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Moyen Orient et Monde - Témoignage

Quand des photographes français créent « Fuck the Pool ! »

Le directeur photo de l'AFP pour la région Mena, Patrick Baz, raconte ses péripéties durant la guerre du Golfe.

Au fil des années, Patrick Baz a vécu toutes sortes de situations, certaines loufoques, d'autres dramatiques, en couvrant des guerres à travers le monde. Capture d'écran Viméo

Patrick Baz a douze ans à peine lorsque la guerre civile libanaise éclate en 1975. Ce qui fut au départ un hobby devient une passion au fil des années. À la fin des années 1980, il commence à couvrir différents conflits, de la première intifada à l'invasion américaine en Irak en 2003. Il se rend au Kurdistan, en Somalie, à Sarajevo. Il devient ensuite directeur photo de l'AFP pour le Moyen-Orient durant les années 1990, puis directeur du bureau de Bagdad pendant la guerre en Irak 2003.
Pendant la première guerre du Golfe aussi, il était là. À l'époque toutefois, la présence de photographes de guerre n'était pas aussi bien acceptée qu'aujourd'hui. Ainsi, les Européens et les Américains avaient imposé une sorte de « pool » pour contrôler les médias. « C'est leur premier conflit après la guerre du Vietnam, et ils n'avaient aucune envie de se retrouver, comme à l'époque, avec des journalistes qui traînent partout et qui font circuler toutes sortes d'images. Ils ont donc créé ce qu'ils ont appelé des "pools", c'est-à-dire des journalistes/reporters triés sur le volet et assignés à des unités, mais sous censure. Et ils ne voulaient que la presse américaine, "embedded" avec eux, parce qu'elle était plus facile à contrôler. »
L'« embedment » n'est pas un nouveau concept. Après tout, rappelle Patrick Baz, Robert Capa avait débarqué en Normandie avec les troupes américaines en 1944. Et cela a été appliqué par la suite au Vietnam. « Donc nous étions sur place, et nous essayions de contrôler par tous les moyens ce black-out imposé par le Pentagone et qui nous posait d'énormes soucis. En effet, la concurrence qu'était Reuters, à l'époque une US corporate basée à Washington, était "embedded", tout comme Associated Press (AP), également une agence concurrente et américaine de surcroît : les deux avaient accès à tout », dit-il.

Wildcats
Et d'expliquer que l'armée française avait suivi le même concept que l'armée américaine : elle avait un photographe par unité, mais soumis à la censure. « On a donc décidé de contourner tout ça. On a loué des 4x4 qu'on a couvertes de sable, de boue, avec un V sur l'une des portes pour faire comme les alliés ; on a acheté des uniformes dans les surplus de l'armée », dit-il. « Il est nécessaire de préciser que c'est à cette période que des photographes français créent " Fuck the Pool ! " (FTP), en opposition aux pools de l'armée américaine. Comme l'expression ne peut être utilisée devant les soldats américains, raconte malicieusement M. Baz, elle est remplacée par " Wildcats " comme signe de reconnaissance entre membres de FTP. En fait, dans ce conflit-là, il y avait beaucoup d'agents de la CIA et beaucoup de forces spéciales. Quelqu'un de mal rasé, portant un uniforme mais avec un accent français ou anglais et passant dans une 4x4 couverte de boue avec le V, passait pour un membre de la CIA ou des forces spéciales. Les photographes se sont infiltrés dans les convois militaires et sont arrivés au Koweït avant tout le monde. L'AFP a fait son plus beau carton : ses images arrivaient 24 à 48h avant celles de Reuters et d'AP. Sur le marché américain, les seules images qui étaient présentes étaient celles d'une agence française. Et cela a rendu les Américains complètement fous. Par exemple, la couverture du Time magazine a une histoire à 100 % américaine... illustrée par une photo de l'AFP. Cela a été très humiliant pour eux, et, depuis, ils ont compris la leçon. »

« La vie est trop courte... »
Aller au front incognito a permis aux journalistes occidentaux de vivre toutes sortes de situations, certaines absurdes, d'autres plutôt drôles. Ainsi, l'ancien photographe de guerre se remémore la manière dont des prisonniers de l'armée irakienne se sont rendus aux journalistes, les prenant pour des soldats ennemis... « Un journaliste italien s'est par exemple retrouvé avec une trentaine de prisonniers, sans savoir quoi en faire. Il n'avait même pas de quoi leur donner à manger, ils avaient été lâchés dans le désert par l'armée irakienne », note-t-il.
« Vivre ces événements a été assez intéressant, raconte le photographe. Il y a même un photographe qui a fait copain-copain avec les Égyptiens. Tous les jours, il allait au front, là où il y avait un poste égyptien. Il est devenu ami avec le colonel en poste, il leur ramenait à manger, etc. Le jour de l'attaque, il était donc là et a fait cette fameuse photo d'un char irakien qui explose. Un autre est devenu ami avec les membres d'un barrage de la police militaire américaine. À l'époque, les GI's américains avaient ce qu'on appelle des MRE (Meals-Ready-to-Eat), qui sont des rations militaires ; celles des frenchies incluaient une petite bouteille de vin. Donc une ration française valait deux rations américaines en cas d'échange : à force de venir avec des rations françaises, on est devenus amis avec la police militaire. »
Patrick Baz raconte ces anecdotes avec humour. Mais ce ne fut plus le cas au fil des années. « Après, c'est devenu insupportable », dit-il. Quand on lui demande s'il le referait, il répond : « La vie est trop courte pour refaire la même chose. »

 

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