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Liban - Printemps arabe

Débat à Paris autour de la gouvernance démocratique dans le monde arabe

La crise du monde arabe, ses mutations institutionnelles et politiques, l’avenir des libertés publiques, individuelles et collectives, et la question des droits de l’homme et des minorités, étaient au cœur d’un colloque d’actualité organisé par la commission Paris-Beyrouth.
Sous le patronage des deux bâtonniers de l’ordre des avocats de Paris et l’ordre des avocats de Beyrouth, respectivement Christiane Feral-Schuhl, et Nouhad Jabre, un colloque intitulé « Gouvernance démocratique et droits fondamentaux dans le monde arabe » s’est tenu à Paris en présence d’un public nombreux et éclectique. Le colloque s’est articulé autour de deux ateliers introductifs, avant de culminer autour d’une table ronde extensive, en deux parties. Les conférenciers ont saisi le sujet à bras-le-corps, suscitant la réflexion autour des maux dont souffrent les sociétés arabes et les perspectives d’avenir à l’ombre des révolutions en cours.
Modéré par Me Ramzi Joreige, le premier atelier a regroupé l’ancien ministre Georges Corm, le politologue Ziad Majed et le professeur de droit, Marie-Claude Najm, pour traiter des « droits fondamentaux dans la norme et la pratique internationales ». Quant au deuxième atelier, présenté par Me Jean-Pierre Harb et modéré par Me Christian Dargham, il a réuni, pour discuter des « droits fondamentaux dans la norme et la pratique du monde arabe », le député Ghassan Moukheiber, l’écrivain Mona Fayad et le sociologue Nabil Beyhum. Les intervenants ont évoqué les questions aussi sensibles que fondamentales des droits de l’homme dans le monde arabe, de l’évolution de l’État dans le monde arabe dans la période arabe contemporaine et de la sociologie politique du monde arabe et sa compatibilité avec la gouvernance démocratique et les droits fondamentaux.
C’est en introduction à la grande table ronde que les bâtonniers Christiane Feral-Schuhl et Nouhad Jabre sont intervenus, respectivement, pour mettre en avant les liens tissés entre les deux barreaux de Paris et de Beyrouth, liens qui se sont renforcés récemment par la visite de Mme Feral-Schuhl au Liban, et par l’exécution de la convention de coopération signée entre les deux barreaux, qui s’est traduite notamment par la mise à disposition de la base de données juridiques dont bénéficie le barreau de Paris, et par l’échange de jeunes avocats et l’organisation de séminaires de formation. Mme Feral-Schuhl devait souligner l’importance de « cette très belle tradition de défense des droits de l’homme » qui est celle du barreau de Paris, et rendre hommage « aux femmes qui ont fait bouger les choses sur le plan international ».

Printemps arabe et État de droit
Modéré par Me Béchara Tarabay, le premier carrefour devait ensuite aborder la question du « rapport religion-politique dans le monde arabe », et du rôle que la religion peut avoir dans la construction de la démocratie dans le monde arabe. Mahmoud Azab, conseiller pour le dialogue du grand imam Tayeb, à l’Université d’el-Azhar au Caire, a développé la célèbre charte d’el-Azhar sur la nécessité de respecter les libertés fondamentales, parmi lesquelles la liberté de religion, d’opinion, de recherche scientifique et de créativité artistique. Il s’est longuement arrêté sur la nécessaire construction de la citoyenneté et la réémergence de la notion de patrie, qui regroupe les jeunes de différentes religions. Le père Raymond Bassil, représentant l’évêque maronite de France Nasser Gemayel, qui accompagne le patriarche Béchara Raï en Argentine, a développé, pour sa part, un véritable plaidoyer pour des rapports iréniques entre musulmans et chrétiens, sous son intitulé : « La vision chrétienne de l’État de droit et son application dans le monde arabe ». Soulignant que ce qui compte, ce n’est pas le nombre des chrétiens dans le monde arabe mais le concept de l’altérité, la manière d’accepter l’autre, il a indiqué que les chrétiens d’Orient réclament le droit à la vie, à la liberté et à la justice, trois conditions essentielles pour l’instauration de l’État de droit, et qui concernent aussi bien les chrétiens que les musulmans. Concernant le printemps arabe, le dignitaire maronite a estimé qu’il « n’est plus facile de faire marche arrière », car de sujets passifs, les gens aspirent à « devenir citoyens à part entière de leur pays, artisans de leur propre destin ». Par conséquent, « ne pas faire aboutir le printemps arabe, c’est ne pas soutenir l’islam modéré, mais livrer le Moyen-Orient au fondamentalisme, à la violence, au chaos et l’exclusion ». Il a conclu en soulignant que « l’Église œuvre pour une culture de la paix, une culture d’accueil, une culture de la convivance », et qu’il fallait « œuvrer pour une citoyenneté basée sur la foi, mais respectueuse des droits fondamentaux ». Me Carol Saba, porte-parole de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, après un bref historique de la naissance de l’État du Liban, devait développer l’idée d’une « laïcité“contextualisée” au monde arabe », estimant que « le confessionnalisme politique a atteint ses limites au Liban et menace de faire exploser l’ensemble du système ». Relevant l’ambivalence d’une démocratie libanaise « entre norme nationale et norme communautaire », il a prôné la nécessité d’un « partenariat citoyen », qui vient appuyer le partenariat de vie islamo-chrétien.
Le deuxième carrefour, intitulé : « Les défis de la gouvernance démocratique dans le monde arabe : quel État de droit et quelle citoyenneté? Le printemps arabe, perspectives et craintes », a regroupé l’ambassadeur Nassif Hitti, porte-parole de la Ligue arabe, l’ancien député libanais Samir Frangié, et Dominique Baudis, défenseur des droits en France. Dans son intervention, l’ambassadeur Hitti a estimé que ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe en matière de changements structurels constitue « la revanche d’un siècle pour rien », en référence à l’ouvrage coécrit par Ghassan Tuéni, Gérard Khoury et Jean Lacouture. Avec la fin des Républiques monarchiques, émerge le choc de la démographie et du développement, ou comment intégrer la jeunesse arabe dans le marché du travail. Usant de formules percutantes, M. Hitti a déclaré que « l’islamisme a gagné par la légitimité de la souffrance », mais qu’« il doit gagner par la légitimité de la gouvernance et de la compétence ». Tout en relevant que c’est la fin de toutes les idéologies en « isme », et que l’on assiste à une « retraditionnalisation des sociétés arabes », il s’est dit inquiet face à l’émergence d’une « démocratie de la procédure », et non d’une « démocratie de la culture ». Cette démocratie-là serait « celle du vote une seule fois », une démocratie exclusive. Enfin il a mis en garde contre trois dangers : que certains États basculent dans la catégorie d’État failli, assimilable à une « somalisation » de l’État ; que des régimes autoritaires se transforment en régimes semi-totalitaires, en résumé, « un passage du gris au vert » ; et que cette impasse fasse basculer certains États dans le chaos et l’anarchie.

