Phase 2 : le grand méchant loup, c’est le salafiste pur et dur, celui qui refuse la main tendue par une femme, à laquelle il veut imposer le port du niqab. Pas de candidate sur ses listes électorales donc, quand l’aîné ikhwan, qui l’a incorporée, lui, sur les siennes, l’indique par... une fleur.
Phase 3, à venir : tout relevant de la simple relativité, on donne la préférence au premier, décidément moins infréquentable que le wahhabite. Et le tour est joué. Dans le passé déjà, le raïs sortant (sorti, plutôt) avait eu recours à un tel subterfuge pour éliminer et l’un et l’autre. Quoi qu’il en soit, le résultat, cette fois, est que le tandem malgré lui (on vous le jure) est en passe de rafler la moitié (81 pour cent) des 168 sièges dans les neuf gouvernorats, sur un total de 27, où vient de prendre fin la première partie de la compétition.
Les libéraux, ceux dont le combat avait permis de bouter dehors le vieux dictateur Hosni Moubarak, crient qu’on a détourné « leur » révolution et Hillary Clinton s’inquiète des premiers résultats obtenus vendredi dernier. Devant les représentants de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe réunis à Vilnius, elle a rappelé que « les transitions imposent des élections libres dans le respect des normes et des règles démocratiques ». Pendant ce temps, un candidat du rigoriste al-Nour, Abdel Moneim el-Chahat, s’obstine à claironner que l’on devrait faire un autodafé de tous les romans de Naguib Mahfouz, Prix Nobel de littérature en 1988, des ouvrages relevant de « la prostitution ». L’objectivité impose de rappeler que cet irascible défenseur des bonnes mœurs a été battu dans sa circonscription d’Alexandrie, mais il y a fort à parier que ce n’est certainement pas en raison de ses idées.
Laminés lors du premier round des législatives, les représentants des manifestants de ces neuf derniers mois se trouvent désormais pris entre deux feux : les ultraconservateurs d’une part, forts d’un score annonciateur de résultats encore plus probants le 14 décembre, les membres du Conseil suprême des forces armées d’autre part, qui ont promis, sans trop de conviction, de se retirer après une présidentielle appelée à se tenir « avant la fin de l’année 2012 ». À l’évidence, c’est entre ces deux camps que se jouera la fin de partie, avec à l’horizon l’alternative suivante : soit un coup d’État militaire qui ne voudra pas dire son nom, soit un retour à une place Tahrir à l’échelle cette fois de tout le pays.
Si, jusqu’à une date récente, les Ikhwan ont suivi les généraux dans leur logique c’est bien dans l’espoir, justifié, de l’emporter à l’issue de l’opération électorale qui doit prendre fin à la mi-mars. Or rien ne permet d’augurer, à cette date, d’un passage en douceur de l’étape militaire à l’étape civile. Il est clair que le field marshal Mohammad Hussein Tantaoui ne l’entend pas de cette oreille, et surtout pas depuis qu’il a été appelé, fort irrévérencieusement, à « dégager ». L’unique révolution qu’a connue l’Égypte remonte à 1952 et elle était initiée par un groupe d’« officiers libres ». Après la brutale disparition du Bikbachi, en 1970, Anouar Sadate avait représenté le successeur tout naturel, tout comme, après son assassinat, le 6 octobre 1981, son héritier Hosni Moubarak. Plutôt falots dans les premiers mois, ils avaient acquis quelque consistance au fil des ans avant de se découvrir une vocation de potentats. Il est possible que l’ambition de la caste des galonnés qui règne aujourd’hui sur les bords du Nil est d’un tout autre ordre et qu’elle veuille, ainsi qu’elle l’affirme, éviter le désordre annonciateur de catastrophes. Mais George Orwell nous apprend dans « 1984 » que « l’objectif du pouvoir est le pouvoir » et que, « si l’on fait (ou si on laisse faire, dans le cas égyptien) la révolution, c’est pour établir la dictature ».
Américains et Européens ne sont pas seuls à s’inquiéter de la tournure prise par les événements. Ehud Barak, lui aussi, se dit préoccupé, très préoccupé même. Avec des extrémistes qui mènent la vie dure au roi de Jordanie, l’incertitude qui prévaut en Syrie, les irréductibles hezbollahis du Liban et maintenant des islamistes qui se retiennent à peine pour ne pas hurler « Mort à Israël ! », l’État hébreu voit le danger poindre à nouveau sur son aile sud après une accalmie qui durait depuis 1979. Ses dirigeants réfléchissent maintenant aux méfaits du progrès en politique.
Comme quoi la dictature a du bon ; la tyrannie aussi. Enfin, parfois et pour certains.
L'article de M Merville semble laisser une place à la possibilité d'un retour à la dictature militaire en Egypte. Il est vrai qu'Orwell "nous apprend que l'objectif du pouvoir est le pouvoir" et si "l'on fait (si on laisse faire (on, c'est qui, ici ?), dans le cas égyptien ?) la révolution, c'est pour établir la dictature". Mais Orwell est un écrivain de la première moitié du XXe siècle. Tout ce qu'il a écrit est-il nécessairement valable en 2011 ? L'Egypte connaîtra inexorablement, semble-t-il, l'expérience d'un pouvoir des islamistes, et il sera difficile aux militaires, dans une première phase au moins, de changer radicalemnt cette issue. C'est aux révolutionnaires libéraux d'augmenter bien considérablement leur force et leur action contre "ce vol de leur révolution" selon leurs propres termes. Quant à "Ehud Barak" et à tout le gouvernement israélien, ils sont "très préoccupés" ? Oh comme ils le méritent ! Je souhaite qu'Israel ne connaisse plus de tranquillité sur sa frontière sud, en châtiment et leçon pour son refus de l'Etat palestinien dans les frontières de 1967 et de la paix. Cela dit, je me permets de réitérer mon souhait que M Merville offre aux lecteurs de L'Orient-Le Jour son analyse, justement sur la responsabilité de l'Etat juif, par ce refus de la paix, dans l'accès des islamistes au pouvoir en Egypte.
05 h 12, le 08 décembre 2011