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Lifestyle - Disparition

Patrice Chéreau, l’école du regard

Metteur en scène touche-à-tout, il avait une manière particulière de diriger les acteurs, mêlée d’intuition animale
et d’intelligence profonde des œuvres.

Patrice Chéreau dans un de ses rôles phares : Napoléon Bonaparte.  Michel Garin/AFP

Bouillonnant, éclectique et singulier, le metteur en scène français Patrice Chéreau, mort lundi à l’âge de 68 ans d’un cancer du poumon, voulait « raconter de belles histoires ou des contes de fées terrifiants », mais surtout « donner à voir » les liens secrets entre l’art et les émotions les plus intimes.
« J’ai grandi dans les pinceaux, les crayons, et j’ai dessiné très tôt », confiait ce fils d’un peintre et d’une dessinatrice pour expliquer « ce mélange qui me caractérise entre le travail sur les images et le travail avec les acteurs ». « Je ne sais raconter les choses qu’à travers moi », ajoutait-il. Avec son regard interrogateur, il était connu pour son exigence et son énorme capacité de travail. Il avait une manière particulière de diriger les acteurs, mêlée d’intuition animale et d’intelligence profonde des œuvres. Toujours en mouvement, inquiet, il leur chuchotait à l’oreille. À l’opéra, cet Européen convaincu passait du français à l’allemand ou à l’anglais, à l’italien ou à l’espagnol.
Homme secret – « je suis un solitaire, je n’aime pas me répandre » –, il avait le goût des autres : « Je pense que je suis, avec bonheur, la somme de toutes les personnes que j’ai rencontrées. » Des acteurs, bien sûr, mais aussi Richard Peduzzi, son fidèle scénographe, les auteurs Hervé Guibert, Bernard-Marie Koltès ou Hanif Kureishi, les chefs d’orchestre Pierre Boulez ou Daniel Barenboïm, le chorégraphe Thierry Thieû Niang... « Avec Patrice Chéreau, on ne fait pas, on est », disait la mezzo-soprano allemande Waltraud Meier, le comparant à une sonate de Beethoven. Le comédien Pascal Greggory confessait « beaucoup de souffrance et beaucoup d’amour », l’actrice Dominique Blanc résumait : « Il va me demander l’impossible et je ferai tout pour atteindre l’impossible. »
Né le 2 novembre 1944 à Lézigné, dans l’ouest de la France, cadet de deux garçons, Patrice Chéreau grandit à Paris. Il se passionne pour le cinéma, découvre le théâtre au lycée Louis-le-Grand. À 16 ans, il monte sur un plateau. Il n’en descendra plus. Il manifeste en 1962 contre la guerre d’Algérie, soutient Vaclav Havel à Prague fin 1979, projette La Reine Margot à Sarajevo en plein siège, fin 1994. En 2000, l’extrême droite participe au gouvernement autrichien : il boycotte le Festival de Salzbourg. Cet engagement marque ses débuts au héâtre de Sartrouville, dans la région parisienne, puis son parcours sous les auspices de Giorgio Strehler à Milan puis de Roger Planchon à Villeurbanne, près de Lyon, où La Dispute de Marivaux (1973) ou Peer Gynt d’Ibsen (1981) font date.

Vocation universelle
La rencontre avec Koltès le bouleverse : de 1982 à 1990, il crée ses pièces (Combat de nègres et de chiens, Dans la solitude des champs de coton...) au théâtre des Amandiers de Nanterre, près de Paris, jouant aussi Jean Genet ou Heiner Muller et formant une nouvelle génération d’acteurs durant huit années d’effervescence. Son Hamlet marque le Festival d’Avignon en 1988. Il s’éloigne du théâtre après la mort en 1989 de Koltès, fauché comme d’autres amis par le sida. Mais son Phèdre triomphera en 2003 et il multiplie les lectures comme Coma de Pierre Guyotat. Il ne cesse en réalité de voguer entre les plateaux, parfois comme acteur occasionnel : « Le passage d’un moyen d’expression à un autre est pour moi une nécessité. »
Un refus de se laisser enfermer qu’il revendique aussi pour son homosexualité. « J’ai vocation à être universel, à parler de tout le monde. En aucun cas mon homosexualité ne doit me cantonner à ne traiter que de sujets homosexuels », disait l’auteur de L’Homme blessé (2003).
À l’Opéra, où la Tétralogie montée avec Boulez pour le centième anniversaire du Festival de Bayreuth, en 1976, l’a rendu mondialement célèbre, il collabore avec Barenboïm (Wozzeck de Berg en 1992, Tristan et Isolde de Wagner en 2007), Daniel Harding (Cosi fan tutte de Mozart, 2005) et Boulez toujours (après Lulu de Berg en 1979, De la maison des morts de Janacek en 2007). Il a surtout un désir de cinéma, pour serrer au plus près la réalité des sentiments et des corps. Son premier film, La chair de l’orchidée, remonte à 1974 et il réalise au total dix longs métrages dont La Reine Margot (1994), primé à Cannes où il préside en 2003 le jury du festival. Mais faute d’argent il renonce en 2009 à son projet avec Al Pacino sur les derniers jours de Napoléon à Sainte-Hélène. Sa dernière mise en scène, Elektra de Richard Strauss, avait été ovationnée en juillet au Festival lyrique d’Aix-en-Provence.
L’annonce de son décès a suscité une vague d’émotion et d’hommages. Le président français, François Hollande, et la ministre française de la Culture, Aurélie Filippetti, ont salué « l’un des plus grands artistes français ». Le directeur de l’Opéra de Paris, Nicolas Joel, s’est dit « bouleversé ». Olivier Py, soutenu par Chéreau lorsqu’il avait été évincé de la direction du théâtre parisien de l’Odéon, a fait part de « son immense tristesse ». « Un maître s’est tu », a tweeté le président du Festival de Cannes, Gilles Jacob.
(Source : AFP)
Bouillonnant, éclectique et singulier, le metteur en scène français Patrice Chéreau, mort lundi à l’âge de 68 ans d’un cancer du poumon, voulait « raconter de belles histoires ou des contes de fées terrifiants », mais surtout « donner à voir » les liens secrets entre l’art et les émotions les plus intimes.« J’ai grandi dans les pinceaux, les crayons, et j’ai dessiné...

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