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Économie - Guerre de juillet 2006 : 10 ans déjà - Focus

La reconstruction post-guerre de 2006, un modèle de réussite ?

Un chantier de plusieurs milliards de dollars a érigé les exceptions en règles pour répondre rapidement et efficacement à l'urgence, avec toutefois quelques bémols.

Les destructions dans la banlieue sud de Beyrouth en août 2006. Photo Mahmoud Tawil

Dix ans jour pour jour après le déclenchement de la guerre de juillet 2006 au Liban, les stigmates des destructions menées par l'armée israélienne ne sont plus qu'un vague souvenir. De fait, il a fallu environ trois ans pour que la totalité des sites soient reconstruits.
Pourtant, le bilan matériel des infrastructures détruites ou endommagées était plus que conséquent avec quelque 117 661 logements dans plus de 354 villages, 342 écoles, 46 centres de soins, une centaine de ponts, des réservoirs d'eau, câbles électriques et infrastructures télécoms... Le tout pour un coût total estimé entre 2,8 milliards de dollars et 3,6 milliards de dollars, selon les sources.

Solidarité internationale
Dix ans plus tard, de nombreux acteurs louent l'efficacité de la conduite de ce chantier colossal : « En quelques jours, le Liban est passé d'une économie de croissance à une économie d'urgence. Les infrastructures ont été reconstruites en un temps record. À mon avis, cette reconstruction a été bien menée compte tenu de la situation gravissime de l'époque », estime Jihad Azour, ministre des Finances durant les années 2005-2008. « La reconstruction d'après-guerre a été excellente », confirme Ramzi el-Hafez, directeur général d'InfoPro, qui a travaillé pour l'initiative Rebuild Lebanon. Ce portail Internet avait été mis en place par le bureau du Premier ministre, en collaboration avec InfoPro, l'institut des Finances Basil Fuleihan et OMSAR, pour permettre l'accès à l'information en continu sur les efforts de reconstruction. Il a stoppé ses travaux en 2009.

Premier facteur de succès : l'abondance des fonds octroyés au Liban et la rapidité avec laquelle ils ont été récoltés. « La rapidité des constructions a été permise par la disponibilité des ressources », explique Khalil Gebara, ancien directeur exécutif de la Lebanese Transparency Association (LTA). « Il y a eu une vraie solidarité internationale pour le Liban et ce fut très rapide », se félicite Jihad Azour.

La mobilisation internationale et régionale sur ce dossier interpelle en effet par son tempo et son ampleur. La Conférence internationale à Stockholm sur l'aide d'urgence au Liban qui s'est tenue seulement deux semaines après la fin des hostilités, où plus de 30 donateurs se sont réunis, a permis de réunir 900 millions de dollars de dons, quasiment le double de ce que le gouvernement espérait alors récolter. Outre la fourniture d'abris temporaires à 30 000 familles et le déminage du pays, ces dons, destinés à la réponse en urgence, ont également permis le rétablissement de l'alimentation en électricité, en eau et des réseaux télécoms.
S'ajoutent à ces dons les engagements (sous la forme de subventions et en excluant ceux liés à la conférence de Paris III) pris par un total de 66 donateurs avant et après-Stockholm, pour un montant total atteignant 2,1 milliards de dollars. Le plus grand donateur étant l'Arabie saoudite avec 590 millions de dollars, suivie du Koweït (315 millions) et du Qatar (300 millions).

« L'aide résultant de Stockholm a été canalisée de trois façons différentes, soit par des dons directs au gouvernement libanais – par le biais de la Banque centrale et du Haut-Comité de Secours (HCS) –, soit par le parrainage de projets de reconstruction (ponts, routes, écoles, hôpitaux) avec un versement direct aux bénéficiaires, soit par l'intermédiaire des agences des Nations unies et organisations internationales », note un rapport de la LTA, en collaboration avec Majal, sur la reconstruction après la guerre de 2006, publié fin 2008.
L'enveloppe de cette aide internationale a été en majorité utilisée pour la reconstruction des habitations (avec 680 millions de dollars), puis pour les infrastructures (349 millions), pour le secteur de l'éducation (174,8 millions) et la gestion de l'eau et de l'eau usée (162 millions).

« Maisons fictives »
En ce qui concerne les habitations, le Conseil des ministres de l'époque avait mis en place un mécanisme d'assistance pour les maisons endommagées et celles partiellement ou totalement détruites. Les donations extérieures ont représenté 62 % des besoins de financement de reconstruction des habitations, le reste ayant été couvert par le gouvernement libanais.
Les propriétaires des habitations endommagées – 88,3 % des logements concernés – ou détruites recevaient une compensation sous forme de chèque variant entre 200 000 et 50 millions de livres libanaises, selon l'estimation des dégâts, afin de procéder eux- mêmes aux travaux de réhabilitation.

