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À La Une - Débat

« L’Orient des Campus » fait le point sur l’homosexualité

Dans les locaux de « L’Orient-Le Jour », une table ronde a réuni, le jeudi 28 février, des jeunes universitaires, des intervenants avertis et des journalistes. À l’ordre du jour : l’homosexualité.

En dépit de toutes les apparences, la sexualité, au Liban, comme ailleurs, est malheureusement encore taboue. Malgré beaucoup d’efforts pour sortir le sujet du cadre de la honte, au Liban on ne parle pas encore de sexualité en toute liberté. Et si le sexe en règle générale est encore tabou, l’homosexualité, elle, relève quasiment du profane. Perçue par certains comme une véritable menace, l’homosexualité a encore du chemin à faire avant d’être acceptée comme orientation sexuelle à part entière, même si elle est plus tolérée parmi les nouvelles générations plus émancipées.
Pour faire le point sur l’homosexualité au Liban, les défis auxquels elle fait face juridiquement et socialement, et la perception des jeunes de ce sujet, L’Orient des Campus a organisé, avec le soutien de l’AUF, une table ronde réunissant des étudiants issus d’horizons académiques divers et de différentes universités. Les intervenants étaient Leila Saadé, doyenne de l’École doctorale de droit et des sciences politiques, administratives et économiques à l’Université libanaise (UL), présidente de l’École doctorale de droit du Moyen-Orient, fondatrice et directrice de la filière francophone de droit de l’UL, et Gérard Bejjani, professeur de littérature et de cinéma à la faculté des lettres de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et à l’Université pour tous dont il est le directeur académique.


Leila Saadé a jeté la lumière sur l’aspect juridique et légal de l’homosexualité au Liban. « L’article 534 de la Constitution libanaise punit toute conjonction sexuelle contre nature, a-t-elle expliqué. L’article ne se réfère pas à l’orientation sexuelle des personnes, mais seulement à l’acte objectif. La jurisprudence dit qu’il faut donc un acte sexuel avéré, mais il y a eu des cas où des hommes ont, par exemple, été punis car ils étaient efféminés. Parfois, des personnes ont été accusées pour pratique habituelle d’homosexualité, sans pour autant que l’on précise avec qui cette pratique se faisait, ce qui revient carrément à accuser une personne d’un crime sans qu’il y ait de victime. »
Pourtant, Leila Saadé est confiante. « L’homosexualité appartient à la vie privée que le droit pénal est censé protéger, a-t-elle ajouté, et le droit cédera finalement, puisque notre réalité sociale ne correspond pas à la loi. L’article 534 contredit nombre de conventions internationales signées par le Liban, et en tout cas, nous avons une jurisprudence très avant-gardiste. En 2009, un juge pénal à Batroun a tranché dans une affaire d’homosexualité en affirmant que cette dernière n’est tout simplement pas une conjonction sexuelle contre nature. »

 




L’homosexualité : innée ou acquise ?
Selon Mme Saadé, l’argument d’autorité qui plaide pour la décriminalisation de l’homosexualité est d’affirmer qu’elle n’est pas un choix, et que l’homosexuel n’endosse aucune responsabilité à être homosexuel. Une affirmation contestée par Pamela Hage, psychologue scolaire, qui a indiqué que « la psychologie estime que les personnes naissent sans identité sexuelle, cette dernière se construisant plus tard ». « Nous ne pouvons pas encore savoir si l’homosexualité est vraiment innée, a-t-elle dit. Certaines personnes s’engagent dans cette voie dans une forme d’épanouissement personnel, en voulant tout essayer. Bien sûr, en tant que psychologues scolaires, nous accompagnons les jeunes élèves qui se sentent homosexuels sans culpabiliser, en mettant en exergue qu’il y a un combat à mener en société, surtout au Liban, s’ils veulent assumer leur homosexualité. » Un combat qui ne s’avère pas du tout facile, en effet. Au Liban, l’article 534, mal admis parmi les homosexuels, donne voie à une pratique assez primitive, l’examen de la honte. « Il s’agit d’une pratique de preuve, pas de texte, explique Leila Saadé. Scientifiquement dénoncée même par les médecins, et récemment par l’ordre des médecins, cette pratique existe toujours malheureusement. C’est un moyen pour faire avouer les gens, comme une sorte de chantage. L’ONG Helem, unique organisation qui lutte contre l’homophobie dans le monde arabe, œuvre beaucoup pour mettre un terme à ces pratiques. »


