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Culture - Œuvres sur papier

« Une nouvelle capitale libanaise », art ou canular ?

Une Beyrouth sans problèmes d'eau, d'électricité, de pollution ou de déchets ! Trop beau pour être vrai ?

Dans notre édition du samedi 25 juin, un article intitulé Une nouvelle capitale, qu'est-ce qui attend les Libanais ? dévoilait, à travers une interview croisée avec trois spécialistes, les détails des plans de développement d'une ville «idéale» où les problèmes de logement, d'eau potable, d'électricité, de pollution et de déchets seraient inexistants.
Les lecteurs ont évidemment réagi, au quart de tour, à la nouvelle qui semblait, pour certains, trop belle pour être vraie. «Surréaliste de bout en bout », a noté l'un des internautes. Et d'autres de renchérir: «Ça parle d'éoliennes, d'usines de déchets et les décideurs n'arrivent pas à s'entendre sur la nomination d'un président fantoche, l'exploitation du pétrole ou de nos problèmes d'électricité» ou encore : «Avant de construire une capitale, il faut construire un pays.»
Poisson d'avril tardif ? Oui et non. Ou plutôt : intervention artistique signée Ilaria Lupo, inspirée elle-même d'un canular. L'œuvre a même un nom et elle s'intitule Down the line. Elle s'inscrit dans le cadre du programme Un musée en devenir, de l'Association pour la promotion et l'exposition des arts au Liban (Apeal), avec la contribution de Temporary Art Platform (TAP) et le curatoriat d'Amanda Abi Khalil. Un projet intitulé Œuvres sur papier et au cours duquel douze artistes contemporains libanais sont intervenus dans quatre journaux de la presse quotidienne, dont L'Orient-Le Jour. Après Avis, de Sirine Fattouh (nos éditions du 30/4/2016 et du 4/5/2016) et Au lendemain, de Caline Aoun (nos éditions du 28/5/2016 et du 30/5/2016), Ilaria Lupo signait donc son Down the line le samedi 25 juin 2016.

Inspiration insomniaque
Son inspiration? «Au printemps dernier, The Executive Magazine a publié un article poisson d'avril sur la construction d'une nouvelle capitale libanaise. Le jour où j'ai lu l'article, se souvient Ilaria Lupo, je l'ai pris au sérieux. Le plan de construction d'une nouvelle capitale du Liban était en train de se mettre en place ! Dans l'agitation, j'ai cherché sur Internet toutes les références mentionnées, avant de me rendre compte que cela avait été publié le 1er avril. Dans le but de reproduire, chez d'autres lecteurs, ce moment d'étonnement, je me suis adressée à plusieurs amis urbanistes et architectes, et j'ai demandé leur avis sur le reportage, comme s'il avait été authentique.» «Les réactions ont été disparates : dans la ville tentaculaire, tout semblait possible. De là l'idée de dialoguer avec les responsables de cette provocation et donner encore plus de légitimité à leur création d'une réalité parallèle, tout aussi paradoxale qu'elle aurait pu être vraie », explique-t-elle.
Et l'artiste d'ajouter que l'auteur initial du canular en a eu l'idée à quatre heures du matin, en pleine crise d'insomnie. «Son article pourrait être une intrigue de science-fiction, où l'empire du mal l'emporte, et des personnages aux noms éloquents préparent des plans dans l'ombre : les BAD&Ass., Jeremiah "John" Bull, la mystérieuse Open Lebanese Society. Dans le cadre de l'interview qui m'est accordée, l'histoire continue, s'amplifie, s'enrichit de détails.»
L'artiste italienne qui vit à Beyrouth ne cache pas que son intention était aussi et surtout de réfléchir sur la nature de l'espace public. «Ce projet questionne aussi le rôle joué par le langage dans l'exégèse de réalités historiques et sociales », indique-t-elle.
À l'instar de divers projets qu'elle a réalisés dans le milieu urbain beyrouthin. Sa pratique artistique dans (et sur) l'espace public est en effet contextuelle, et vise à explorer différents formats et contextes brouillant les frontières entre l'art contemporain et d'autres champs sociaux.

Réalité et fiction
«Ma recherche est transversale et tout peut nourrir la toile que je tisse dans un projet, rien n'est exclu a priori, précise-t-elle. À Beyrouth, j'ai engagé des centaines de conversations et chacune m'a ouvert une nouvelle perspective. Quand un projet prend une forme finie, tous ces échanges périphériques en font partie, quelque part. »
Elle explique: «L'un des fils rouges de mes projets est de créer des situations apparemment réelles bien que paradoxales, ayant une autonomie qui puisse – ironiquement – défier l'interdépendance de l'œuvre avec son milieu de référence, celui de l'art. L'"autoréférentialité" de l'art peut-elle être mise en place tout en tissant une interférence avec le champ du réel ? En fait, pour moi, c'est une position politique tout autant qu'artistique, parce que cela questionne la place qu'il nous est donné d'occuper en tant qu'artistes. Ainsi que les limites de notre interaction avec la société. Pour cela, l'auteur de ce "poisson d'avril" concorde avec ma vision. »
Ilaria Lupo parle de Down the line comme d'une intervention contextuelle à Beyrouth, résonnant avec ses spécificités historiques et sociales. « Réalité et fiction s'y mêlent, alternant des considérations plutôt rationnelles avec des affirmations tout à fait absurdes. Le langage ne s'apparente plus à celui de la science-fiction, mais fait écho à la dialectique des "narratives" officielles. Elle touche également le champ de l'absurde, mais est pourtant omniprésente dans notre quotidien. Le néolibéralisme devenu idéologie du bien-être, voix du progrès social, interprète de l'histoire, se matérialise dans la parole.»
Son pseudonyme dans l'intervention est Christian Torald, en référence à l'architecte italien Cristiano Toraldo di Francia, l'un des fondateurs du mouvement d'architecture radicale utopique, qui a souhaité également se réapproprier le langage. «Sa contre-narration qui nous plonge dans une histoire atemporelle, où passé-présent-futur sont indistincts, est au chœur de l'idée d'architecture comme instrument critique de la société. Une idée d'architecture où les frontières des espaces de participation sont bien moins définies que ce que l'on vit aujourd'hui.»
À méditer...

M.G.H.

Dans notre édition du samedi 25 juin, un article intitulé Une nouvelle capitale, qu'est-ce qui attend les Libanais ? dévoilait, à travers une interview croisée avec trois spécialistes, les détails des plans de développement d'une ville «idéale» où les problèmes de logement, d'eau potable, d'électricité, de pollution et de déchets seraient inexistants.Les lecteurs ont évidemment...

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