Deux expositions, organisées par le World Chess Hall of Fame américain et qui s'y tiennent encore, tentent de modifier une perception que peuvent avoir certains selon laquelle les femmes seraient moins portées et moins expertes en matière d'échecs. Et montrer qu'elles sont tout à fait capables de bouger les pions avec grande maestria. Elles ont également pour objectif d'intéresser davantage les femmes à ce jeu. « C'est une bataille quelque peu ardue, nous explique l'un des responsables du WCOF. D'autant que la réputation sexiste des échecs a été maintes fois mise en évidence. » Notamment par une déclaration incendiaire du grand maître international britannique Nigel Short, qui avait affirmé d'une manière assez rustre, en avril dernier au magazine New in Chess, que les femmes ne sont pas programmées pour cet exercice mental. Des déclarations promptement rejetées par Susan Polgar, première femme à décrocher le titre de grand maître international en 1991, avant de s'emparer du titre de championne du monde d'échecs, de 1996 à 1999.
Même si les femmes affichant un tel palmarès ne sont pas légion, les joueuses se sont frayé un chemin entre les cases blanches et noires (masculines) depuis le VIe siècle et ont affronté des adversaires des deux sexes. C'est ce que révèle l'exposition organisée par le World Chess Hall of Fame sous le titre « Her Turn : A Female Perspective On Chess » (À elle de jouer : un point de vue féminin sur les échecs). Elle relate l'histoire des joueuses qui se sont démarquées et imposées dans cet univers, du XIXe siècle à aujourd'hui. En particulier celle de Nona Gaprindashvili, une Géorgienne six fois championne du monde entre 1962 et 1978, et celle, incroyable, du clan Polgar. Zsuzsa, Zsofia et surtout Judit, surnommée le « Mozart des échecs » pour avoir remporté le titre de championne du monde à... 12 ans. Un trio qui a réussi à prouver la théorie de leur père, selon qui n'importe quel enfant jouissant d'une bonne santé peut devenir un prodige. Et devenir reine du jeu. Rappelons enfin que la reine, pièce la plus puissante, la plus dangereuse et la plus menaçante pour ses partenaires, majoritairement masculins, a pris cette envergure à partir du XVe siècle, s'inspirant du règne de quelques femmes fortes : Eleanor d'Aquitaine, Isabelle de Castille ou encore la grande Catherine.
Les échiquiers de Sophie Matisse et Yoko Ono
Quant à l'aspect esthétique du jeu, il est abordé dans une exposition parallèle, intitulée « Ladie's Knight : A Female Perspective On Chess » (Le cavalier des dames : un point de vue féminin sur les échecs). Cette exposition, organisée en parallèle, invite à féminiser les échecs car 14 % des membres de la Fédération américaine des échecs sont actuellement des femmes, et une seule d'entre elles fait partie des cent meilleurs joueurs au monde.
Ce jeu tactique de l'esprit n'en demeure pas moins fascinant pour de célèbres femmes artistes, Crystal Fischetti, Debbie Han, Barbara Kruger, Liliya Lifanova, Goshka Macuga, Sophie Matisse, Yoko Ono, Daniela Raytchev, Jennifer Shahade, Yuko Suga, Diana Thater et Rachel Whiteread, qui en l'interprétant ont voulu montrer qu'il pouvait être à la fois cérébral et source de belles compositions visuelles. Une quinzaine de toiles et d'installations révèlent leur manière de jouer. Parmi elles, Sophie Matisse a conçu en 2009 deux échiquiers et des pions aux couleurs éclatantes, sur fond de formes géométriques de même tonalité. L'artiste, née à Boston en 1965, est la fille du sculpteur Paul Matisse, la petit-fille du marchand d'art Pierre Matisse et l'arrière-petite-fille du peintre français Henri Matisse dont elle a, de toute évidence, retenu la palette. Elle avait aussi pour grand-père par alliance Marcel Duchamp, inventeur du ready-made, qui avait épousé sa grand-mère en secondes noces. De plus, toute cette dynastie du grand art jouait aux échecs.
Une non moins remarquable et significative création, de tendance très zen, est signée Yoko Ono. Cette artiste conceptuelle japonaise et veuve d'un des Beatles, John Lennon, l'a baptisée Play it by trust. Il s'agit d'une table blanche dont le centre a été gravé de cases, toutes blanches, différenciées par leurs niveaux. L'ensemble porte à une réflexion calme, comme pour faire avancer le plan du joueur, en comptant sur la confiance de son partenaire pour identifier les pièces, toutes blanches, et gagner sans violence. Comme le disait si bien Mme de Sévigné : « Les échecs est le plus beau et le plus raisonnable des jeux. »
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