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Ali Chahrour

Génération Orient : #3 Ali Chahrour, chorégraphe et danseur, 26 ans

Ali Chahrour. Photo Joe KESROUANI

Vingt-six printemps. N'était-ce cette barbe noire de quelques jours, il aurait l'air d'en avoir vingt. Les cheveux légèrement gominés, sagement coupés, le regard franc avec un imperceptible strabisme, les traits à peine sortis de la prime jeunesse, la taille fine, la silhouette mince comme un fil, alerte et un peu rêveur quand il cherche ses mots, Ali Chahrour, danseur et chorégraphe n'a rien de flamboyant ou de tragique, tels ses deux premiers spectacles à succès (imprévisible), Fatmé et Mawt Leila. Spectacles qui sortent du rang, car puisés au cœur même des valeurs du monde arabe et de l'islam. Percutants, respectueux et qui donnent à réfléchir. Avec une intense force visuelle. Le corps ment moins que la parole, dit-on...

Aujourd'hui, après avoir mangé de la vache enragée et rongé son frein pour monter financièrement ses projets, dont certains étaient carrément sans fonds, voilà que le festival d'Avignon lui ouvre royalement ses portes. Sa Fatmé, pour parler de la douleur des femmes arabes, sera, avec ses cheveux couleur de nuit et ses grands mouvements de corps insolent, au Cloître des Célestins du 16 au 18 juillet 2016. La mort de Leila jettera ses psalmodies, ses grands cris et ses torrents de larmes dans la même enceinte, du 21 au 23 juillet 2016. Le sentiment religieux, sans voile, dans ses frémissements, ses déchirements, ses incantations, ses envoûtements et ses (con)torsions corporelles. Et c'est sans l'ombre d'une forfanterie, en toute fierté et modestie, qu'il déclare qu'il vit actuellement de son travail de scène.

Né à Hounin au sud du Liban, un des sept villages frontaliers sous occupation israélienne, Ali, orphelin de père, est d'une famille chiite de cinq enfants. Imaginez la consternation face à un farfelu dans la maison : ce garçon manque de sérieux et de tenue ! Tous regardaient avec inquiétude et suspicion ses élans pour la danse et l'art. Pour eux, dans cette région du monde, tout cela ne nourrit pas son homme et ne s'emboîte pas dans le moule très chatouilleux et bourru de la virilité... Mais force est de constater que devant le succès de la première de Fatmé, dans une salle archicomble et tétanisée comme pour une bataille d'Hernani, les flèches de la balance et du jugement brusquement changent !


Dans l'arène

Flash-back pour cerner ce jeune et fulgurant parcours. Avant la danse, il y avait le théâtre. Avec des études académiques à l'UL. Et puis le cursus avec Zoukak. Et il fraye, comme par heureux hasard, avec le milieu de la danse locale. Petit interlude avec Omar Rajeh. Il voyage par la suite, ce mordu du style de Pina Bausch, à Wuppertal bien entendu, mais aussi aux Pays-Bas et en France. Tout en bourlinguant avec des troupes étrangères.

Et brusquement l'étincelle est née d'ailleurs. Une torche dans la tête, une certitude, une lapalissade qui fait tilt dans sa tête comme l'œuf de Christophe Colomb : dans ses spectacles, ne pas imiter l'Occident. Pour ce garçon du Sud, comme la langue arabe dégringole, la danse aussi. Alors il s'anime et se lance dans l'arène. Pour un combat qu'il veut juste. Et valorisant. Retrouver la sève et les racines de son essence. Surtout ne pas être prisonnier des techniques de danse formatée et importée comme un produit d'emballage. Lui, il cherche la liberté, la libération, la singularité, la couleur de son appartenance, de sa société, de son arabité, de sa libanité, de sa masculinité. Lui, il cherche à changer le regard de la société qui n'est guère tendre pour un mâle qui danse...

En attendant Avignon, il répète, certes, mais il pense aussi à ses projets. Il y en a un, notamment, sur les larmes des hommes, c'est-à-dire des êtres humains de sexe masculin. Il se demande s'il est permis de pleurer, en avouant que la seule fois où il l'a fait, c'était à la mort de son père. Cette création, il la réserve pour Portland, aux États-Unis. Elle s'intitule Rijal Ard al-Nar (Les hommes de la Terre de Feu). C'est une interrogation sur les pleurs et surtout la mort. Ali Chahrour dit que la mort est l'expression de la liberté dans le corps...

 

 

Vingt-six printemps. N'était-ce cette barbe noire de quelques jours, il aurait l'air d'en avoir vingt. Les cheveux légèrement gominés, sagement coupés, le regard franc avec un imperceptible strabisme, les traits à peine sortis de la prime jeunesse, la taille fine, la silhouette mince comme un fil, alerte et un peu rêveur quand il cherche ses mots, Ali Chahrour, danseur et chorégraphe n'a...

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