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Moyen Orient et Monde - Focus / Chrétiens d’Orient

Comment l’Église nestorienne a été la plus active au Kirghizistan dès 498...

Si cette république est laïque, c'est sans doute grâce à son passé profondément multireligieux.

Des fidèles orthodoxes célèbrent l’Épiphanie au Kirghizistan. Archives/Photo AFP

Situé à l'est de l'Asie centrale, le Kirghizistan* est un pays au passé multiple et à majorité musulmane. Tout au long de son histoire, il se caractérise par son multiculturalisme, son multilinguisme et la multiplicité des religions qui y ont coexisté.

Le Kirghizistan abrite des complexes religieux très riches et de toutes obédiences, véritables vestiges vivants de l'histoire. Les traces en abondent à Bichkek et autour de Tokmak, à Burana (cité de Balasagun), avec son petit musée (dont la tour de Burana), à Nevaket, à Ak-Beshim (ancienne Suyab), des sites inscrits au patrimoine de l'Unesco depuis le 15 juin 2014 et qui nécessitent protection.
Parmi eux, des lieux à histoire chrétienne, dont les traces sont encore visibles et font l'objet de recherche par les archéologues, les épigraphistes, les linguistes et les historiens. Dans ce cadre, c'est l'Église d'Orient nestorienne qui, parmi les chrétiens d'Orient, a été la plus active, partant de la Mésopotamie et de Perse jusqu'en Chine.
En effet, les chroniques et les documents historiques nous apprennent qu'avant d'être islamisés, les Turcs et d'autres peuplades d'origine touranienne avaient embrassé le christianisme principalement nestorien dès 498, ainsi que des Mongols. Au VIIe siècle (en 644), de nombreux Turcs se convertissaient. D'ailleurs, le terme Turkayé (Turcs) apparaît dans les chroniques syriaques vers la fin du VIe siècle et dans les lettres du patriarche Timothée Ier (779-823), où il affirme avoir nommé des évêques pour leur région.

La ville de Nevaket est mentionnée comme un évêché au VIIIe siècle sous la juridiction du métropolite de Kashgar (Chine). Il est confirmé qu'il y avait des chrétiens nestoriens dans ce pays du VIIe au XIVe siècle. De nombreux travaux paraissent sur cette question aujourd'hui. Sous cet angle, ce pays semble unique et fournit des signes d'interculturalité, voire de syncrétisme.

Inscriptions sur les pierres tombales
À partir de 1885, un événement capital se produit au Kirghizistan, et voici qu'un passé longtemps enfoui sous les décombres refait surface. En effet, grâce aux excavations conduites par des archéologues russes, on a découvert des cimetières chrétiens nestoriens situés entre les villes de Pichkek et de Tokmak, sur la rivière Tchou et ailleurs, qui contiennent des centaines de tombes des XIIIe et XIVe siècles, avec des inscriptions funéraires en syriaque (ou araméen). Le professeur M. D. Chwolson fut un des premiers à les avoir déchiffrées et traitées dans des publications présentées à l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg entre 1886 et 1897. D'autres publications suivront.

Les inscriptions sur les pierres tombales ont été longuement étudiées et en détail par les spécialistes et les experts. Écrites en araméen classique (estrangelo) avec des croix gravées au milieu des pierres tombales, elles sont une grande source de connaissance. Ainsi, on découvre que ces chrétiens d'Orient avaient des complexes religieux et l'on constate que c'était une Église bien organisée et hiérarchisée. Aussi est-on frappé de découvrir des communautés nestoriennes importantes qui ont construit des monastères, qui vivaient en harmonie avec les autres religions et contribué à l'édification du pays.

Beaucoup parmi ses fidèles appartenaient à l'ethnie turque et parlaient le turc. Il semble que le turc était la langue dominante, et avec l'islamisation, elle a adopté l'alphabet arabe. Quant à l'araméen, il n'apparaît pas en usage public mais était probablement limité à la liturgie. Ces chrétiens s'adaptaient aux cultures et traditions locales, gardaient les noms originaux à consonance régionale, souvent turcs, et respectaient les cosmogonies d'origine. On trouve des prénoms chrétiens de défunts tirés de l'Ancien et du Nouveau Testament. Par exemple, des femmes portaient le prénom araméen Sliwa qui veut dire croix. Ce faisant, on assistait à des mélanges de prénoms chrétiens syriaques et de noms turcs. Un dialogue des cultures avant la lettre.

