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Nos Lecteurs ont la Parole

L’affaire Alem Dechasa, ou le malaise de la culture socio-politique au Liban

Rita BASSIL
Désormais, nous connaissons tous la tragique histoire, et fin d’histoire, de la jeune femme d’origine éthiopienne, Alem Dechasa, férocement battue devant l’inerte consulat d’Éthiopie, son pays natal, qui s’est donné la mort en s’étranglant à l’aide du drap de son lit, à l’hôpital psychiatrique du couvent de la Croix, le 14 mars 2012, où elle avait été internée par son agresseur. Employée de maison, âgée de 33 ans, Alem Dechasa a confié à son entourage avant de mettre fin à ses jours qu’elle appréhendait le retour au pays natal sans avoir atteint l’objet de son émigration : pourvoir aux besoins financiers de ses deux enfants. Cela sans avoir pu rembourser la lourde dette qui lui a permis de financer son voyage, puisqu’elle n’aura passé que deux mois au Liban. Son expulsion a été décidée, à son insu, par le bureau de recrutement où travaille son agresseur, Ali Mahfouz.
La scandaleuse scène, diffusée par la LBC, où l’on voit la victime violemment rouée de coups n’a suscité que quelques remous marginaux au sein de la société civile. Au sein de la classe politique, en fonction des postes occupés, quelques-uns se sont sentis obligés de réagir oralement, demandant la poursuite du coupable identifié, une initiative qui, comme toujours, est restée sans suite.
Devant un peuple presque aphone face à l’impunité légale, mais non légitime, d’un brutal agresseur, on ne peut que se demander comment les Libanais, qui vantent depuis des siècles leur origine voyageuse, contraints, à maintes reprises, par la famine sous l’Empire ottoman, puis par les guerres qui ont ravagé le pays, à demander l’exil aux portes des ambassades étrangères, acceptent, sur leur sol, un système inégalitaire et l’absence de droits pour les employées de maison ?
La loi libanaise exclut les employées de maison. Il s’agit de la loi du 23 septembre 1946 portant le nom de Code du travail, dans sa teneur modifiée au 31 décembre 1993 et au 24 juillet 1996 :
Article 7. Sont exceptés de la présente loi :
1) les domestiques dans les domiciles des particuliers ;
2) les corporations agricoles qui n’ont point de rapport avec le commerce ou l’industrie qui feront l’objet d’une loi spéciale ;
3) les établissements où ne travaillent que les membres de la famille sous la direction soit du père, soit de la mère, soit du tuteur ;
4) les services gouvernementaux et municipaux pour ce qui concerne les employés et les salariés provisoires ou journaliers auxquels ne s’appliquent pas les règlements des fonctionnaires. Ces agents feront l’objet d’une loi spéciale.
Certes, la question n’est pas de généraliser ni de traiter d’« esclavagistes » tous les Libanais ayant recours à l’aide domestique. Nombreux sont les employeurs justes, qui traitent les employées de maison comme des membres de leur famille. Toutefois, face aux inacceptables abus, l’inquiétant silence de la société civile (si l’on exclut les protestations de quelques rares ONG), qui a été jusqu’alors le garant de redressement d’un pays chancelant, s’explique-t-il, une fois de plus, par son récurrent handicap, sa richesse pluriconfessionnelle non maîtrisée ? Dans un État fonctionnant conformément à un calcul obsessionnel de ses communautés « classiques », comment le composant peut-il être le garant du droit de « l’étranger », c’est-à-dire d’un individu n’entrant pas dans le moule communautaire, et qui n’aurait donc pas une existence citoyenne, ce qu’assurent à la diaspora libanaise les pays d’accueil ?
Le comportement sauvage et esclavagiste, les agressions physiques et verbales, les propos racistes et inadmissibles (qui ne touchent pas que les employées de maison d’origine étrangère mais tous les travailleurs immigrés) qui circulent librement dans les médias libanais et sur les lèvres d’acteurs qui se croient « comiques » restent impunis, alors qu’une censure bête et arriérée s’essouffle à pourchasser sans relâche les artistes et intellectuels qui lui échappent tant bien que mal en publiant et en se reproduisant à l’étranger, tout comme les jeunes couples qui vont se marier à Chypre parce qu’ils recherchent un pacte civil extracommunautaire... Oui, tout est lié dans ce pays « surconfessionnalisé ». L’individu devient lui-même son propre État, dès lors qu’il n’est plus sous le contrôle de l’État. Il doit alors créer son propre ministère de la Justice en confisquant le passeport de son employée, vu que la loi ne peut ni le protéger en cas d’abus de la part de celle-ici ni l’attaquer quand il abuse d’elle.
Il est tentant d’ajouter que les abus physiques se font forcément contre la femme, et une femme d’origine libanaise, battue par son mari, n’est même pas protégée par la loi ! On se demande après pourquoi ce pays machiste ne compte aucune femme dans son gouvernement, et s’il en a compté dans le passé, il s’agissait de « remplaçantes » d’hommes assassinés, des veuves et des orphelines.
C’est à nous Libanais de réagir face aux injustices subies par les employées de maison, et non pas à la presse occidentale, ce qui a été le cas ces derniers jours, et cela sans chercher d’absurdes excuses telles que l’incurable « mythe du complot ». Il est donc temps de se pencher sérieusement sur les failles du système et d’accorder un peu plus de place aux questions « civiles », en commençant par l’urgence : l’élaboration d’un article de loi propre aux employées de maison.

Rita BASSIL
Désormais, nous connaissons tous la tragique histoire, et fin d’histoire, de la jeune femme d’origine éthiopienne, Alem Dechasa, férocement battue devant l’inerte consulat d’Éthiopie, son pays natal, qui s’est donné la mort en s’étranglant à l’aide du drap de son lit, à l’hôpital psychiatrique du couvent de la Croix, le 14 mars 2012, où elle avait été internée par son...

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