Derrière le côté chevalier à la rose sauvé par des pétales – miraculeusement, a insisté un Marwan Charbel surexcité en ce moment – et au-delà de ces couleurs un peu romanesques et extrêmement romantiques qui lui collent à la peau depuis qu’il est sorti gonflé à bloc, mi-Monte Cristo, mi-Mandela, d’un embastillement de onze ans qui aurait achevé plus d’un, ne serait-ce que mentalement, Samir Geagea a réellement échappé, en pleine semaine pascale (il n’y a pas de hasards...), à une tentative d’assassinat, préméditée et minutieusement organisée : on ne se promène pas impunément dans les bois de Meerab, surtout quand les loups y sont omniprésents et omnipotents, sans être un grand, un très grand professionnel – et le fait de n’avoir tiré que deux balles ne change rien à la donne.
Il y a eu, il y a et il y aura toujours, et c’est tant mieux, des illuminés, plus ou moins doux, plus ou moins sots, à hurler au complot, à jurer par A+B que ce sont les services de renseignements américains qui ont préparé et exécuté le 11-Septembre ou, plus prosaïquement, que c’est le chef des Forces libanaises en personne qui a orchestré cet essai nécessairement loupé. Seule la mort de Samir Geagea aurait pu convaincre ces partisans du 8 Mars aujourd’hui un peu déchaînés mais surtout furieusement pathétiques – et encore : la moitié d’entre eux aurait parié un rein qu’il s’était suicidé.
Parce que c’est toujours, pour la cible, quelle qu’elle soit, de l’or en barres, une tentative d’assassinat : on n’essaie pas d’éliminer un canasson, un looser, un politicard de troisième zone, quelqu’un d’inoffensif. L’histoire regorge de ces miraculés immédiatement auréolés, après le tir raté, conférence de presse ou pas, condamnations à la pelle ou pas, d’un halo d’intouchabilité ; immédiatement habillés d’une abaya ultime : celle du héros qui dérange, du héros pour lequel on a envie de... voter.
Les partisans du 8 Mars auraient littéralement adoré que l’un de leurs demi-dieux, Hassan Nasrallah, Nabih Berry, Michel Aoun ou Sleimane Frangié, soit ce miraculé – c’est de bonne guerre : les pro-14 Mars ont certes eu très peur, n’hésitent pas à afficher leur colère, mais ils sont fiers. Une vague sur laquelle l’animal politique absolu qu’est (devenu) Samir Geagea a immédiatement surfé, comparant, toutes proportions gardées, son aventure à celle, bien moins heureuse, de Rafic Hariri en 2005. Qu’on a tué pour l’empêcher de réaliser un raz-de-marée aux législatives de la même année.
On y est. Deux raisons peuvent justifier cette volonté d’éliminer le patron des FL – et ce dernier, tout pénétré de (sa) cosmogonie, les aime visiblement autant toutes deux. Finir de décapiter, avec la mort de Samir Geagea, un 14 Mars loin d’être en forme olympique, entre un Saad Hariri sur son île d’Elbe, un Amine Gemayel noyé dans ses tentations de Venise, et une rue sunnite outrancièrement draguée par un Nagib Mikati menacé d’hyperschizophrénie politique, est une option non négligeable à un an de législatives qui seront tout aussi cruciales que les deux qui les ont précédées. Surtout dans une optique, incontournable, d’après-Assad, quelle qu’elle soit. Deuxième hypothèse : Samir Geagea doit être puni pour avoir opéré, avec une grande intelligence, une translation capitale, décidant de passer du petit zaïm maronite libano-libanais au leader régional chrétien, fondamentalement propeuples, fondamentalement prodémocratie et prolibertés, prosunnites donc. Celui qui impose un bismillah al-rahman al-rahim libyen en pleine célébration FL, celui qui parle, à voix haute et claire, aux rebelles syriens, celui qui se rend en visite officielle dans les capitales du Golfe et sans doute bientôt à Ankara... Nul ne sait s’il y arrivera, mais il reste désormais le seul chrétien libanais capable de l’incarner. Et cela gêne. Profondément. Surtout en Syrie. Donc : ici.
En attendant, il est exigé de Chakib Cortbaoui, dont tout le monde connaît et reconnaît l’intégrité personnelle et professionnelle, et loin de toute décision politicienne et partisane, de transférer le dossier Geagea au Tribunal spécial pour le Liban. En attendant, il est exigé de Marwan Charbel, qui entre dans une année électorale toujours très compliquée mais très prestigieuse pour n’importe quel ministre de l’Intérieur, qu’il soit au moulin, au four et au comptoir : obliger son jeune collègue des Télécoms à livrer les données, toutes les données des réseaux téléphoniques, et assurer le maximum de sécurité à tous ceux qui en ont besoin. Et dont le printemps a besoin.
À commencer, bien sûr, par Walid Joumblatt, et, surtout, Achraf Rifi.
commentaires (9)
Hahahaha, je me demande qui de nous tous peut se vanter d'avoir son "gruyere" fonctionnant a plein regime!!! Joyeuses Paques a vous aussi Marie Jose et merci pour la note d'humour :)
Fady Challita
05 h 36, le 09 avril 2012