Entre stratégie électorale, sous-tendue par un appui politique discret, et concours de circonstances, disséminant une hostilité accrue des avocats pour la mainmise politicienne, Nohad Jabre a été élu nouveau bâtonnier au second tour (2 073 voix ), sur fond contrasté d’indépendance opportune et de solides affinités.
M. Jabre a mené sa campagne en tant qu’indépendant, étant effectivement le seul des trois candidats sérieux au bâtonnat à n’avoir bénéficié de l’appui officiel d’aucun camp politique.
Les deux autres, Antonio Hachem (1 623 voix au second tour), soutenu par le 8 Mars, et Nabil Toubiya, candidat du 14 Mars, auront subi les revers dus à l’appui politique affiché.
Les voix du 14 Mars
D’abord, au premier tour, à l’issue duquel ont été élus les quatre nouveaux membres du conseil du barreau, Nabil Toubiya (Parti national libéral) a été écarté, à la faveur des deux candidats au conseil de l’ordre, Georges Estéfan (Kataëb) et Pierre Hanna (Forces libanaises). Cet échec, pour beaucoup inattendu, semble lié à une mauvaise coordination au sein même du 14 Mars, sur fond d’intérêts partisans qui auraient incité leurs adhérents à des votes utiles.
Au second tour, opposant Jabre à Hachem, les votes du 14 Mars se sont déversés exclusivement en faveur du premier, effarés de toute évidence par l’appui officiel du 8 Mars pour Hachem.
Le CPL divisé
Un appui qui n’a toutefois pas empêché une mobilisation de voix aounistes en faveur de Jabre, le CPL étant dès le départ divisé entre les deux candidats. Ces derniers avaient tenté, tout au long de leur campagne, de recevoir un appui politique apte à contrebalancer le soutien du 14 Mars à Toubiya. Les comités de juristes au sein du CPL, réunis en assemblée générale il y a près d’une semaine à l’initiative de leur leader Michel Aoun, avaient exprimé par vote leur choix de soutenir Hachem. Mais l’écart minime entre les deux hommes lors de ce vote est révélateur à lui seul d’une dichotomie au sein du CPL qui se serait traduite hier, entre ceux qui soutiennent personnellement Nohad Jabre, aux relations soutenues avec le CPL, et ceux qui appuient Hachem, pour un professionnalisme dont témoignent des figures de la société civile l’entourant. Cette dichotomie n’a d’ailleurs pas manqué d’être exploitée lors des derniers jours de campagne, jusqu’aux dernières minutes précédant le second tour. Alors que des informations couraient sur un possible soutien du Hezbollah en faveur de Hachem, contraignant le CPL à s’y résigner, d’autres échos circulaient sur l’appui du mouvement Amal et du PSNS pour Jabre.
Le PSP
Ce dernier a confirmé un pareil appui, en y ajoutant par ailleurs l’appui du PSP qui aurait finalement joué en sa faveur. « Notre vote a été le vote déterminant », a estimé un responsable du PSP, Walid Sfeir. Par ailleurs, les proches de Hachem continuaient hier de rejeter fermement l’appui du Hezbollah. En tout état de cause, le parti de Dieu avait recommandé à ses partisans, par sms hier, de voter au premier tour à Hachem et à Jabre pour le bâtonnat. Il a, en fin de journée, remercié les efforts de ses partisans pour l’élection de ces deux candidats respectivement au conseil du barreau et au bâtonnat. Néanmoins, l’hypothèse du soutien du Hezbollah à Hachem pourrait expliquer la manœuvre électorale qu’aurait menée à son insu un nerf du CPL, stimulé par les députés-avocats Ibrahim Kanaan et Ziyad Assouad. Entre le premier et le second tour, alors qu’une atmosphère d’attente, indignée, étonnée, même lasse, bruitait dans la salle des pas perdus, un entretien de 30 minutes a réuni, dans les locaux de l’ordre des avocats, des représentants du CPL et les candidats Hachem et Jabre. « Nous avons tenté de trouver un compromis entre les deux », a confié Ibrahim Kanaan pour L’Orient-Le Jour, sans écarter la possibilité qu’un tel compromis ait pour finalité d’amener M. Hachem à se retirer de l’ultime face-à-face. Si le CPL a, depuis samedi, déclaré qu’il voterait aux deux candidats au premier tour, il a surtout réduit son appui à son seul candidat officiel, Hachem, au second tour. « Quand nous avons déclaré soutenir uniquement M. Hachem au premier tour, nous avions en tête un scénario incluant M. Toubiya », a affirmé M. Kanaan, insistant sur le fait que MM. Hachem et Jabre sont « les candidats du CPL, qui surpasse en force le 8 Mars au sein de l’ordre des avocats ». Un soutien démenti jusqu’au bout par les proches du nouveau bâtonnier. « Aouniste ? Nous sommes indépendants », continuait de marteler publiquement hier un proche de M. Jabre, maintenant la logique d’une campagne qui s’est articulée en partie sur la « victimisation » d’un homme, dépeint comme l’avorton du CPL.
Indépendance
Toutes ces virtuosités ont finalement amené au poste de bâtonnier un avocat actif au barreau, reconnu pour ses engagements en faveur des mouvements estudiantins sous la tutelle syrienne et dont les trois précédentes candidatures au bâtonnat auront été compensées par une victoire adroite hier. Dans une allocution prononcée immédiatement après sa victoire, M. Jabre a tenu à féliciter « les avocats pour l’ambiance démocratique ayant prévalu sur des élections libres, celles d’une élite libre et intransigeante ». Avant lui, l’ancienne batonnière Amal Haddad a rappelé l’indépendance des avocats et la souveraineté de l’ordre. « Je tiens à dire que mes deux votes dans l’urne sont blanc. » C’est d’ailleurs cette dimension de liberté qui a transcendé les déclarations de toutes les personnalités politiques venues prendre part aux élections. « Les élections de l’ordre des avocats ayant réussi à garder la tête haute sont une fête pour le Liban », a affirmé le chef du parti Kataëb, l’ancien président de la République Amine Gemayel. Pour sa part, le ministre de la Justice Chakib Cortbawi s’est rendu au siège de l’ordre des avocats, « par nostalgie, où j’ai revisité la très belle démocratie que nous enseignent les élections du barreau », a-t-il confié à L’Orient-Le jour. Si le député Nadim Gemayel a rappelé fermement « l’enjeu principalement politique des élections, puisque c’est la justice qui affronte l’injustice », les résultats des élections ont conduit à une solution médiane, où ni l’un ni l’autre camp n’a gagné. Et où le vainqueur, félicité d’ailleurs par le Premier ministre Saad Hariri hier soir par téléphone, doit ses votes aux deux...
commentaires (3)
Entre les deux mon coeur balance semble nous affirmer Nohad Jabre . Mabrouk . Nazira.A.Sabbagha
Sabbagha A. Nazira
03 h 10, le 21 novembre 2011