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Liban - tribune

Pétrole et gaz au Liban : les potentialités, les chances et les risques*

Il ressort des relevés sismiques effectués par des sociétés étrangères qu'il y a de fortes probabilités d'existence d'importantes réserves de pétrole et, bien plus encore, de gaz naturel dans la Zone d'exclusion économique (ZEE) au large des côtes libanaises. Les revenus nets que le Liban pourrait espérer de ces richesses pétrolières et gazières se situeraient entre 150 et 200 milliards de dollars, soit le quadruple du PIB libanais et plus que le double de sa dette publique. Mais c'est sans compter les failles de la législation pétrolière libanaise et l'absence d'une politique pétrolière et gazière conforme aux intérêts du pays. Au cours d'une conférence donnée il y a quelques jours à Paris, à la Chambre de commerce franco-libanaise, l'expert de renommée internationale, Nicolas Sarkis, expose son analyse de ce dossier d'une brûlante actualité

La prospection pétrolière crée de nouvelles perspectives sur le marché de l'emploi.

Après avoir suscité un immense intérêt suite aux résultats prometteurs des relevés sismiques effectués au large des côtes libanaises, les perspectives de découverte de pétrole et de gaz naturel se sont éloignées et les moyens pour y parvenir font du surplace depuis près de trois ans.

Les raisons externes de ce retard résident dans un différend territorial avec Israël sur la délimitation des frontières maritimes, ainsi que dans la chute brutale des prix du pétrole et du gaz depuis le milieu de 2014, qui a considérablement réduit, pour l'immédiat, l'intérêt des sociétés internationales.
Ses facteurs internes portent sur les rivalités et les tractations politiques, aggravées par les critiques qui ont abouti à la non-approbation jusqu'ici de deux projets de décrets d'application indispensables. Ces deux projets de décrets concernent la délimitation des blocs à proposer aux sociétés internationales capables d'investir et d'extraire des hydrocarbures sous des profondeurs d'eau allant jusqu'à 1 500-2 000 mètres, et, bien plus important encore, le modèle de contrat exploration/production à négocier et signer avec ces partenaires étrangers.

Si les causes externes du blocage actuel échappent au contrôle du Liban, il n'y va pas de même des facteurs internes, soit les rivalités politiques et la révision de certaines conditions défavorables au Liban du dispositif institutionnel et législatif envisagé. On pourrait toutefois dire qu'à quelque chose malheur est bon, dans la mesure où le blocage actuel peut et doit être mis à profit pour corriger certaines anomalies et mettre sur les rails une stratégie énergétique nationale à la hauteur des espoirs et des besoins des Libanais.

 

(Lire aussi : L'accord Berry-Bassil : une entente locale pour des motifs régionaux ?)

 

Chance historique
En l'état actuel des choses, il semble bien qu'un potentiel non négligeable d'hydrocarbures pourrait être découvert dans la Zone d'exclusion économique (ZEE) de 22 730 km2, dont la majeure partie a été couverte par des relevés sismiques en 2D et 3D réalisés en 2010-2012 par les sociétés PGS et Spectrum, et plus récemment sur le littoral par NOOS.

L'interprétation des données acquises offshore par ces relevés permet de penser qu'il y a de fortes probabilités d'existence d'importantes réserves in situ de pétrole et, bien plus encore, de gaz naturel. Pour le pétrole, les estimations sont de l'ordre de 800 millions de barils, tandis que celles du gaz naturel ont généralement de 25 à 30 trillions de pieds cubes. D'autres estimations bien plus optimistes vont jusqu'au double de ces chiffres contre, à titre de comparaison, des réserves déjà découvertes cette fois-ci de 1 trillion de p3 au large de Gaza, 3-4 milliards au large de Chypre et 32 milliards au large d'Israël. La découverte depuis l'an 2000 de plusieurs gisements de gaz dans ce qu'on appelle le bassin du Levant ainsi que, en 2015, de l'important gisement de Zohr au large du delta du Nil, avec des réserves estimées à 30 trillions de p3, sont autant d'indices qui renforcent la probabilité de découvertes dans l'offshore du Liban. Mais tout ceci demande encore à être confirmé et mieux précisé par des forages.

