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À La Une - Liban - Dossier

L’urgence de relever le défi économique face à l’afflux des réfugiés syriens

Outre le défi humanitaire et sécuritaire que pose la question des réfugiés syriens au Liban, l’urgence de soulever l’aspect économique du dossier se fait de plus en plus pressante. En attendant l’aide de la communauté internationale, comment le Liban peut-il honorer son devoir humanitaire tout en parvenant à maintenir une relative stabilité économique et sociale dans un pays déjà touché de plein fouet par les effets de la crise syrienne ?

Si 270 000 déplacés sont actuellement inscrits auprès de l’ONU, les Syriens au Liban sont en réalité beaucoup plus nombreux. Ils seraient près de 600 000 selon les dernières estimations. Joseph Eid/AFP

Si l’impact de la crise syrienne sur l’économie libanaise ne fait plus aucun doute deux ans après le début du conflit, il devient urgent de soulever la question du défi économique que pose l’afflux de réfugiés syriens au Liban. L’enjeu est de taille : il s’agit d’honorer le devoir humanitaire du pays tout en parvenant à maintenir une stabilité économique, sociale et sécuritaire dans un pays déjà politiquement divisé sur la question syrienne. « Si 270 000 déplacés sont actuellement inscrits auprès de l’ONU, les Syriens au Liban sont en réalité beaucoup plus nombreux, souligne l’économiste Samir Khalil Daher dans un entretien accordé à L’Orient-Le Jour. Du fait des liens étroits qui lient nos deux pays et des facilités administratives, on compterait environ 600 000 Syriens au Liban, soit 15 % de la population libanaise. Or le Liban est un pays de petite taille qui compte une densité de la population de 400 habitants au kilomètre carré, soit un des chiffres les plus élevés de la région. Si l’on ajoute à cela 15 % de la population, il y aura forcément des conséquences économiques majeures. »

Les inquiétudes de Sleiman
Le mois dernier, le président de la République, Michel Sleiman, avait tiré la sonnette d’alarme lors de son discours à la conférence internationale pour les réfugiés syriens au Koweït. « Nous espérons que le soutien ne se fera pas uniquement à travers des aides, mais également par une répartition des tâches car le Liban risque de ne pas être capable d’accueillir plus de réfugiés syriens », avait-il déclaré. Et d’ajouter : « Nos frontières avec la Syrie resteront ouvertes. Nous refusons l’expulsion des réfugiés syriens et palestiniens de notre territoire, mais l’exil des Syriens commence à affecter la société libanaise et la situation sécuritaire du pays. Pour cela, nous demandons l’aide de la communauté internationale et arabe. »

 

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C’est également l’analyse que plaide l’économiste Louis Hobeika. « S’il est bien évidemment un devoir humanitaire de recevoir les Syriens, comme ces derniers ont pu le faire dans le passé pour les Libanais, il y a cependant des limites. Le pays ne pourrait pas supporter un million de déplacés, auquel cas la situation deviendrait vraiment dangereuse », considère le spécialiste.
« Le monde doit entendre le cri d’alarme du Liban, insiste-t-il. À nous seuls nous n’avons pas les moyens de trouver une solution. Le gouvernement libanais est impuissant. Il faut que le gouvernement soit plus actif dans la demande de fonds à des pays comme le Qatar, la France et même l’Asie », poursuit-il. Rappelons que le 3 décembre dernier, lors de la conférence des donateurs, le gouvernement libanais avait approuvé un plan d’aide aux réfugiés syriens d’un montant de 370 millions de dollars.


« Sans aide externe et si le Liban doit payer de son budget, le déficit budgétaire pourrait atteindre les 14 % du PIB tandis que nous devrons payer des taux d’intérêt plus élevés car l’État se sera encore endetté », ajoute Louis Hobeika.
Mais pour Samir Daher, si l’aide internationale est une approche nécessaire, elle est loin d’être suffisante. « On ne peut compter uniquement sur les pays donateurs, surtout qu’il existe un écart important entre les promesses de dons et ce qui est effectivement déboursé. » « Étant donné que l’on ne peut estimer ni la quantité de l’afflux de déplacés ni sa durée, il est légitime de se demander si le Liban peut accueillir un nombre illimité de réfugiés », ajoute-t-il. L’économiste plaide ainsi pour l’établissement d’un quota et d’une redistribution des flux migratoires entre les différents pays accueillants, ainsi que la création de corridors de passage. « L’aide aux déplacés devrait être partagée entre les pays limitrophes, considère-t-il. Le Liban ne fermera jamais ses frontières face à ceux qui fuient la violence, mais il faut réfléchir à un partage des flux migratoires en fonction de la superficie des pays et de leur densité. » Par ailleurs, selon Samir Daher, le gouvernement libanais devrait mieux contrôler l’afflux de réfugiés aux frontières. « Dans un contexte de guerre, il faut savoir que même des personnes n’étant pas menacées physiquement peuvent décider de migrer pour des raisons économiques. »

