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Économie - Splendeurs et misères économiques

L’honnêteté ne paie plus !

Né à Beyrouth, Michel Santi est un macroéconomiste franco-suisse qui conseille des banques centrales et des fonds souverains. Il est notamment l’auteur de « Misère et opulence » et de « Pour un capitalisme entre adultes consentants ».

Dans le passé, les dirigeants politiques et les autorités de régulation ont accédé à toutes les exigences de la sphère financière en vue d'une dérégulation tous azimuts, sous le prétexte d'établir une prospérité universelle. Alors conseiller du président Reagan, Francis Fukuyama s'étonnait de la relation incestueuse entre les établissements financiers les plus importants et les économistes partisans des marchés efficients. Il notait la collusion de ce monde avec la sphère du pouvoir : « Wall Street a séduit la profession des économistes. Il est très facile aux économistes d'être transférés depuis leurs universités aux banques centrales et jusqu'aux grands fonds spéculatifs. C'est un monde étroit où tout le monde partage les mêmes vues. Alliance profitable à tous : les universitaires gonflent leurs revenus pendant que Wall Street gagne en légitimité. »
On comprend dès lors que nul n'ait bronché face à la déconfiture en 1998 du fonds Long Term Capital Management, dit « LTCM », qui devait sonner comme une répétition générale des subprimes de 2007. Plus importante start-up dans l'histoire mondiale des fonds de placement du haut de ses 1 000 milliards de dollars, LTCM ne comptait-elle pas dans ses effectifs prestigieux deux Nobel d'économie ? Sur un autre registre, l'interconnexion entre un établissement comme Goldman Sachs et deux secrétaires d'État au Trésor (Robert Rubin et Henry Paulson) ne fut qu'une preuve supplémentaire de cette politique US qui n'était plus qu'une excroissance de la finance, trop contente de lui rendre service à la moindre occasion. La proximité entre régulateurs, politiques et économistes achevait la compromission des uns au bénéfice d'une finance qui dès lors occupait tout le champ public. Le lobbying de la part de la finance en direction des milieux politiques n'était même plus nécessaire tant la ferveur pour la dérégulation à outrance était unanimement partagée entre ces deux sphères.
La politique fut officiellement atteinte du syndrome de Stockholm et s'était éprise de cette finance qui l'avait petit à petit privée de l'essentiel de ses pouvoirs. Le pare-feu indispensable entre politique et finance ayant été délibérément désactivé, comment s'étonner de certains dérèglements patents ayant directement conduit à ces crises, comme la rémunération des agences de notation par les établissements bancaires ou l'engagement d'anciens fonctionnaires d'organes de réglementation au sein de banques... À moins que ce ne soit l'inverse? En somme, s'il est vrai que collusion entre pouvoir public et oligarchie est une constante qui débouche systématiquement sur une confiscation des profits et sur une mise en commun des pertes, nos nations occidentales démocratisées ont emprunté le chemin des républiques bananières et s'accommodent fort bien de la défense et de la préservation systématiques de certains intérêts privés par les pouvoirs publics.
Dans l'univers de la finance– qui déteint sur notre vie quotidienne –, ce sont souvent les malhonnêtes qui restent, voire qui prospèrent, tandis que sont damnés ceux qui se conforment aux règles du jeu. Ce rouleau compresseur des escroqueries et des malversations porte un nom, la dynamique de « Gresham », qui fut décrite par George Akerlof, né en 1940 et Nobel d'économie 2001 : « Les transactions malhonnêtes tendent à faire disparaître du marché les transactions honnêtes. Voilà pourquoi le coût lié à la malhonnêteté est supérieur au montant de la tricherie; ce coût doit aussi inclure la perte relative à la faillite de l'intervenant légitime. » Cette dynamique de Gresham – devenue aujourd'hui une dominante dans les marchés financiers – a donc pour conséquence une volatilisation de l'éthique au profit de la fraude qui devient dès lors endémique. Ceux qui respectent la loi et la morale sont appelés à disparaître alors que leurs rivaux peu scrupuleux se maintiennent grâce à des artifices et à des manipulations qui compriment leurs coûts, ou qui gonflent leurs bénéfices. En d'autres termes, il devient « trop cher » d'être honnête !

Dans le passé, les dirigeants politiques et les autorités de régulation ont accédé à toutes les exigences de la sphère financière en vue d'une dérégulation tous azimuts, sous le prétexte d'établir une prospérité universelle. Alors conseiller du président Reagan, Francis Fukuyama s'étonnait de la relation incestueuse entre les établissements financiers les plus importants et les...

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