En termes de valeur, et en supposant la découverte au large du Liban de réserves comparables à celles du total des deux plus grands gisements israéliens, Tamar et Leviathan, le Liban pourrait espérer une production gazière d'une valeur de 400-500 milliards de dollars, aux prix qui prévalaient avant le brusque retournement, forcément temporaire, du marché mondial à la mi-2014. Sur ce total, et à partir des études de rentabilité entreprises en Israël pour les deux gisements de Leviathan et de Tamar, et après déduction des coûts et de la part des sociétés opératrices, les revenus nets que le Liban pourrait espérer se situeraient entre 150 et 200 milliards de dollars. Ces chiffres ne sont évidemment que des points de repère, la réalité pouvant être bien en deçà ou bien au-delà selon les réserves découvertes, l'évolution du marché, les conditions du régime d'exploitation, etc.

Ces revenus potentiels auraient un impact d'autant plus considérable sur l'économie du pays qu'ils représentent près du quadruple de son PIB, plus que le double de sa dette publique, 8 fois ses importations et près de 50 fois le total de ses exportations actuelles.
À ces flux financiers directs s'ajouteraient d'autres avantages directs ou indirects dont : la couverture des besoins domestiques actuellement importés (plus de 6 milliards de dollars pour le pétrole), le développement des infrastructures et de nombreuses industries liées directement ou indirectement à l'industrie des hydrocarbures, l'emploi et, plus généralement, le développement d'un climat favorable à la confiance des investisseurs et la croissance économique. C'est en ce sens qu'on peut dire que la découverte éventuelle de pétrole et de gaz serait pour le Liban une chance historique pour diversifier son économie, donner une vigoureuse impulsion à sa croissance et sortir du rang des pays en voie de développement.

 

(Lire aussi : La richesse pétrolière est une bénédiction, si elle est correctement exploitée, affirment les Kataëb)

 

Anomalies
Les possibilités d'exploitation des potentialités en pétrole et, surtout, en gaz naturel décelées par les relevés sismiques auraient tout naturellement dû donner lieu, avant toute autre chose, à des études préliminaires et l'élaboration d'une stratégie nationale à long terme, visant à optimiser les retombées d'une industrie aussi importante que celle des hydrocarbures et éviter la fameuse « Dutch Desease » et les dangereux effets pervers constatés dans bien d'autres pays : argent facile, inflation, recul des activités économiques traditionnelles au profit d'une part prépondérante du pétrole et du gaz, corruption, etc.

Au lieu de tout cela, les préparatifs se sont limités essentiellement à la promulgation en août 2010 de la loi 132/2010 sur l'exploitation des ressources pétrolières en mer. Il s'agit en fait du seul texte législatif voté jusqu'ici par le Parlement, un texte réduit à sa plus simple expression dans la mesure où il ne comporte aucun chiffre, se contente du rappel de quelques principes généraux et, surtout, prévoit la création d'une Lebanese Petroleum Administration (LPA) non indépendante mais bénéficiant d'exemptions et de garanties uniques en leur genre dans l'administration libanaise. Placée sous la tutelle du ministre de l'Énergie, la LPA a contribué, avec l'assistance de divers consultants, à l'élaboration de plusieurs décrets d'application de la loi de 2010, dont notamment les deux fameux projets de décrets non encore approuvés par le gouvernement. Les observations exprimées par le comité ministériel chargé d'examiner ces deux projets de décrets ont permis d'en améliorer certaines dispositions, mais d'importantes anomalies persistent.

 

(Lire aussi : La faillite politique, principale accusée dans le dossier du gaz offshore)

 

La principale anomalie de la législation pétrolière libanaise concerne la dérive dont a fait l'objet le régime d'exploitation prévu par la loi de 2010. Un premier pas dans le bon sens fait par cette loi avait été en effet le choix tout naturel du régime de partage de production, ou Production Sharing Agreement (PSA), qui a succédé à l'ancien régime des concessions pétrolières aboli depuis les années 1970 et adopté dans des dizaines de pays.
C'était là, de la part du législateur libanais, un choix tout naturel pour un pays n'ayant aucune expérience en la matière. Le grand avantage de ce régime est qu'il concilie la volonté des pays concernés de devenir les maîtres de leur industrie pétrolière avec la nécessité de bénéficier de l'expérience, de la technologie et des investissements des sociétés pétrolières internationales (IOC). Il repose sur le principe de base que des droits exclusifs sont accordés à une IOC qui finance l'exploration à ses risques et périls, sous réserve qu'en cas de découverte commerciale, la production est partagée avec le pays-hôte selon un pourcentage convenu au préalable et à des conditions qui assurent l'équilibre des intérêts entre les deux parties. Ceci implique en d'autres termes que l'État devienne un partenaire à part entière via généralement une société pétrolière nationale et rembourse progressivement à la société étrangère sa part dans les dépenses passées et à venir.

