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Moyen Orient et Monde - Terrorisme

« Quiconque est un ami des États-Unis est un traître »

Dans les zones tribales pakistanaises, les prodrones traqués comme des « espions ».
Leurs regards ne mentent pas : ce sont des hommes morts, et ils le savent. Assis les jambes croisées sur le sol, dans une pièce sombre, les yeux rivés sur l’objectif de la caméra, ils prononcent leurs dernières paroles avant d’être exécutés froidement d’une balle dans la tête, voire décapités. Au Pakistan, émettre une opinion favorable aux drones vous assure de passer sur-le-champ pour un ennemi de la nation. Dans les zones tribales, cela risque carrément de vous coûter la vie tant les insurgés y font régner l’omerta.
« Les talibans tentent de tuer quiconque est favorable aux drones. Ils disent que ces gens sont pro-Américains et des amis des Juifs », confie Gul Wali Wazir, un nom d’emprunt, trentenaire de la région tribale du Waziristan du Sud, lui-même menacé à trois reprises. « Ils forcent des gens à admettre qu’ils sont des espions, les filment, les tuent et abandonnent leurs corps en bordure de route avec une copie du DVD et une note disant que tous ceux qui soutiennent les États-Unis et les drones subiront le même sort. J’ai vu une douzaine de ces corps décapités, criblés de balles ou enfermés dans un sac noué », assure-t-il.
Ces DVD montrent les derniers instants d’espions présumés, des corps décapités ou même cloués à un mur avec la mention « Jasous » (espion), et martèlent le même message : « Quiconque est un ami des États-Unis est un traître. »

Deux options
Depuis une décennie, aucune région du monde n’a été plus bombardée par les drones américains que ces zones tribales semi-autonomes, écrin rocheux de la taille de la Belgique niché dans le nord-ouest du Pakistan à la lisière de l’Afghanistan. Et pourtant, des habitants comme Gul Wali Wazir y soutiennent en silence ces frappes. « Plus de la moitié de la population des zones tribales soutient les drones », lance-t-il devant un thé fumant dans un café désert de Peshawar, carrefour à la porte des zones tribales, une région interdite aux reporters étrangers.
Aucun sondage ne peut étayer ces affirmations, mais de nombreux spécialistes des zones tribales interrogés ont fait état d’un soutien croissant pour les drones, lié à la désillusion d’une vie sous l’emprise des insurgés. Car après avoir accueilli à bras ouverts les talibans et autres combattants arabes, ouzbeks ou tchétchènes après le 11-Septembre, des chefs de tribu déchantent aujourd’hui, las d’un « islam de combat » exacerbé, de l’extorsion, des menaces et des exécutions sommaires.
Mais comment se débarrasser des insurgés ? « Il y a deux options dans les zones tribales : une opération de l’armée ou des tirs de drone », résume Safdar Hayat Khan Dawar, ex-président de l’Association des journalistes des zones tribales.
Sauf que, « l’option militaire, les gens ne l’aiment pas car l’armée ne tue pas (seulement) des insurgés, mais (aussi) des civils. La population préfère donc les drones », affirme ce grand gaillard originaire du Waziristan du Nord, épicentre de la mouvance jihadiste dans la région.
Les frappes de drone ont broyé plus de 2 200 vies humaines, y compris celle début novembre du chef des talibans pakistanais Hakimullah Mehsud, et environ 400 civils, selon des organisations humanitaires, victimes collatérales d’une guerre qui ne dit pas son nom.

Les drones, ces « oiseaux » du Coran
Tous s’entendent toutefois sur un point : cette guerre entre le ciel des drones et la terre des rebelles a semé des troubles d’anxiété par milliers et généralisé la consommation d’antidépresseurs chez une population exposée au « Bangana » (bourdonnement), nom donné à ces avions sans pilote. Mais pour les prodrones comme Arbab, les avions sans pilote sont surtout des « Ababils », ces oiseaux ayant jeté des pierres sur les forces du général Abraha pour protéger La Mecque, selon le Coran. Or chanter les louanges de ces « oiseaux » modernes venus des États-Unis, en invoquant de surcroît une référence au Livre saint, peut s’avérer fatal dans les repaires du réseau Haqqani, d’el-Qaëda et des talibans.
Encore plus que des traîtres, les « prodrones » sont soupçonnés d’être des espions et de déposer des « pataï », nom local pour des émetteurs capables de transmettre un signal à un drone, dans la résidence ou la voiture de jihadistes pour qu’ils soient bombardés. Dans les bazars des zones tribales, les islamistes distribuent ainsi vidéos et tracts exhortant tout un chacun à dénoncer les « traîtres » dans sa famille, ce qui exalte le climat de suspicion dans une région déjà encline aux théories du complot. Confronté aux plaintes croissantes de la population, le seigneur de guerre taliban Hafiz Gul Bahadur avait pourtant exigé, il y a deux ans, la fin de ces exécutions macabres. En vain.

(Source : AFP)
Leurs regards ne mentent pas : ce sont des hommes morts, et ils le savent. Assis les jambes croisées sur le sol, dans une pièce sombre, les yeux rivés sur l’objectif de la caméra, ils prononcent leurs dernières paroles avant d’être exécutés froidement d’une balle dans la tête, voire décapités. Au Pakistan, émettre une opinion favorable aux drones vous assure de...

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