Mais on s’arrête surtout sur le choix de ces images qui révèlent Baalbeck non dans ses ruines colossales, ses vestiges somptueux et ses temples mythiques (à peine deux ou trois représentations sans tapage excessif!), mais dans sa nature (embellie un peu par les touches d’aquarelles aux transparences lumineuses) aux frondaisons tout en dentelles de feuilles vertes... Mais que reste-t-il de tout cela aujourd’hui?
Et défilent en toute fluidité arcades des «dar» libanais, des minarets sur fond d’azur délavé, des ruelles désertes et tranquilles, des lessives qui sèchent au soleil, des vieilles femmes au «mandil» assises à côté d’un four en pierre, des terrasses ensoleillées, des enfants qui glandent adossés aux murs, des cyprès solitaires qui se dressent droits comme des i, des natures mortes où jouxtent tomates, poivrons et citrons, des fleurs dans un vase...
Suivent, en blanc et noir, quelques fusains. Mélancoliques esquisses pour des pseudocroquis à l’âme sans tourmente, mais habitée de lassitude, de tristesse et de solitude.
Retour aux huiles lourdes, pourtant si aérées et aériennes sous le pinceau et la palette de Mazen Rifaï. Quelques aplats adroitement posés et voilà que surgissent une maison aux champs, des ruelles désertes ou avec un passant nonchalant, une terrasse entourée de vergers, un balcon qui se prélasse au soleil, la neige et son manteau glacial, une route qui quitte le village pour s’enfoncer dans la plaine. Tout cela comme une narration qui oublie lentement son réalisme pour toucher à des abstractions qui ramènent toujours cependant vers cette terre aimée. Notamment ce foisonnant jaune qui coule comme de l’or fondu.
Une fenêtre, une porte, un mur, un parquet et se clôt le rêve à travers une maison aimée, celle de l’artiste. Mais le dernier mot est à l’ivresse des lieux. Celle du temple de Bacchus à travers une aquarelle, en dégradé de gris, comme un songe persistant et pétrifié...
Le livre refermé, les images ont du mal à disparaître des paupières. On a envie de revoir Baalbeck, non pas dans la bousculade des festivals d’été ou son chaos et son délabrement actuel, mais comme le montre Mazen Rifaï à travers une palette, un pinceau et un crayon éthérés, véritables sources d’inspiration et havre de paix.