Mais, et aussi surprenant que cela puisse paraître, le projet de décret d'application portant sur le modèle des accords d'exploration/production à conclure avec les sociétés étrangères ignore totalement le régime PSA prévu par la loi, en le remplaçant par un régime bâtard, appelé contrat de « partage des profits », qui n'existe nulle part au monde. La différence fondamentale entre ce nouveau concept sui generis et le PSA réside dans le double fait que : il exclut une participation automatique et directe de l'État ; le droit de propriété du pétrole et du gaz découverts ne revient pas à l'État mais à la société opératrice, tout comme sous l'ancien régime des concessions.

 

(Lire aussi : « Il faut relancer l'attribution des blocs d'exploitation de gaz »)


Le principal résultat lourd de conséquences de la renonciation au régime de partage de la production est la neutralisation du rôle crucial de l'État dans l'exploitation et le contrôle directs de ses ressources naturelles. Cette renonciation est exprimée dans l'article 5 du projet de décret EPA non encore approuvé, qui dispose que « l'État ne prendra pas de participation au cours du premier round d'attribution de droits d'exploration/production » !

Une deuxième conséquence bien plus grave a été le fait que la liste publiée en mars 2013 des 46 sociétés considérées comme officiellement préqualifiées par le ministère de l'Énergie et la LPA pour conclure des accords d'exploration/production comprend des sociétés fantômes, créées peu de semaines auparavant et qui n'existent que sur le papier. Une disposition très curieuse de l'article 19 de la loi pétrolière de 2010 ouvre la porte à ce genre de « sociétés » fantômes, ainsi qu'à d'autres petites sociétés déjà préqualifiées, pour s'associer, dans le cadre d'une « société commerciale non intégrée », avec l'une ou l'autre des sociétés internationales capables d'assumer le rôle d'opérateur, et devenir ainsi propriétaires d'une partie des réserves découvertes et prendre la place de l'État et d'une société pétrolière nationale aux postes de responsabilité des sociétés opératrices !

Les principales améliorations introduites suite aux objections exprimées par le comité ministériel concernent la fixation d'un minimum de 30 % pour la part des profits devant revenir à l'État et d'un maximum de 65 % par an (contre 50 % généralement sous le régime PSA) le cost stop du Capex par les sociétés opératrices. Compte tenu de ces améliorations partielles, les dispositions fiscales et financières du projet de modèle d'accord d'exploration/production restent très défavorables au Liban. Aux termes de ces dispositions, le Liban ne peut, au mieux, espérer bénéficier que de moins de la moitié des profits nets des sociétés opératrices, contre des revenus qui vont de 70 à 90 % dans les dizaines des pays qui pratiquent le régime classique de partage de la production. Le régime dit de partage des profits, imaginé par les auteurs du projet de décret EPA pour le Liban, est même plus défavorable que le vieux régime des concessions qui assurait au pays-hôte une redevance de 12,5 % plus un impôt de 50 % sur les profits !

Un autre obstacle majeur sur la voie d'une politique pétrolière et gazière conforme aux intérêts du pays est l'opacité érigée en règle et bien illustrée par l'absence d'un dialogue national impliquant les autorités politiques, les universités, les centres de recherche, les médias, etc. Tant et si bien que les deux fameux projets de décrets encore en suspens, et dont tout le monde parle depuis plus de trois ans sans avoir pu les lire, sont encore gardés secrets. L'article 35 du modèle d'accord à signer avec les compagnies impose même, sous le couvert de confidentialité, le secret total sur toutes les dispositions des accords prévus. Cette pratique systématique du secret ouvre naturellement la voie aux abus et à la corruption dans un pays qui est malheureusement classé au rang peu honorable 128 sur 176 pays par Transparency International.

