Ainsi donc le Béarnais se retrouve depuis quarante-huit heures dans l’inconfortable position du leader assis entre deux chaises, en paix avec sa conscience mais fâché avec tout le monde : le leader du Parti socialiste qui ne veut pas de lui dans son équipe à venir, aussi bien que les ténors de la droite et même ses compagnons d’une traversée du désert qui s’annonce longue. On peut imaginer heureux ce Sisyphe, nullement fatigué de remettre vingt fois sur le métier son ouvrage, conséquent avec lui-même, partageant avec le prochain (?) président de la République ce refus de trancher en se cachant derrière les mots comme pour se rassurer sans parvenir à convaincre. Heureux, oui, parce qu’il a réussi à décrocher ses « fifteen minutes of fame » chères au cœur d’Andy Warhol.
Jean-Luc Mélenchon, passé le moment des grandes envolées lyriques qui enflammaient tant la galerie, la troisième dauphine du concours de Miss Norvège 1962 (Gro Eva Farseth, devenue depuis Eva Joly) et les Flambart de la grande épopée sur le point de s’achever se sont déjà dépêchés d’embarquer à bord du navire socialiste, en prévision du grand partage qui se prépare. Après deux septennats mitterrandiens (1981-1995), il ne reste qu’un lointain souvenir de cette aventure donnée pour folle par d’aucuns et rendue possible grâce à la volonté, à l’habileté tactique aussi d’un Florentin nourri dans le sérail de la IVe République. Impavide, les yeux fixés sur la ligne d’un horizon qui jamais ne parut aussi lointain, le capitaine Bayrou cingle droit vers...
Vers quoi, au fait ? Si ses lieutenants ne le savent pas, lui il le sait. Devant la crise inéluctable qui se prépare, a-t-il jugé bon de constater l’autre soir, la seule attitude possible consiste à réaliser l’unité nationale, reconnaissant dans le même temps qu’un tel objectif sera difficile à atteindre « si chacun reste dans la logique des camps anciens ». Vaste programme, aurait dit le général de Gaulle, désespérant autrefois de pouvoir diriger « un pays avec 254 variétés de fromages ».
Phagocyté par un ancien socialo, le Parti communiste – à tout le moins celui de Maurice Thorez, Jacques Duclos, Georges Marchais – n’existe plus ; les Verts prennent une couleur plutôt rosâtre ; quant aux autres, ils ont tout simplement perdu les leurs, de couleurs, à supposer qu’ils en aient eues. Dans le vaste village planétaire qui est le nôtre, l’heure est au bipartisme. On est démocrate ou républicain, tory ou labour, socialiste ou UMP – cette dernière bientôt supplantée par le FN si Marine Le Pen réussit son OPA – accessoirement membre d’un vague parti dont la présence détonne dans la cour des grands et sans poids véritable. On a assisté en France, d’un quinquennat à l’autre, à la lente mais inexorable dilution d’un centrisme mi-carpe, mi-lapin, incapable de représenter l’ultime recours, encore moins de jouer le rôle d’arbitre. Rien n’interdit de croire à la résurrection, un jour, de ce mince fil médian séparant la droite de la gauche, qui attire sur les lèvres ces temps-ci un sourire de commisération. Après tout, la Belle au bois dormant s’est bien réveillée, elle, d’un sommeil que l’on croyait éternel, le Général était revenu au pouvoir, quatorze ans après la Libération, et les ombudsmans politiques – rôle qu’ambitionne de jouer Bayrou – pourraient reprendre du service que cela n’étonnerait personne.
Il lui faudra auparavant trouver les bons arguments pour attirer de nouveaux kamikazes susceptibles de se rallier à un panache blanc qui fut jadis celui d’un illustre ancêtre.
commentaires (1)
Comment Merville réussit à faire du "petit chose", une grande chose. Super article qui sort de sentiers battus.
Jaber Kamel
07 h 06, le 05 mai 2012