quotidiennement insultés et méprisés par le 8 Mars, CPL et Hezb en tête, et dont l’un des principaux outils de travail restent les... données télécoms. Ces fameux datas que les différents ministres aounistes des Télécoms, Nicolas Sehnaoui en tête, confondent avec leurs biens personnels. Et qu’ils tiennent le plus jalousement du monde à garder leurs.
Se réjouir parce que l’affaire Michel Samaha est très probablement la première d’une longue, d’une interminable collection de poupées russes.
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«Se réjouir, furieusement, du talent de Wissam Hassan et de son équipe, cornaqués d’une main de maître par Achraf Rifi ; se réjouir de cet hommage posthume rendu à Wissam Eid, assassiné parce qu’il avait découvert d’énormes indices sur l’attentat Hariri. Se réjouir pour ces hommes quotidiennement insultés et méprisés par le 8 Mars, CPL et Hezb en tête, et dont l’un des principaux outils de travail restent les... données télécoms. Ces fameux datas que les différents ministres aounistes des Télécoms, Nicolas Sehnaoui en tête, confondent avec leurs biens personnels. Et qu’ils tiennent le plus jalousement du monde à garder leurs. Se réjouir parce que l’affaire Michel Samaha est très probablement la première d’une longue, d’une interminable collection de poupées russes». Se réjouir... comme écrit Ziyad Makhoul. Mais on aurait préféré ne JAMAIS avoir goûte cette REJOUISSANCE AU GOUT AMER, BIZARRE... Il y a des réjouissances tellement plus saines, plus spontanées, moins dénuées d'arrières-pensées, n'est-ce pas ? Se réjouir d'un homme que l'on pensait estimable fût descendu au niveau d'un homme de main sans scrupules ? Ce n'est pas jour de joie...
G.F.
03 h 44, le 12 août 2012