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Moyen Orient et Monde

Le nouveau gouvernement égyptien, si semblable à l’ancien !

Omar Achour est directeur du programme d’études supérieures du Moyen-Orient au sein de l’Institut d’études arabes et islamiques de l’université d’Exeter au Royaume-Uni et professeur invité du Centre Brookings à Doha. Il a écrit deux livres: « The De-Radicalization of Jihadists: Transforming Armed Islamist Movements » (La déradicalisation des jihadistes: transformer les mouvements armés islamistes) et « Security Sector Reform in Egypt: Dilemmas and Challenges»(La réforme du secteur de la sécurité en Egypte : dilemmes et défis),à paraître prochainement.

Par Omar Achour

Le tout premier président égyptien élu à l’issue d’une élection libre, Mohammad Morsi, membre des Frères musulmans, a nommé son premier cabinet. Et qui y trouve-t-on ? Essentiellement des membres de l’ancien régime !
Le nouveau gouvernement égyptien reflète manifestement le rapport de force entre le président et le Conseil suprême des forces armées (CSFA). Mais il traduit aussi la stratégie des Frères musulmans pour le modifier.
Parmi les 35 ministres choisis par le nouveau Premier ministre, Hisham Qandil, sept appartenaient (comme lui-même) au précédent gouvernement nommé par le CSFA. Il a attribué cinq ministères (l’Information, l’Éducation supérieure, la Jeunesse, le Travail et le Logement) au Parti de la liberté et de la justice (PLJ), le parti des Frères musulmans, et quatre autres (l’Éducation, les Affaires juridiques et parlementaires, l’Industrie et le Commerce extérieur, et surtout la Justice) à des partisans de la révolution.
Les ministères-clés (ceux de l’Intérieur et de la Défense) sont toujours contrôlés par des hommes associés à l’ancien régime. Le maréchal Hussein Tantaoui, le chef du CSFA, a conservé son poste de ministre de la Défense, et celui de l’Intérieur revient au général Ahmad Gamaleddine, responsable de la répression qui a déclenché la révolution.
Son oncle, Abdallah Gamaleddine, dirigeait le Parti national démocratique (PND) qui détenait la majorité au Parlement durant les années 2000. Son neveu était partisan d’une ligne dure lors des négociations portant sur la libération des prisonniers politiques et lors de celles destinées à mettre fin aux échauffourées en novembre 2011. Il a également été témoin de la défense lors du procès de Gizeh au cours duquel furent jugés 17 policiers accusés d’avoir tué ou blessé des manifestants en janvier 2011. Il a expliqué que ces derniers avaient agi dans le cadre de la légitime défense.
Néanmoins, Achraf el-Banna, cofondateur de la Coalition générale des officiers de police (GCPO), un mouvement réformiste, reste optimiste : « Il a été efficace en tant que vice-ministre [de l’Intérieur]... [aussi] nous nous attendons à quelques réformes. La situation au sein du ministère n’est pas tenable. » Mais d’autres, comme « Officers but Honorable Coalition », un mouvement de tendance plus révolutionnaire, accusent Gamaleddine d’appartenir à une puissante faction antiréformiste au sein du ministère, surnommée « les hommes d’el-Adly », du nom du précédent ministre de l’Intérieur Habib el-Adly.
En ce qui concerne les forces réformatrices, le ministre de l’Information, Salah Abdel Maqsoud, un dirigeant des Frères musulmans responsable des médias, va continuer à contrôler ce secteur critique à l’égard de la confrérie, ainsi que de Morsi, même après sa victoire électorale. Le nouveau ministre de la Jeunesse, Oussama Yassine, un autre responsable des Frères musulmans, était de facto le « chef de la sécurité » de la place Tahrir lors des 18 jours qui ont conduit au renversement du président Moubarak. Il appartient à « l’organisation de fer », une faction puissante dirigée par Khaïrat al-Shater, le premier vice-président (vice-guide général) des Frères musulmans. Le ministère de l’Education supérieure est revenu à Moustafa Mossad, un membre du PLJ qui était responsable du portefeuille de l’Éducation durant la campagne de Morsi. Et le ministère du Travail est revenu à Khaled el-Azhary, un membre des Frères musulmans qui était vice-président du syndicat des travailleurs et qui a été victime de brutalités policières en 2010.
Tout pourrait changer pour les Frères musulmans si le gouvernement est dissout à l’issue des prochaines élections législatives. Mais même dans ce cas, l’expérience, le savoir-faire et la connaissance des dossiers qu’ils auront acquis au gouvernement seront pour eux d’une valeur inestimable.
Les partisans de la révolution ou des islamistes sont à la tête de quatre autres ministères. Mohammad Mahsoub, un responsable du parti islamiste modéré el-Wassat qui a fait campagne en faveur du retour des fonctionnaires de l’ère Moubarak, est ministre des Affaires juridiques et parlementaires. Hatem Saleh, vice-président du Parti de la civilisation qui a rejoint la coalition des Frères musulmans lors des dernières élections, est ministre de l’Industrie et du Commerce extérieur.
Un proche des Frères musulmans, Tallat Afifi, vice-président de la commission juridique islamique pour le droit et la réforme (qui comprend plus d’une centaine de religieux et de militants réputés), dirige le ministère des Waqfs [donations religieuses]. Or ce dernier a beaucoup d’importance pour la principale institution islamique du pays, l’université al-Azhar. Enfin, Ahmad Mekki, ancien vice-président de la Cour de cassation, la plus haute instance juridique égyptienne, prend la tête du ministère de la Justice, dont le besoin de réformes est criant. C’est un partisan déclaré de l’indépendance de la justice, au point d’être surnommé « le représentant de la révolution » au sein du gouvernement Qandil.
La plupart des ministères sont entre les mains de représentants de l’ancien régime ou de technocrates sans affiliation politique reconnue. Seuls 10 ministères sur 35 sont allés à des partisans du changement, mais compte tenu des affrontements à venir entre les Frères musulmans et le CSFA, le choix de ces 10 ministères a été très habile. Ce sont des ministères influents, car ils peuvent renforcer la capacité de mobilisation des forces favorables au changement, leur donner une légitimité religieuse et faire disparaître la menace d’une répression judiciaire en renforçant leurs réseaux informels sur le terrain.
Mais le CSFA applique une stratégie similaire : renforcer son emprise sur les ministères-clés. Ainsi la semaine dernière, lors du renouvellement annuel du personnel du ministère de l’Intérieur, beaucoup de fonctionnaires dont on attendait le départ en raison d’accusations de corruption ou de complicité dans la répression – voire les deux à la fois – sont restés en place. Quelques-uns ont même bénéficié d’un avancement !
La lutte continue en Égypte. La « Deuxième République » n’est pas encore née.

Traduit de l’anglais
par Patrice Horovitz.
© Project Syndicate, 2012.
Par Omar Achour Le tout premier président égyptien élu à l’issue d’une élection libre, Mohammad Morsi, membre des Frères musulmans, a nommé son premier cabinet. Et qui y trouve-t-on ? Essentiellement des membres de l’ancien régime ! Le nouveau gouvernement égyptien reflète manifestement le rapport de force entre le président et le Conseil suprême des forces armées (CSFA). Mais...

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