La question des camps
Jusqu’à présent et pour des raisons politiques, le Liban avait refusé la création de camps. « Au début, l’afflux de déplacés syriens au Liban avait été pensé sur le court terme, indique le plan d’aide du gouvernement aux réfugiés syriens présenté lors de la conférence des donateurs le 3 décembre dernier. Mais la crise se prolongeant, la médiocrité de l’aide se fait de plus en plus ressentir et les conséquences commencent à se révéler sur le tissu social libanais. » Ainsi, les déplacés syriens ont dû relever le défi du logement par leurs propres moyens. Accueil dans des familles libanaises, écoles désaffectées, bâtiments vétustes ou camps de fortune, ces derniers s’établissent là où ils le peuvent. Selon les chiffres de l’économiste, 3 000 requêtes d’enregistrement seraient demandées par jour auprès du HCR (le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) dont 2 000 requêtes seraient acceptées, soit un chiffre de 60 000 par mois. « De leur côté, les familles accueillant des déplacés commencent à faiblir, car il s’agit de ménages se trouvant déjà dans une situation d’extrême pauvreté », souligne le plan d’aide du gouvernement.
Pour Samir Daher, la décision du gouvernement de refuser l’établissement de camps était une « réaction impulsive », notamment en souvenir de l’expérience palestinienne. « Mais il n’est jamais trop tard, indique-t-il. Il faut que les déplacés soient reçus dans des centres d’accueil. Ne nous voilons pas les yeux, il existe déjà des camps informels qui grandissent de semaine en semaine. »

Le marché du travail déjà affecté, selon les économistes
Il est important de souligner que la présence des déplacés syriens au Liban ne s’est pas dispersée de manière égale dans le pays. La majorité des déplacés syriens a trouvé refuge dans le Nord et dans la Békaa. « Un tiers des réfugiés sont concentrés dans le Nord, indique Samir Khalil Daher, dans une zone où 43 % de la population libanaise vit en dessous du seuil de pauvreté. À Tripoli où ce chiffre grimpe à 50 %, Libanais et Syriens peu qualifiés se retrouvent en concurrence sur le marché du travail, tandis que les Syriens demeurent la main-d’œuvre la moins chère. »
Pour Sami Atallah, directeur du Lebanese Center for Policies Studies (LCPS), l’afflux de réfugiés syriens affecte de différentes manières l’économie libanaise. « Il y a, d’un côté, les réfugiés les plus pauvres qui arrivent dans des régions du Liban déjà défavorisées. Dans ce cas, les répercussions se sont d’ores et déjà fait ressentir sur le marché de l’emploi. La menace est sérieuse surtout pour les travailleurs peu qualifiés », indique Sami Attallah.


D’un autre côté, il y a les déplacés les plus nantis qui ont les moyens de louer des appartements. Ces derniers constituent en quelque sorte « une aide palliative » aux secteurs du tourisme et de l’immobilier libanais, lesquels ont été touchés de plein fouet par la crise régionale. On pourrait même dire que les Syriens les plus riches remplacent les touristes arabes ayant déserté le Liban. Une tendance confirmée par certains professionnels de l’immobilier, comme l’avait indiqué à L’Orient-Le Jour Georges Nour, directeur à Solidere. « On a effectivement constaté l’achat ces six derniers mois de biens haut de gamme par de riches hommes d’affaires syriens ayant fui la guerre dans leur pays. Cette tendance aurait généré 20 à 30 millions de dollars de chiffres d’affaires ces six derniers mois. »


Cependant, la plupart des économistes s’accordent à dire que le Liban n’a rien à gagner dans cette crise syrienne. « Je pense que les déplacés syriens rentreront dans leur pays avant la fin de l’année car la crise ne peut pas se poursuivre avec cette brutalité », estime Louis Hobeika. « Pour le Liban, il n’existe aucune opportunité économique dans cette crise. Les Syriens les plus riches se sont tournés vers des pays plus prospères et sûrs pour leurs affaires même s’ils ont choisi le Liban pour y héberger leurs familles. Les enjeux des pays de la région sont trop liés. Tant que la région ira mal, le Liban ira mal », déplore Louis Hobeika.


Même son de cloche pour Sami Atallah : « Le Liban va devoir trouver un moyen de gérer ces flux de réfugiés. Les infrastructures libanaises sont déjà très faibles, les conséquences risquent de s’avérer significatives si la pression ne s’accroît pas sur la communauté internationale. »
De son côté, Samir Daher s’est exprimé en réaction au rapport publié récemment par Médecins sans frontières dénonçant les conditions de vie des réfugiés syriens au Liban. « Plus le nombre de déplacés est important, moins le Liban aura les moyens de les accueillir décemment. La situation n’est clairement plus viable, ni pour les réfugiés ni pour le Liban. Il ne s’agit pas là d’une question politique, c’est mathématique, et il en va de l’intérêt même des réfugiés syriens et des Libanais », a-t-il conclu.

 

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