Or la gestion des chèques d'assistance délivrés par l'État était assurée par de nombreux organes publics : le bureau du Premier ministre, le HCS, le Conseil du Sud et le ministère des Déplacés, les municipalités, ainsi que le cabinet de conseil Khatib & Alami embauché par l'État ... « La multiplicité des acteurs impliqués dans la reconstruction, avec des chevauchements des fonctions, ont affecté l'efficacité du processus de reconstruction. Il n'était pas efficace et ouvrait la porte au manque de transparence, au népotisme et au clientélisme. De plus, cela engendrait des retards au niveau de l'octroi des compensations, explique Khalil Gebara. (Le Conseil du Sud et le ministère des Déplacés étaient) chargés de la même tâche, ce qui a compliqué l'administration. Parmi d'autres problèmes logistiques, cela a conduit à des accusations de clientélisme politique, ces deux organismes étant liés à des partis politiques », note en outre le rapport de la LTA.

« De nombreux villageois avaient également mentionné l'existence de "maisons fictives": parce que le bureau du Premier ministre ne stipule pas l'emplacement des maisons à reconstruire, certaines maisons ont été construites sur des lots vides. On peut donc se demander si les fonds reçus pour ces maisons ont été obtenus par les voies légales prévues ou bien à travers des pratiques de clientélisme ou de corruption », ajoute Khalil Gebara.
Les dérives potentielles liées à cette compétition entre les autorités en charge ont par ailleurs pris une autre dimension, plus politicienne, dans le cas de la banlieue sud, où la gestion de la reconstruction des logements détruits ou endommagés a fait l'objet d'un système parallèle, géré par le Hezbollah (voir encadré).

Exceptions aux règles
Autant de problèmes qui ont sans doute contribué au fait que les administrations publiques aient été en grande partie court-circuitées dans l'exécution de la reconstruction des infrastructures détruites.
Le Qatar a, par exemple, entrepris la reconstruction de quatre villages entiers (Bint-Jbeil, Khiam, Aïnata et Aïta ech-Chaab), soit 3 137 maisons, ainsi que leurs écoles, églises, mosquées, hôpitaux et infrastructures. « Au lieu d'utiliser le mécanisme de l'État, le Qatar a collaboré directement avec les autorités locales et a transféré les sommes d'argent à la Banque Audi », ajoute le rapport. Le tout pour un coût estimé à 10 millions de dollars.
« Ces donateurs payaient pour le projet et contractaient eux- mêmes les entreprises chargées de construction. Seuls les grands projets d'infrastructures, comme pour l'eau ou l'électricité, suivaient les procédures publiques habituelles », poursuit Jihad Azour.

La même logique a présidé pour les dons privés. Exemple avec la Byblos Bank qui a donné environ 4 millions de dollars pour reconstruire le pont de Fidar (Jbeil). Après avoir signé un accord avec le Conseil pour le développement et la reconstruction (CDR) pour financer l'étude de faisabilité, la conception et la construction du nouveau pont, la Byblos Bank a embauché elle-même le cabinet d'ingénieur et l'entrepreneur supervisant le projet, qui a été achevé en moins d'un an.
« Beaucoup d'exceptions ont été faites aux règles pour pouvoir exécuter rapidement les projets de reconstruction, par exemple beaucoup de projets étaient décernés de gré à gré et ne passaient pas par des appels d'offres », explique Ramzi el-Hafez.

Mais ce gage à l'efficacité a eu aussi des effets pervers. « Le choix des entrepreneurs et des fournisseurs dépendaient des donateurs privés, ce qui a créé des opportunités pour le clientélisme (...). Il était également difficile de déterminer le coût réel des projets », note le rapport de la LTA. « Cette privatisation de la reconstruction a affecté les mécanismes de contrôle du secteur public, qui n'a pas surveillé la qualité de la reconstruction des ponts et n'avait mis en place aucun plan pour leur entretien. Ces problèmes peuvent être observés aujourd'hui », explique Khalil Gebara. « L'État intervenait pour s'assurer que les normes étaient respectées », déclare néanmoins Jihad Azour.
« L'abondance des dons et les bras de fer politiques ont permis d'apporter une compensation financière satisfaisante, mais pas de solution à long terme », conclut la LTA dans son rapport.
Elle préconise avant tout l'adoption préventive d'un plan d'urgence national. « Le conflit de l'été 2006 a démontré l'absence d'un plan d'urgence efficace capable de soutenir la durabilité et la cohérence des mécanismes mis en place à moyen et long terme », affirme son rapport.
Ses autres recommandations portent notamment sur une définition claire du rôle de chaque organe public, la mise en place d'un système de réparation et d'entretien des infrastructures et la modification des lois pour obliger l'État et les donateurs à publier des rapports financiers et les procédures d'attribution des contrats.

