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Culture - Art urbain

La chèvre de monsieur Inti

Inti Castro, fidèle à ses racines ? Plus que jamais, puisque le street artist chilien a laissé son immense empreinte colorée sur une façade d’immeuble à Hamra. Une fresque aux couleurs et aux signes nourris de la culture populaire sud-américaine, qui interpelle les passants...

« Pagano » de Inti s’étale sur la façade latérale d’un immeuble de six étages à Hamra. Photo Michel Sayegh

Impossible de la rater. Elle s’étale le long d’un mur haut de six étages, elle a des couleurs vigoureuses et elle représente une scène on ne peut plus étrange. Perplexe, le passant s’arrête pour tenter de déchiffrer la scène, de deviner ce qui est représenté dans cette peinture aux dimensions inhabituellement colossales. «C’est un peintre qui vient d’Amérique du Sud, lance alors le préposé au parking adjacent, toujours heureux d’éclairer les curieux sur la nature de l’œuvre d’art qu’il côtoie depuis deux semaines. Il s’appelle Inti, vous voyez, son nom est inscrit en haut de l’immeuble. Il est resté une semaine perché sur une grue et travaillait avec application pendant des heures.» Laissant le meilleur pour la fin, le guide «improvisé» conclut sa présentation en affirmant que la peinture s’appelle Pagano et que plusieurs autres artistes étrangers sont venus dessiner sur d’autres murs de la ville.


C’est en effet dans le cadre de l’événement White Wall – dédié au graffiti et organisé par le Beirut Art Center (où se tient une exposition jusqu’au 3 novembre), la Fondation Saradar et la participation de trois curateurs: Don Karl l’Allemand, Charles Vallaud le Français et Siska le Libanais – que l’artiste Inti a été invité à s’exprimer sur ce mur jauni de Hamra.


Pendant une semaine ou 52 heures de travail, du haut de sa grue, Inti a donné un nouveau visage à ce mur: le visage de son «Pagano», ou celui d’une chèvre tenue fermement par un «Kusillo». Ce personnage rencontré au carnaval d’Oruro en Bolivie est au centre de son œuvre récente: déguisé au moyen de costumes et de masques qui assemblent des tissus de récupération aux couleurs vives et aux motifs d’inspiration préhispanique et européenne, il devient emblématique du «syncrétisme qui caractérise la culture sud-américaine». À la figure du «Kusillo», se superpose celle du «Sudaka», forgée par l’Espagne fasciste de Franco pour désigner les émigrés sud-américains : l’artiste en fait une figure poétique et, plus encore, une icône. Inti donne corps à ses personnages dans un jeu de collage graphique et les pare d’attributs symboliques forts, empruntés à l’imaginaire latino-américain, au paganisme et au christianisme qui trouvent ensemble une résonance contemporaine.


On l’aura compris, les personnages de cet artiste incarnent l’identité sud-américaine même et partent à la rencontre du monde. Sa manière de travailler s’apparente également aux coutumes sud-américaines du graffiti : de la peinture classique et du rouleau pour les trois quarts du travail, réalisant le reste seulement à la bombe aérosol.
Inti Castro vient de Valpraiso, le paradis de l’art urbain, ville qui n’a jamais mis des sanctions précises autour du graffiti. Elle est devenue ainsi un musée à ciel ouvert, le «paradis du graffiti». «C’est, à l’évidence, un cadre favorable au perfectionnement, au dépassement et à l’évolution», note l’artiste. D’ailleurs, en 2003, l’Unesco a décrété cette ville patrimoine mondial de l’humanité.


Mais au fait, que signifie «Inti»? «Cela veut dire “soleil” en quechua, la langue maternelle des hauts plateaux d’Amérique du Sud. À l’origine, le nom du dieu Soleil», indique l’artiste.
Un projet qui lui a demandé une grande préparation. «Je traite beaucoup de la religion, des armes, des thèmes compliqués pour le Liban. Alors je dois bien prendre en considération à chaque fois l’histoire et le contexte du pays», raconte Inti. À 14 ans, il est descendu pour la première fois dans la rue pour en «bomber» les murs. Depuis, la rue ne l’a pas quitté. Il se dit influencé par le Brésil qu’il découvre en 2002, par Cekis, l’un des pionniers du mouvement au Chili, ou encore par les fresques propagandistes de la BRP (Brigada Ramona Parra). Il a aussi trouvé dans la fusion d’apports étrangers et autochtones la matière d’un onirisme singulier. «Depuis quelques années, j’ai trouvé quelque chose qui m’est propre, je ne suis plus dans l’imitation», confie-t-il.


Les peintures d’Inti voyagent depuis 2008 à travers l’Europe, les États-Unis et l’Amérique du Sud, où elles s’exposent tant dans les rues que sur les cimaises. Des peintures hautes en couleur, aux innombrables détails. Depuis quelques années, l’artiste a un pied en France et l’autre sur le reste du globe. «Ma base c’est Saint-Étienne, mais le reste du temps je suis au Chili ou en voyage pour le travail.»


À 29 ans, Inti le concède: «Peindre les murs du monde entier, c’était plus qu’un rêve.» Un rêve, certes, mais aussi la volonté de porter un message. Car, sans aucune prétention, ce Chilien se veut l’ambassadeur de son continent: «Mes peintures sont le reflet de ce que je suis: un Latino. Et je veux que les gens qui les regardent s’interrogent et se rendent compte qu’il existe des choses différentes. L’apprentissage peut se faire aussi dans la rue.» Néanmoins, ce grand optimiste n’est pas toujours certain de la bonne réception de son message: «Des fois, j’ai l’impression que les gens voient en mon travail seulement quelque chose d’exotique, avec beaucoup de couleurs, quelque chose de bizarre, un point c’est tout. Peut-être faudrait-il que je rajoute des mots pour mieux porter le message.»

 

 

Pour mémoire :

Le graffiti, art de rue, miroir des villes

 

De la promotion du « Calligraffiti » par Pascal Zoghbi

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