Il est parfois de ces battements d’ailes de papillons...
Même si les conséquences de leurs somptueuses (r)évolutions sont loin d’être à la hauteur de leurs attentes, de leurs espérances et de leurs ambitions, les peuples d’Égypte, de Libye, du Yémen et, un de ces jours, celui de Syrie, doivent beaucoup aux Tunisiens. Lesquels doivent tout à un homme : Mohammad Bouazizi. Cet homme s’était immolé par le feu à Sidi Bouzid en Tunisie. Il en est mort. C’était fin 2010, début 2011 : parfois, un gigantesque cumul d’humiliations peut soulever des montagnes ; souvent, cela mène droit à la tombe. En attendant, ce suicide a provoqué une incroyable réaction en chaîne : le départ (ou la mort) de Zine el-Abidine Ben Ali. De Hosni Moubarak. De Mouammar Kadhafi. De Ali Abdallah Saleh. Et, bientôt, mais si, de Bachar el-Assad.
Sans le savoir, sans le vouloir, Mohammad Bouazizi, âgé de 26 ans seulement, en mourant, a accouché des printemps arabes.
Deux ans et demi plus tard, au Liban cette fois, à Beyrouth, à Bir Hassan plus précisément, devant l’ambassade de la République islamique d’Iran, Hachem Salman, 28 ans, tombait sous les balles. C’était dimanche dernier : le 9 juin.
Bien sûr, tant que l’enquête n’a pas abouti et que la justice n’a pas tranché (une blague : cela ne se fera jamais...), il n’est pas très élégant ni très éthique, a priori, d’affirmer que le jeune partisan de l’Option libanaise a été assassiné par un milicien du Hezbollah. Sauf qu’entourant et menaçant et frappant les manifestants devant la chancellerie perse, il n’y avait... que le Hezb. Ou la sécurité de l’ambassade. Des pseudo-pasdaran. Les frères siamois du Hezbollah. Ni les Mourabitoun, ni le Renouveau démocratique, ni le PSP, ni le CPL, ni les FL, ni Amal, ni le PNL, ni le Tachnag. Ni personne. Juste le Hezb, tyran en son mini-État.
Groupuscule terroriste dans les années 80 (attentats contre les GI et les soldats français...) puis magnifique et noble résistance jusqu’au retrait israélien de l’an 2000 ; parti politique né sous la houlette, volontaire ou contrainte, de Rafic Hariri, puis milice abjecte responsable du mini-Anschluss de Beyrouth et de la Montagne en 2008, le Hezbollah n’est plus désormais que l’exact miroir des fondamentalistes sunnites venus d’une quarantaine de pays soutenir les rebelles syriens : un gang de mercenaires au service de Bachar el-Assad. Sauf que depuis ce 9 juin 2013, la formation de Hassan Nasrallah peut rajouter à son sordide palmarès le plus décomplexé et le plus arrogant des cannibalismes : il tue de sang-froid ses coreligionnaires.
Assassiné par ses coreligionnaires aux tee-shirts noirs parce qu’il combat leurs idées en manifestant démocratiquement, pacifiquement, sereinement, Hachem Salman ne doit pas mourir pour rien.
Mais pour cela, il n’y a pas cent et une solutions. En réalité, il n’y en a qu’une. Un printemps chiite. Un vrai. Un vrai de vrai. Rarement cette communauté fondatrice et fondamentale du Liban n’aura été à ce point un pied dans le gouffre, juste parce que le Hezbollah s’iranise jusqu’à la moelle, juste parce que ce Hezbollah a tellement (mal) manœuvré qu’il a fait des sunnites libanais les nouveaux déshérités, les nouveaux opprimés de l’islam proche-oriental, plus de 1 400 ans après les chiites. Juste parce que le Hezbollah n’admet toujours pas le primoconcept de l’État. De la démocratie. De l’égalité entre Libanais. De la justice. Juste parce que le Hezbollah perd le nord.
Un printemps chiite, urgemment. Des Mona Fayad, des Saoud el-Mawla, des Ziad Majed, des Ibrahim Chamseddine, Hanine Ghaddar, Mohammad Hussein Chamseddine, Hani Fahs, les fils de Hussein Husseini, Mohammad Hassan el-Amine, Hadi el-Amine, Ahmad el-Assaad, Riad el-Assaad, Youssef Bazzi, Ali Mohammad Hassan el-Amine, Moustapha Fahs, Nadim Koteiche, Lokman Slim et tant d’autres piaffent d’impatience. Et, de là où il est, avec toute la jeunesse, la noblesse et la détermination qui resteront les siennes, Hachem Salman sera enfin plein de ce sentiment unique au monde, celui du devoir (magnifiquement) accompli.
Il est parfois des battements d’ailes de papillons qui peuvent métamorphoser une utopie. Mathématiquement.
commentaires (4)
En espérant que le sang de tous les Libanais mort, depuis l'indépendance a ce jours, pour indépendance, la souveraineté et la dignité de ce pays et de son peuple se trouve récompensé par la libération du pays de tous les partis théocratico-nazi. C'est pas donné mais de tels guerres et pratiques les usent et ils finiront dans les poubelles de l'histoire.
Pierre Hadjigeorgiou
10 h 00, le 13 juin 2013