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Banlieue sud : un cas particulier géré par le Hezbollah


La reconstruction des habitations dans la banlieue sud de Beyrouth est un cas à part. D'abord par l'ampleur des destructions : plus de 55,47 % des pertes économiques subies par le Liban y étaient concentrées. Dans cette partie de la ville, 262 bâtiments ont été détruits, dont 232 à Haret Hreik. Plus de 8 000 autres appartements ont été endommagés ou partiellement démolis. Ensuite parce que le gouvernement a mis en place un mécanisme d'assistance exclusivement pour la banlieue, permettant aux propriétaires de recevoir un chèque entre 200 000 et 80 millions de livres libanaises si l'habitation était totalement détruite (un plafond supérieur de 60 % à celui prévalant dans le reste du pays).

Mais la plupart des familles de la banlieue sud ont préféré donner leurs chèques de rémunération au Hezbollah pour le réaménagement de la zone dévastée via un plan ambitieux, appelé « Waad » mené via la compagnie Jihad al-Bina. « Waad a pu reconstruire la totalité des habitations détruites entre 2006 et 2012. Dans la banlieue sud, il était impossible que chaque propriétaire rénove son propre appartement, car ils étaient plusieurs par immeuble et ne pouvaient pas faire face à l'ampleur de la reconstruction seuls, nous avons donc décidé de reconstruire les quartiers détruits via le projet Waad », explique le directeur général du projet Waad, Hassan Jichi. Au final, le coût total de la reconstruction de la banlieue sud a atteint les 400 millions de dollars, couverts en partie par les chèques de compensations, à hauteur de 190 millions de dollars, le reste ayant été financé par le Hezbollah par le biais de l'Iran.

« Néanmoins, il y a eu des plaintes concernant la lenteur de la reconstruction qui a soulevé des débats entre Jihad al-Bina et le gouvernement », note la LTA dans un rapport publié fin 2008.
« Le gouvernement n'a rien fait, il a seulement payé des compensations venant de donateurs internationaux, mais il n'y avait pas de véritable plan pour la reconstruction. Ce n'était pas assez. Si le Hezbollah n'avait pas pris en charge la reconstruction de la banlieue, les habitants seraient encore dans la rue. D'ailleurs, jusqu'à maintenant nous n'avons pas reçu le total des compensations de l'État. Au Liban-Sud, certains habitants ont dû contracter des prêts pour reconstruire leurs maisons », déplore Hassan Jichi.
« C'était une minicrise politique. Le Hezbollah attaquait le gouvernement au niveau de l'image en disant que l'État était défaillant et privilégiait certaines populations », affirme Jihad Azour.
Pour la LTA, cette compétition entre le parti chiite et l'État pour s' attribuer les lauriers de la reconstruction a pu être source de conflits d'intérêts, même si son rapport ne détaille pas précisément lesquels.

 

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Dix ans jour pour jour après le déclenchement de la guerre de juillet 2006 au Liban, les stigmates des destructions menées par l'armée israélienne ne sont plus qu'un vague souvenir. De fait, il a fallu environ trois ans pour que la totalité des sites soient reconstruits.Pourtant, le bilan matériel des infrastructures détruites ou endommagées était plus que conséquent avec quelque...

commentaires (2)

GRACE AUX DONS DES PAYS -ARABES- QU,ON ATTAQUE AUJOURD,HUI POUR LE COMPTE D,AUTRUI...

LA LIBRE EXPRESSION

17 h 42, le 12 juillet 2016

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Commentaires (2)

  • GRACE AUX DONS DES PAYS -ARABES- QU,ON ATTAQUE AUJOURD,HUI POUR LE COMPTE D,AUTRUI...

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 42, le 12 juillet 2016

  • Une capacité à reconstruire ce qui a été démoli en un temps record. Les fonds gèrés par le hezb résistant n'ont pas été détournés comme pour ceux de l'état en général , quel état?

    FRIK-A-FRAK

    14 h 33, le 12 juillet 2016

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