« En harmonie avec la nature »
Les peuples ont un imaginaire. Le Kirghizistan indépendant n'a pas imposé de religion d'État et il est certain que le passé multireligieux et multiculturel, ajouté à l'influence russe et soviétique, a joué positivement dans le choix en faveur de la laïcité, la liberté de conscience et la reconnaissance des minorités.
Depuis l'indépendance du pays et la fin de l'URSS en 1991, et en dépit du fait que la majorité de la population soit musulmane sunnite de rite hanafite (75 % de la population) et ethniquement kirghize (65 %), le pays a opté pour un régime laïc et séculier.

Le préambule de sa Constitution, adoptée le 27 juin 2010, affirme que le peuple kirghize agit notamment « sous le commandement de nos ancêtres de vivre en paix et concorde, en harmonie avec la nature ». La Loi fondamentale stipule que la République kirghize est un État souverain, démocratique, séculier, unitaire et social gouverné par la loi (art. 1.1). L'article 7 prescrit qu'aucune religion ne sera reconnue comme religion d'État et que la religion et tous les cultes seront séparés de l'État. Le même article ajoute que l'implication des associations religieuses et des ministres du culte dans les activités des autorités de l'État sera prohibée.

Pour ce qui est des droits linguistiques, le kirghize est la langue de l'État. Le russe sera utilisé en sa qualité de langue officielle. Quant aux membres des ethnies (35 % de la population) qui forment la population du Kirghizistan (Ouzbeks 13,8 %, Russes 12,5 %, Ukrainiens, Allemands, Dounganes, Ouïgours...), ils ont le droit de préserver leur langue maternelle et de promouvoir les conditions de son apprentissage et de son développement (art.10). En matière d'appartenance ethnique, il est écrit que chacun aura le droit de déterminer et de déclarer librement son ethnicité, et nul ne sera forcé de le faire ou de le renier (art. 38).
Le droit à la liberté de pensée et d'opinion est garanti (art. 31) ainsi que la liberté de conscience et de croyance (art. 32). Dans ce cadre, chacun a le droit de choisir librement et d'avoir une religion ou d'autres convictions, et nul ne sera forcé de déclarer sa religion et d'autres convictions ou de les renier.

Cela dit, il ne faut pas se voiler la face. Ce jeune pays qui se cherche au plan de l'identité reste vulnérable pour des raisons internes et externes. Il est confronté à des tensions ethniques et des affrontements parfois sanglants entre Ouzbeks et Kirghizes, et à des mouvements islamistes radicaux çà et là. Mais de la Constitution kirghize, trois données importantes doivent être retenues : la laïcité de l'État, la liberté de conscience et la reconnaissance de la diversité culturelle.

* Nous étions au Kirghizistan du 27 mars au 1er avril à l'invitation de l'Institut français d'études sur l'Asie centrale (Ifeac) pour participer à un colloque international à Bishkek sur le thème « Education and Cultural Diversity in Central Asia ».

Joseph Yacoub
Professeur honoraire de l'Université catholique de Lyon.
Ancien titulaire de la chaire Unesco « Mémoire, cultures et interculturalité ».
Spécialiste des chrétiens d'Orient, il est l'auteur de « Qui s'en souviendra ? 1915, le génocide assyro-chaldéo-syriaque », éd. du Cerf, Paris, 2014 ; à paraître traduit en anglais : « Year of the Sword », Hurst, Londres, juillet 2016, et « Oubliés de tous, les assyro-chaldéens du Caucase » (coécrit avec son épouse Claire Yacoub), Cerf, octobre 2015.

Situé à l'est de l'Asie centrale, le Kirghizistan* est un pays au passé multiple et à majorité musulmane. Tout au long de son histoire, il se caractérise par son multiculturalisme, son multilinguisme et la multiplicité des religions qui y ont coexisté.
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