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Liban - interview

L’historien James Barr à « L’OLJ » : Une Syrie « plus fédérale », un Liban qui inspire l’optimisme

Chercheur, journaliste, conférencier sollicité par certaines des plus prestigieuses universités britanniques, historien et auteur à succès, analyste politique auprès de l'ambassade du Royaume-Uni à Paris : à quarante ans à peine sonnés, James Barr a déjà porté toutes ces casquettes et il continue de plus belle, ajoutant même à ses activités celles de consultant. Son livre « A Line in the Sand » (Une Ligne sur le sable) fait référence à la question des accords Sykes-Picot de 1916 qui menèrent au découpage du Levant et d'une partie du Moyen-Orient après l'effondrement de l'Empire ottoman. C'est à ce titre d'ailleurs qu'il était l'un des invités de marque au séminaire organisé vendredi et samedi derniers par la Maison du Futur et la Fondation Konrad Adenauer pour le centenaire de ces accords. Dans un entretien qui s'est déroulé à la résidence de l'ambassadeur de Grande-Bretagne, Hugo Shorter, James Barr s'est aimablement prêté aux questions de Issa Goraieb.

 

Mes deux centres d'intérêt, confie-t-il, ont toujours été l'histoire du Moyen-Orient et l'Europe contemporaine, deux sujets bien différents. A Line in the Sand a été publié en 2011 et il pourrait être utile à vos lecteurs de savoir qu'une version française est en cours de traduction aux éditions Perrin. Le succès de ce livre s'explique par le fait qu'il s'agit là d'une histoire intéressante, pas très bien connue du grand public. En effet, celui-ci s'en était généralement tenu aux exploits de Lawrence d'Arabie (personnage auquel j'avais déjà consacré un premier livre) sans très bien se renseigner sur la période des mandats français et britannique, en particulier au Liban, en Syrie et en Palestine ; c'est bien la raison pour laquelle la seconde moitié de l'ouvrage est consacrée en grande partie à ces trois cas, allant ainsi jusqu'à la fin des années 40.

Ces lignes tracées sur le sable sont-elles vraiment en train de s'effacer ?
Les accords Sykes-Picot ont lancé un processus qui ne s'est matérialisé que dans le cadre d'accords ultérieurs signés vers la fin des années vingt, lesquels ont fixé les frontières entre États. Il faut d'ailleurs rappeler que ces accords ont repris en gros les lignes administratives ottomanes, articulées autour d'une série de cités-États.

Au fait, les frontières ne sont toujours pas tracées entre le Liban et la Syrie
Vraiment ? Oui, of course !
Toujours est-il que ce processus a créé le sentiment que les politiques intérieures sont éternellement tributaires des interférences étrangères. Voilà pourquoi quand on parle d'accords Sykes-Picot qui ont mal tourné, c'est pour se plaindre du fait qu'on n'est pas maître de ses destinées.

Ce sentiment a-t-il changé ?
Je crois que non, vous le savez sans doute mieux que moi. À la vue de ce qui se passe en Syrie et des tractations entre le Russe Lavrov et l'Américain Kerry, le processus diplomatique est confus et les gens se demandent ce qui se prépare, si les frontières vont être redessinées, car les politiques des uns et des autres ne sont pas suffisamment claires.

Ce qui est clair pourtant, c'est qu'un partage des zones d'influence dans la région est en cours
Je ne sais trop. Ce qui est certain, c'est que la Russie cultive son influence en Syrie depuis les années cinquante. Et ce qu'il me paraît opportun de relever, c'est que l'intérêt des États-Unis pour le Liban et la Syrie était beaucoup plus marqué à cette même époque, quand il s'agissait de la construction de l'oléoduc de la Tapline, dossier qui a suscité de fortes ingérences américaines.


(Lire : La carte du Proche-Orient revisitée : les frontières sont et resteront immuables)

À la différence du siècle dernier, les actuelles superpuissances doivent toutefois compter avec ces puissances régionales que sont l'Iran, la Turquie, l'Arabie saoudite et Israël.
C'est bien plus compliqué aujourd'hui, en effet, et voilà pourquoi les États-Unis ont du mal à freiner certaines initiatives ou velléités d'intervention dans le conflit de Syrie – ce que l'on appelle des plans B – de la part de leurs alliés régionaux. Certains experts ont évoqué à ce propos des plans d'invasion terrestre de la Syrie.

