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À La Une - Installation

« Lebanese Rocket Society » : un hommage aux rêveurs

L’exposition de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige attire une foule à la galerie CRG de New York.

Khalil Joreige et Joana Hadjithomas. Photo Gallerie CRG

Rien n’arrête l’ascension artistique de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, comme en témoigne leur dernière exposition intitulée « The Lebanese Rocket Society : Hommage aux rêveurs » qui dure jusqu’au 20 avril, à la célèbre galerie CRG de New York (Carla Chammas est une des partenaires de cette galerie). Les artistes présentent une sélection d’installations Cedar IV. Le film qui accompagne l’événement sortira le 16 mars à Beyrouth dans le cadre du festival Ayyam Beyrouth al-cinama’iya.
Ce grand projet est d’envergure et son histoire fascinante. La présentation raconte par l’image, la photographie, la vidéo et le son l’incroyable histoire « oubliée » de l’aventure spatiale libanaise des années 1960. « Commencé il y a six ans, ce projet artistique global de recherche comporte six parties. La quatrième partie qui a un lien avec le rêve est exposée à la galerie CRG de New York. Ce qui permet de revisiter l’histoire et de découvrir aussi que notre pays avait un projet scientifique sérieux. Pourquoi l’a-t-on oublié ? » s’interrogent Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, lors d’un entretien accordé à L’Orient Le Jour, à New York.

Projet spatial au Liban en 1960
De quoi s’agit-il ? Qui sont donc ces rêveurs maintenant éparpillés dans le monde ? Attiré par la conquête de l’espace, un groupe d’étudiants de l’université arménienne Haigazian, « dont certains n’étaient pas libanais », crée dans les années soixante « la Haigazian Rocket Society » qui deviendra la « Lebanese Rocket Society ». Sous la houlette du professeur de mathématiques Manoug Manougian, qui vit depuis 1966 à Tampa, en Floride, le groupe fabrique dix fusées spatiales « CEDAR ». « Il lance avec succès la première fusée de la région. La plus grande a atteint 600 km », expliquent les artistes. Ce projet qui vise à « concevoir et à lancer des fusées pour l’étude et l’exploration spatiales » connaît à l’époque un immense succès et fait couler beaucoup d’encre. En 1964, pour la commémoration du 21e anniversaire de son indépendance, le Liban émet, en hommage à l’aventure spatiale libanaise, une série de timbres de 5 et 10 piastres représentant la fusée.
La guerre israélo-arabe de 1967 mettra fin au « rêve spatial » qui tombe totalement dans l’oubli. Les documents, photos et films autour de cet ambitieux projet ont pratiquement disparu de l’histoire du Liban. Les jeunes artistes « qui n’ont pas connu cette époque » se penchent sur les événements et les mythes de cette période, tels que le concept du panarabisme et son déclin après 1967, la guerre froide, la conquête de l’espace, ainsi que la soif de modernité. Joana et Khalil s’émerveillent devant le « bon niveau scientifique libanais de cette époque » mais s’érigent contre le dénigrement. « Quand on dit projet spatial au Liban, cela fait rire. Pourquoi ne peut-on être contemporain d’une recherche indépendamment des moyens ? » s’étonnent-ils.

« L’album du président »
Le clou de l’exposition est « L’album du président ». « À l’apogée de sa popularité, la » Lebanese Rocket Society « fait don au président Fouad Chéhab d’un album photos de 32 pages commémorant le lancement de Cedar IV. Après la mort du président libanais, l’album est remis par son épouse au général Wehbé. L’histoire de la fusée est relatée dans le film réalisé pour l’occasion par Harry Koundakgian, photographe à l’Associated Press, et premier photojournaliste de l’époque qui vit et travaille maintenant à New York.
Les 32 pages de cet album forment le joyau de l’exposition. Elles s’étalent majestueusement sur les cimaises de la nouvelle galerie CRG. « L’album représente tout le projet Cedar IV et le concept de la fusée en 1962, mais réactualisé avec la réflexion de la ville d’aujourd’hui. Chaque panneau représente 32 fois l’image de 8 mètres pliée différemment à chaque fois. Comme si tout était accessible et en même temps dissimulé. Quelque part, on a envie de toucher et de déplier. C’est une sorte d’invitation à la recherche de la mémoire et de l’imaginaire », expliquent les artistes.

Disque d’or et sons des années 1960
Si l’album du président représente la documentation visuelle du projet spatial, le disque d’or qui se trouve au point focal de l’exposition est une reconstruction de sons des années 1960. Le visiteur se trouve devant la projection d’un disque doré qui tourne sur le sol de la galerie. « C’est la référence aux disques d’or qui accompagnaient les sondes spatiales exploratoires, Voyager 1 et Voyager 2 », en 1977. Ces disques contenaient les images et les sons de l’humanité. C’est un peu une bouteille à la mer interstellaire, dans le cas où ces « Voyager » rencontreraient des formes de vie intelligentes. C’est une allusion au rêve de l’astrophysicien Carl Sagan « qui ne croyait pourtant pas aux extraterrestres », indiquent Joana et Khalil.

Rêve continu
À l’entrée de la galerie, le visiteur est frappé par la reproduction en grand du timbre commémoratif de l’indépendance du Liban en 1964 représentant la fusée spatiale. Le timbre-tapis a été fait à la main en Arménie. Suscitant vivement la curiosité, les archives inédites qui l’accompagnent racontent l’histoire émouvante des jeunes rescapées du génocide arménien, « arrivées au Liban en 1920 pour rejoindre la manufacture de tapis à Ghazir. » Ayant eu une subvention américaine à travers le « Golden Rule Sunday », elles font le vœu d’offrir un tapis tissé au président Coolidge en signe de reconnaissance. Elles le font tisser en Arménie et deux jeunes filles font le voyage pour le présenter à la Maison-Blanche. C’est « en hommage à ces jeunes arméniennes » que les deux artistes ont fait exécuter ce timbre en Arménie, selon les mêmes techniques de tissage de la manufacture de Ghazir.
Une série photographique reconstitue le chemin du transport à Beyrouth de la fusée Cedar IV. En utilisant une réplique en bois blanc de la fusée, les artistes retracent son parcours à travers les temps modernes de Beyrouth. Rêve nostalgique d’un riche passé ? « Ce qui est important par rapport à notre projet, c’est de ne pas être nostalgique des années soixante. Au contraire, on l’étudie comme une invocation pour réactiver ce rêve passé au présent. On veut que le rêve continue au présent. Et l’on doit bien préciser que ce n’est pas un missile. La fusée ressemble à un missile, mais c’est la représentation du rêve et de l’espace. Aujourd’hui, la transformation de la région est telle qu’une fusée est forcément comprise comme un missile. Et donc il faut se battre pour qu’il n’y ait pas de réécriture de l’histoire, » concluent les artistes.
Les œuvres de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige figurent dans plusieurs musées et font partie d’expositions collectives prestigieuses, notamment au Musée d’art moderne de Paris, au Leonard et Bina Art Gallery à Montréal, au Beirut Exhibition Center, au Gasworth de Londres et au centre photographique de Genève.

 

 

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