 

(Pour mémoire : Entente « totale » CPL-Amal sur le pétrole, « à la demande de Salam »)

 

Besoin d'une société pétrolière nationale
L'inexistence jusqu'ici au Liban d'une société pétrolière nationale et la nécessité évoquée épisodiquement de création d'une telle société sont très révélateurs de l'absence d'une politique énergétique nationale claire, ainsi que de la faiblesse du pouvoir politique face à certains intérêts privés. Cette situation est d'autant plus aberrante que les raisons d'être de sociétés énergétiques nationales résident dans le fait que ces sociétés sont le véritable bras armé de l'État dans l'exercice de ses droits de souveraineté et dans la mise en œuvre d'une politique nationale cohérente.

Au Liban, les arguments généralement évoqués contre l'établissement rapide d'une telle société sont les craintes de mauvaise gouvernance et de corruption, les rivalités claniques et intercommunautaires, l'insuffisance de cadres nationaux ou de ressources financières, etc. Un autre argument souvent cité est que la loi pétrolière de 2010 dispose que la création d'une telle société sera considérée si et quand du pétrole ou du gaz sont découverts en quantités commerciales.

Ceux qui invoquent ce genre d'arguments semblent oublier que la plupart des sociétés pétrolières nationales dans le monde ne sont pas de simples traders ou de vulgaires distributeurs de produits pétroliers. Leur champ d'action ne se limite évidemment pas à l'exploration/production, mais s'étend de l'amont à l'aval, en passant par le transport, le raffinage, la distribution, la pétrochimie et bien d'autres activités qui y sont associées. Elles sont même devenues, surtout dans les pays en développement, la véritable colonne vertébrale de l'économie nationale. Pour avoir ignoré ces réalités basiques, le Liban est aujourd'hui le seul pays arabe, et l'un des rarissimes au monde, avec quelques contrées exotiques, à ne pas disposer d'une société pétrolière nationale.

 

(Lire aussi : Max Zaccar : Les compagnies pétrolières devraient être assurées par des acteurs locaux)

 

En tout état de cause, la création et le développement d'une telle société nécessitent des efforts énormes et une très stricte gouvernance pour éviter le gaspillage et, surtout, le clientélisme et la corruption. L'existence dans le monde d'une large diaspora de cadres pétroliers libanais qui travaillent dans des sociétés nationales ou internationales est un excellent atout pour attirer des nationaux qui ne demandent pas mieux, quand les conditions requises sont assurées, que de rentrer travailler dans leur pays. Quant à la corruption qui est malheureusement une menace bien réelle, elle peut être combattue par différents moyens, dont notamment la transparence, une loi anticorruption spécifique à l'industrie des hydrocarbures punissant sévèrement tout acte de corruption, des accords avec l'une ou l'autre des organisations internationales spécialisées comme l'OCDE, Transparency International, IETI ou Declare What You Pay.

 

Un autre moyen très efficace serait l'établissement d'une société nationale mixte associant l'État (avec un golden share) et le secteur privé. Parmi les avantages d'une telle société mixte figure la possibilité d'y intéresser directement le grand public, d'attirer d'importants capitaux privés et de mettre au point un système d'autosurveillance et d'autorégulation, donc de lutte directe contre la corruption et d'autres abus.

*Extraits d'un exposé présenté à la Chambre de commerce franco-libanaise, le 27 juin à Paris.

 

 

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commentaires (2)

FAUDRAIT AVANT TOUT SE DEBARRASSER DE TOUS LES ABRUTIS ET NULLITES QUI DECIDENT DE LA DESTINEE DE CE PAUVRE PAYS !!!

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 55, le 05 juillet 2016

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Commentaires (2)

  • FAUDRAIT AVANT TOUT SE DEBARRASSER DE TOUS LES ABRUTIS ET NULLITES QUI DECIDENT DE LA DESTINEE DE CE PAUVRE PAYS !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 55, le 05 juillet 2016

  • Le meilleur article sur le sujet. Informatif et detaille. Merci Mr Sarkis. Il me tarde de lire la suite

    Jihad Mouracadeh

    06 h 47, le 05 juillet 2016

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