Créer le lien entre citoyenneté et pluralisme
Prenant la parole à son tour, Samir Frangié a rappelé que « le monde arabe peine à sortir de cinq décennies de dictature » et à intégrer sa place dans l’histoire « qui se faisait sans lui ». Il a souligné que les droits fondamentaux concernent d’abord l’individu, or « celui-ci commence tout juste à émerger ». Cette émergence « bouleverse la donne car elle introduit un nouvel acteur difficile à gérer : l’opinion publique ». M. Frangié a estimé que le printemps a essentiellement deux conséquences significatives : tracer une « voie arabe » vers la démocratie, et « la redécouverte de la diversité exceptionnelle qui caractérise nos sociétés ». « Cette diversité doit être prise en considération dans l’État à bâtir », a-t-il ajouté. Le résultat en est que « notre conception du vivre ensemble en est changée ». En effet, a-t-il relevé, « le vivre ensemble ne se fonde pas sur le partage mais sur le lien que chacun doit tisser avec soi-même, à travers les diverses composantes de son identité, et avec l’autre ». C’est un lien qui reste à établir entre citoyenneté et pluralisme.
Enfin, Dominique Baudis, qui connaît bien le Liban du temps où il était journaliste, devait relever que « cette région est passée d’une période de glaciation à une période d’ébullition », rappelant qu’« il existe des principes juridiques de valeur universelle incarnés par les conventions internationales auxquelles les États arabes ont souscrit (comme la protection de l’enfance, l’égalité homme-femme, la reconnaissance des libertés publiques, la non-discrimination...). Il a expliqué la mission de défenseur des droits qui est la sienne et indiqué que la tentative de créer l’institution d’ombudsman ou médiateur de la République s’était heurtée à la problématique confessionnelle. Il s’est dit disposé à apporter sa coopération, précisant qu’il appartient aux Libanais de réfléchir sur les moyens d’avancer vers l’État de droit ».
Il faut saluer la réussite de ce colloque et l’entrain de ses organisateurs, membres de la commission Paris-Beyrouth menée par Me Tarabay, et regroupant les avocats Marianne Issa el-Khoury, Carol Saba, Roland Ziadé, Atef el-Khoury, Joumana Frangié Moukanas, Jean-Pierre Harb, Nathalie Younan et Christian Dargham, avec l’implication de Me Joe Karam, responsable des relations internationales du barreau de Beyrouth. C’est à travers des réflexions poussées de ce niveau que le Liban peut encore espérer un retour de l’État de droit.

C.D.
Sous le patronage des deux bâtonniers de l’ordre des avocats de Paris et l’ordre des avocats de Beyrouth, respectivement Christiane Feral-Schuhl, et Nouhad Jabre, un colloque intitulé « Gouvernance démocratique et droits fondamentaux dans le monde arabe » s’est tenu à Paris en présence d’un public nombreux et éclectique. Le colloque s’est articulé autour de deux...

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