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Culture - Festival

Comme un air de « BoBos » à Beiteddine

C’est bien des BoBos, des bourgeois bohèmes, qui ont transporté les « Beiteddinois » ce soir-là, plus d’un siècle et quart en arrière, vers le Paris des artistes et des amoureux. De la Bohème en ces temps-là, que Puccini a mise en musique dans une production des Chorégies d’Orange, larguant l’opus final de Beiteddine 2012.

Joyeuses retrouvailles dans un bistrot du Quartier latin.

Mais évidemment qu’il y a eu des Bohème plus bouleversantes ou mieux chantées, plus riches en couleurs et raffinement orchestral. Mais bien sûr qu’il y a eu des Bohème au plateau vocal plus aveuglant (on pense aux aigus étourdissants de Pavarotti dans l’enregistrement réalisé en 1972 avec Herbert von Karajan). Et il s’agit forcément d’une double gageur que de présenter une œuvre aussi intimiste, au cachet éminemment Quartier latin, dans un cadre aussi grandiose, ouvert et à l’architecture arabe que la grande cour du palais de l’émir Bachir II Chehab. Mais cette version, produite par les Chorégies d’Orange, mise en scène par Nadine Duffaut, avec l’Orchestre philharmonique du Liban sous la baguette du maestro Jean-Yves Ossonce, très douillette, très basique, toute en simplicité et discrétion, est aussi charmante, frémissante, objectivement belle.
La Bohème de Puccini s’est donc donnée en plein air, à Beiteddine comme à Orange, deux semaines plus tôt, avec une distribution quelque peu modifiée. Remplaçant Inva Mula, la Roumaine Anita Hartig, belle révélation formant une belle paire avec le ténor Paolo Fanale en Rodolfo fougueux.
Avec un sens théâtral quasiment inné, Nicola Beller-Carbone incarne une flamboyante Musetta, canaille à souhait. Lionel Lhote est, quant à lui, un Marcello de bonne envergure...
Nous sommes en l’an de grâce 1830. C’est la veille de Noël. Sous les toits enneigés, un poète, Rodolfo; un peintre, Marcello; un musicien, Schaunard, et un philosophe, Colline, tentent de se réchauffer, tant bien que mal, au coin d’un feu improvisé. Nous sommes entre compagnons de dèche, les doigts transis de froid. Et l’amour à en crever comme seule consolation. Et pourtant, ces joyeux lurons ne cèdent pas au désespoir ni même à la mélancolie. Il y a trop à vivre, à fêter, batifoler pour se soucier de l’avenir. Aimer surtout, comme cette Mimi, délicate brodeuse frappant à la porte du fougueux Rodolfo pour rallumer sa flamme, et celle de sa bougie en passant. Et puis il y a Musette, la muse coquette, lâchant son vieux bourgeois comme une vieille chaussette pour revenir aux étreintes de Marcel qu’elle avait quitté.
Puccini, nostalgique de ses débuts difficiles, dépeint cette vie de bohème avec tendresse. « Il me faut mettre en musique des passions véritables, des passions humaines, l’amour et la douleur, le sourire et les larmes.» Il ne cherchait donc pas à dénoncer les injustices qui frappent les plus démunis, mais plutôt à dépeindre avec humour et tendresse un petit cercle d’artistes que Balzac définit si bien dans Un prince de la Bohème: «La Bohème n’a rien et vit de ce qu’elle a. L’espérance est sa religion. La foi en soi-même est son code. La charité passe pour être son budget.»

Un hymne de jeunesse
Des répliques courtes, piquantes, servies par une musique vive et légère, à l’émotion de ses duos amoureux, jusqu’au drame final où la passion se voile de larmes et l’amitié devient grave, La Bohème est un hymne à l’insouciance de la jeunesse. Ses artistes ont aussi l’air de grands gamins qui s’amusent et qui brûlent des manuscrits pour se réchauffer, plutôt élégamment vêtus (costumes sobres d’époque signés Katia Duflot). Des bourgeois bohèmes, donc, pas franchement miséreux, pourvus néanmoins d’une convaincante sincérité.
Sil n’est pas « le » chef-d’œuvre de Puccini, il n’en reste pas moins que c’est l’ouvrage avec lequel il affirme son génie dramatique. Avec, à la clé, péripéties du quotidien, au parler simple, loin des grandes envolées lyriques, souci du sort des petites gens et non pas du destin des grandes familles.
L’Orchestre philharmonique du Liban y joue un rôle efficace et discret, sous la direction d’un Ossonce modeste et mesuré. Les airs sont parfois suaves, parfois dramatiques, les duos passionnels entre Mimi et Rodolfo d’une beauté limpide.
Tous les rôles sont bien tenus, sans oublier les chœurs allègres de La Sagesse, cette brassée d’écoliers en costumes d’époque, qui se fondent bien dans la foule bigarrée qui envahit la scène à l’acte II. Un joyeux désordre qui s’ordonne petit à petit. L’on ne sait pas où regarder, vers quel élément du décor poser son regard, suivre les écoliers qui s’attroupent autour d’un chariot ou la parade militaire.
À part les scènes du café et du marché, la scénographie signée Emmanuelle Favre est plutôt épurée. Le mur de la façade a été « drapé » de projections illustrant les toits de Paris ou des façades haussmanniennes. Et des flocons de neige qui tombent dru. La scène et même la musique semblent suspendues dans un espace ouaté. C’est beau. Des montants de porte tiennent ici et là, ouvertures béantes sur des vides, un canapé, un bureau, le comptoir, les chaises et les tables d’un bistrot.
Mais l’on comprend moins la nécessité dramatique du feu d’artifice tombé en rideau à la fin du deuxième acte...
Au final, une lecture sage du chef-d’œuvre de Puccini, une vision traditionnelle, récréative. Qui ne dérange pas outre mesure. Un joli mariage de théâtre et de musique classique sur fond d’humour et de tragédie, le tout tenu par le fil rouge de l’amour.
Mais évidemment qu’il y a eu des Bohème plus bouleversantes ou mieux chantées, plus riches en couleurs et raffinement orchestral. Mais bien sûr qu’il y a eu des Bohème au plateau vocal plus aveuglant (on pense aux aigus étourdissants de Pavarotti dans l’enregistrement réalisé en 1972 avec Herbert von Karajan). Et il s’agit forcément d’une double gageur que de présenter une...
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