De son côté, Gérard Bejjani a évoqué son premier roman, La Parenthèse, qui raconte l’histoire de Daniel, un homosexuel. « Ce roman est pour moi un acte d’engagement, a-t-il déclaré. Un tel roman aurait pu me compromettre, mais j’ai tenu à le publier car je défends la liberté des mœurs, tout en usant de deux boucliers. Le premier réside dans le genre, puisque le récit est un roman, pas une autobiographie, et le second réside dans la langue française. En arabe, le livre n’aurait jamais paru, puisqu’il traite d’homosexualité et s’en prend au clergé. Dans La Parenthèse, le protagoniste s’appelle Daniel, qui signifie “Dieu est mon seul juge”. C’est pour dire que la justice humaine ne peut juger ce qui est nature et ce qui est contre nature. »


« Par ailleurs, le papa de Daniel est un militaire, une allégorie du machisme dans la société libanaise », poursuit le romancier, avant de continuer : « Daniel est, par contre, très proche de sa mère. Et c’est pour dire qu’il y a une vraie césure entre la figure maternelle et l’autre, paternelle, dans la réalité même. En Orient, les sociétés matriarcale et patriarcale divergent énormément. L’une incarne l’amour et la protection, l’autre la virilité et le machisme. »
En tant que professeur, Gérard Bejjani estime qu’il existe une marginalisation des homosexuels dans les établissements scolaires, « surtout ceux qui prônent l’uniformisation et le formatage des élèves, et où l’on pointe du doigt les enfants différents ». « Dans les universités, dit-il, cela est plus facile, certes. Et en réalité, la vie sociale des homosexuels est assez développée chez nous, avec une profusion de lieux de drague homosexuelle dans la capitale. » Pour lui, la tolérance envers les homosexuels s’éduque, comme dans la religion, et son roman La Parenthèse a réussi à permettre à certaines personnes de réfléchir autrement. Et de poursuivre : « Il est temps de dissocier l’homosexualité de la sexualité. Certains n’y voient que ça. »

 



Un débat fort intéressant
Par ailleurs, les interventions de Mme Saadé et de M. Bejjani ont été suivies d’un débat. Sur ce plan, Hanna Fahed, étudiant en 4e année de médecine à l’USJ, a affirmé que « l’homosexualité, autrefois classée comme trouble psychiatrique, ne l’est plus depuis peu, et que l’approche d’aujourd’hui vise à éduquer les parents et non pas leurs enfants ». Anthony Féghali, 4e année de droit à l’USJ, a noté, de son côté, que de nombreux étudiants universitaires de son campus sont « carrément contre l’homosexualité et y voient une vraie menace ». Enfin, Maya Khadra, étudiante à l’USEK en master II de langue et littérature française, a apporté un éclairage littéraire sur le débat. Rappelant le mythe de l’androgyne, l’être complet se scindant en deux entités qui entament la quête du bonheur et de l’autre moitié, elle a souligné que « le mythe ne précise pas le sexe de ces deux moitiés originelles, et qu’elles pourraient être du même sexe ou de sexes différents ».
Ont également participé au débat : Elham el-Hajj, licenciée en traduction, en première année de journalisme, Myriam Abou Abdallah, infirmière et étudiante en presse, Arzé Nakhlé et Rénata Mouawad, également journalistes en devenir, toutes les quatre étudiantes à la faculté d’information et de documentation de l’UL, campus de Fanar ; Serge Élia, étudiant en première année de droit à l’université La Sagesse ; Joanna Farhat, étudiante en arts graphiques à l’Université des pères antonins (UPA) ; Samy Taha, infirmier candidat au master recherche en sciences, et Mahdi Tajeddine, troisième année de licence en gestion et management, tous les deux de l’USJ, ainsi qu’Élie Attié, jeune journaliste Web.

 

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