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À La Une - Le point

La faute au printemps

« Dites-le sans crainte. L’ambassadeur doit s’en aller. » Ils étaient quelques centaines à peine qui scandaient ce slogan vengeur devant le siège de l’ambassade américaine, dans le quartier cairote de Garden City. Ils étaient quelques dizaines tout au plus à escalader le mur, haut de plusieurs mètres, de la chancellerie pour ramener le « Stars and Stripes » et tenter d’y mettre le feu, puis de le piétiner, le remplaçant par une bannière noire portant la profession de foi « Il n’y a de dieu que Dieu et Mohammad est son Prophète ». Les agents de la brigade antiémeute présents sur les lieux se sont contentés de tirer quelques timides coups de feu en l’air et de se hasarder à lancer de vagues rappels à l’ordre.
À Benghazi, en Libye, haut lieu de la contestation anti-Kadhafi, la foule en colère a utilisé des lance-grenades RPG contre le consulat US puis contre une voiture transportant l’ambassadeur, Christopher Stevens, ainsi que trois autres membres du personnel diplomatique qui cherchaient à se mettre en lieu sûr, morts tous les quatre tués sur le coup.
Raison de cette vague de violence sans précédent dans la région depuis des mois : un film de 14 minutes, Innocence of Muslims, dont l’auteur, Sam Bacile, un promoteur immobilier californien de 52 ans, dit avoir recueilli pour le financer 5 millions de dollars auprès d’un groupe d’une centaine de Juifs. L’œuvre aurait été visionné sur YouTube par quelques rarissimes amateurs si Terry Jones ne s’était chargé d’apporter à l’entreprise son grain de fiel. Le nom vous dit-il quelque chose ? Rappelez-vous, c’est celui de ce pasteur qui avait eu son heure de sinistre célébrité lorsqu’il avait fait campagne contre le Coran, invitant le monde à en brûler des copies avant de passer lui-même à l’action dans le temple où il officie, le Dove World Outreach Center, à Gainesville, en Floride. Il faut dire que l’homme, un émule de Guy Montag (le pompier amateur d’autodafés de l’inoubliable Fahrenheit 451 de François Truffaut), devait peu après brûler Barack Obama en effigie avant de s’amender puis de lancer, à l’occasion de l’anniversaire du 11-Septembre, un « Jour de jugement » dont l’innommable navet de Bacile représente le désolant couronnement.
On aurait tort de penser que l’« Ugly American » appartient à une ère révolue et que les manifestations de mardi qui ont embrasé la capitale égyptienne et la seconde ville de Libye ne sont que la conséquence directe d’une initiative dont l’auteur, on l’a vu avant-hier, n’est pas seul à payer le prix. Cette fois encore il y a eu mort d’hommes et le nom de Stevens vient s’ajouter à une liste qui compte ces dernières années cinq ambassadeurs victimes de terroristes, dont Francis E. Meloy Jr. abattu au Liban en 1976. C’est que l’antiaméricanisme est présent en Irak, en Afghanistan, à Gaza et ailleurs, nourri par les errements d’une politique washingtonienne qui n’est pas toujours mue par le désir de venir en aide aux « damnés de la terre ». Avoir volé au-devant du soulèvement arabe commencé à Bouzid, en Tunisie, et qui se poursuit dans le sang, la sueur et les larmes ces temps-ci en Syrie, ne saurait faire oublier l’échec de l’Amérique et ses errements dans le conflit du Proche-Orient. Après l’impardonnable mauvaise foi qui a marqué les deux mandats Bush fils, on a cru un moment – notamment à la faveur du discours du Caire resté sans lendemain – que Barack Obama allait mettre ses pas dans ceux de Jimmy Carter et de Bill Clinton pour faire avancer le dossier des pourparlers de paix. C’était oublier que l’actuel hôte de la Maison-Blanche, un velléitaire, a une fâcheuse tendance à prendre ses paroles pour des actes.
Il convient cependant de ne pas voir une relation de cause à effet entre ce qui représente un mal endémique américain (le refus de tailler dans le vif si besoin est) et le regain de violence de mardi. Le « Grand Satan » a bon dos qui doit, aux yeux de certaines capitales de la région, assumer la responsabilité de tous les malheurs passés, présents et probablement à venir. Écoutez donc Mahmoud Ahmadinejad accuser les ennemis de la République islamique (devinez leur identité...) de détruire les nuages faiseurs de pluie pour assécher la terre et détruire les récoltes... Il fallait être bien naïf aussi pour voir dans le printemps arabe l’aube d’une ère de démocratie, de justice, d’égalité, de prospérité pour tous. Et d’en attendre l’avènement, en laissant le temps au temps, sans rien faire pour accélérer le rythme du changement.
« Monsieur le Président, avait dit un jour un politicien libanais au chef de l’État de l’époque, le problème est qu’entre votre cerveau et votre bras, il existe un désert... » Un jugement que feraient bien de méditer nombre de dirigeants en Occident autant que dans cette partie du monde.
« Dites-le sans crainte. L’ambassadeur doit s’en aller. » Ils étaient quelques centaines à peine qui scandaient ce slogan vengeur devant le siège de l’ambassade américaine, dans le quartier cairote de Garden City. Ils étaient quelques dizaines tout au plus à escalader le mur, haut de plusieurs mètres, de la chancellerie pour ramener le « Stars and Stripes » et tenter d’y...

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