En tant qu'historien croyez-vous que le Liban a été effectivement dépecé de la Syrie, sachant pourtant qu'aucune entité politique syrienne n'existait sous l'Empire ottoman et que le terme de Syrie avait surtout une connotation géographique ?
Hum !... J'ai visité les deux, et je crois qu'il y a là deux pays totalement différents.

Croyez-vous que la Syrie retrouvera un jour sa forme d'avant la rébellion ?
Oui. Je ne crois pas en outre que l'État islamique cherche réellement à redessiner les frontières au Levant car cela provoquerait une conflagration régionale, un désastre. À court terme, la carte de papier et les réalités sur le terrain ne vont pas concorder, car la guerre a créé une cascade de mini-États, des seigneurs de guerre se sont aménagé des zones de pouvoir local, de petits royaumes bien à eux. Il faudra quelqu'un de fort pour réunifier le pays, et cela devrait arriver un jour. La leçon de Sykes-Picot est que l'on ne peut pas imposer des frontières du dehors car celles-ci resteront matière à contestation. C'est de l'intérieur que doit provenir l'effort, même si l'aide extérieure peut s'avérer utile. La solution pour la Syrie ? Quelque chose de plus fédéral pour ce pays qui fut fortement centralisé, même si l'expérience tentée par le mandat français (État alaouite, État druze, etc...) n'a pas été très heureuse...


(Lire aussi : Rétrospective : Sykes-Picot, la ténacité d’un mythe)

 

Comment voyez-vous l'avenir du Liban ?
Je souhaite vivement d'abord que les Libanais surmontent leurs actuelles crises. Ce qui ne cesse de m'impressionner, c'est l'optimisme et l'énergie de votre peuple, sa confiance dans le pays, toutes qualités qui inspirent à leur tour l'optimisme et que je ne retrouve pas toujours parmi les Britanniques, par exemple.

Peuple, dites-vous bien, malgré les antagonismes sectaires et autres qui divisent les Libanais ?
Il n'y a pas lieu de s'en alarmer, bien au contraire ;
la mondialisation aidant, tous les pays connaissent aujourd'hui la question ; il y a débat sur la définition de l'identité britannique, dans un royaume où nombre de sujets ne peuvent même pas parler l'anglais ! C'est vrai que la question est plus préoccupante ici, que l'on peut parfois s'y sentir plus vulnérable qu'ailleurs. Pour ma part, le seul fait de poser le pied ici m'amène à me sentir plus optimiste. C'est vrai, j'adore être au Liban.

Que peut-on imaginer pour les Kurdes ?
Les experts du siècle dernier pensaient que tout État totalement enserré par des frontières uniquement terrestres n'avait pas trop de chances de perdurer car ses échanges avec l'extérieur seraient tributaires du bon vouloir de ses voisins. Les Kurdes souffrent aujourd'hui de ce problème, sans parler des fortes réticences des puissances qui abritent des minorités de cette ethnie. Que voulez-vous, tout le monde n'est pas la Suisse...

 

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commentaires (5)

On dirait du "radis" : Rose à l'extérieur, blanc à l'intérieur, et toujours près du beurre !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

20 h 03, le 24 mai 2016

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Commentaires (5)

  • On dirait du "radis" : Rose à l'extérieur, blanc à l'intérieur, et toujours près du beurre !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    20 h 03, le 24 mai 2016

  • DANS QUEL SUPER MARKET ON PEUT ACHETER CA ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 43, le 24 mai 2016

  • Il n'apporte pas d'eau à notre moulin , en tout cas pas le mien ! Peuple, dites-vous bien, malgré les antagonismes sectaires et autres qui divisent les Libanais ? Hezbollah résistant inclus ???????????? lollllll....

    FRIK-A-FRAK

    12 h 48, le 24 mai 2016

  • "Chercheur, journaliste, conférencier sollicité par certaines des + prestigieuses universités, historien et auteur à succès, analyste politique : à quarante ans à peine sonnés, James Barr a déjà porté toutes ces casquettes et il continue de plus belle, ajoutant même à ses activités celles de consultant. Et il était l'un des invités de marque au séminaire organisé par la Maison du Futur et la Fondation Konrad Adenauer." ! Tout ça, pour ça : "Que voulez-vous, tout le monde n'est pas la Suisse." !?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    06 h 40, le 24 mai 2016

  • jolie et limpide !!

    Bery tus

    03 h 30, le 24 mai 2016

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