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Moyen Orient et Monde - Reportage

À Calais, les Syriens reforment un peuple

« Assad et Daech sont tous deux des terroristes », martèlent des réfugiés de Damas et de Raqqa, qui rêvent de retourner un jour en Syrie, et dont l'odyssée s'est arrêtée dans le port français devenu jungle...

Photo Paul Hanot.

Lorsque le soleil gris fait place au crépuscule, la « jungle » de Calais s'éveille au rythme du ronronnement des générateurs et du bruit des pas dans la boue. Dans la principale artère commerciale où l'on peut acheter bonbonnes de gaz, oignons et petit plats, l'écho d'une musique de Shakira émane d'un bar tchadien. La douce mélodie attire un groupe d'Irakiens qui n'hésitent pas à esquisser quelques pas de danse.


Plus loin, en bordure du camp, Maher, agenouillé dans la pénombre, dépose son téléphone portable et se saisit de l'une des deux chandelles posées à côté de son lit. « Ma famille me manque le plus, mes amis d'enfance aussi. L'air en Syrie me manque, ainsi que l'eau et la pluie », explique le jeune réfugié syrien en faisant couler de la cire sur une boîte de conserve afin d'y fixer la bougie. « C'est romantique », sourit le Damascène de 24 ans, ses yeux sombres éclairés par la lueur de la petite flamme.


Maher, qui utilise un surnom, porte un bonnet assorti à son survêtement noir et une épaisse veste bleue qu'il a achetée à Nuremberg. L'Allemagne, il y a vécu trois semaines après avoir rejoint par bateau l'île grecque de Lesbos depuis la Turquie. Commence alors une odyssée à travers les Balkans avant de rejoindre l'Autriche, l'Allemagne et la France. Pour l'instant, son périple se termine ici, dans un petit cabanon en bois de la jungle de Calais où il est arrivé il y a deux mois.


Cet abri de moins de douze mètres carrés aux murs humides, Maher le partage avec un Syrien de Deraa. Dans cette océan de misères humaines où certains ont peu et d'autres moins encore, Maher ne se plaint pas. « C'est assez grand pour deux », dit-il en faisant tomber les cendres de sa cigarette dans une boîte de sardines vide.


Pour Maher et les milliers d'autres migrants qui peuplent le plus grand bidonville de France, la ville portuaire de Calais n'est qu'un point de passage, mais la durée du transit est indéterminée. Son « rêve », c'est le Royaume-Uni, où vit déjà son frère. Sa volonté de demander l'asile outre-Manche est aussi motivée par sa connaissance de l'anglais. « Mes amis en Allemagne m'ont dit que la langue est très, très difficile (à apprendre). On part de zéro », explique-t-il, estimant que « les Allemands ont toujours l'air fâché quand ils parlent. »

 

(Lire aussi : La France veut accélérer le démantèlement de la "Jungle" de Calais)

 

« L'armée syrienne tue mes frères »
Rejoint chez lui par son ami Ahmad, 20 ans, lui aussi originaire de Damas, les deux hommes s'échangent la pipette d'un narguilé en écoutant de la musique irakienne. Maher change alors de registre et joue sur son portable un clip du rappeur américain Kanye West où apparaît la « très belle » Kim Kardashian. « Non, elle n'est pas belle », proteste Ahmad en secouant la tête.


Quand ils n'écoutent pas de la musique, les deux amis vont au café pour jouer aux cartes et recharger leurs téléphones. C'est leur bien le plus précieux, leur seul moyen de communication avec leur famille restée en Syrie. Tous les deux ont fui pour ne pas être enrôlé de force dans l'armée du régime. « L'armée tue des Syriens, l'armée tue mes frères », assène Ahmad.


La jungle, c'est à Istanbul que Maher en a entendu parler pour la première fois. « En Turquie, on m'avait dit que ce n'était pas difficile de rejoindre le Royaume-Uni depuis Calais, mais ça l'est », affirme-t-il. Toute la difficulté, selon lui, c'est que certains groupes ont le monopole sur les meilleurs parkings où grimper dans les camions. Ahmad dit avoir déjà été menacé par des Kurdes pour avoir utilisé leur « spot ». « Il n'y a pas de parkings réservés pour les Syriens, on n'est pas assez nombreux », explique-t-il.
Découragés, beaucoup sont déjà repartis en Allemagne, « chez Mama Merkel », s'exclament Maher et Ahmad en même temps.


L'autre solution, c'est de faire appel aux professionnels, mais les prix sont exorbitants. « Les passeurs demandent 4 000 pounds », explique Maher. « 10 000 ! » l'interrompt Ahmad. « Oui, parfois ça va jusque 10 000 », acquiesce son aîné.

 

(Lire aussi : Pour des chrétiens d'Iran, c'est la côte belge plutôt que la jungle de Calais...)

 

« Pas ici, où on dort dans un poulailler... »
Mohammad a lui aussi pris un bateau vers Lesbos avant de commencer son périple à travers l'Europe, mais a eu moins de chance que Maher. Le 15 septembre, son embarcation a coulé avec ses soixante passagers. « C'était très, très dangereux. Les femmes et les enfants criaient », se souvient-il. Tous ont pu rejoindre l'île, sains et saufs.


Contrairement à Maher, ce n'est pas l'armée syrienne que Mohammad a fui, mais les jihadistes de l'État islamique. La jungle de Calais fait partie de ces rares endroits où un Syrien ayant échappé au régime à Damas peut habiter à moins de dix mètres d'un compatriote de Raqqa. Mais Maher ne fait aucune différence : « Bachar el-Assad et Daech sont tous deux des terroristes », assène-t-il.
Parti de Syrie avec l'équivalent de 2 000 euros, Mohammad a récemment dû demander à son oncle qui habite à Londres depuis vingt ans de lui envoyer de l'argent via Western Union. La traversée illégale vers le Royaume-Uni, ce jeune Syrien de 20 ans dit l'avoir tentée « plus de cinquante fois ». D'après lui, il est encore plus difficile de passer depuis les attentats de Paris.


Malgré la présence des jihadistes dans sa ville natale, il assure que sa vie était meilleure à Raqqa. « J'avais tout là-bas. De l'argent, ma famille et des amis. À Raqqa je n'avais pas froid, je vivais dans une maison. Pas comme ici, où on dort dans un poulailler », regrette-t-il.
Mohammad garde espoir de voir Londres un jour. Il veut y devenir professeur d'arabe. Maher, lui, veut reprendre des études d'agronomie. Mais il prévient : « Quand la guerre sera terminée, je veux rentrer en Syrie pour reconstruire mon pays. »

 

 

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Lorsque le soleil gris fait place au crépuscule, la « jungle » de Calais s'éveille au rythme du ronronnement des générateurs et du bruit des pas dans la boue. Dans la principale artère commerciale où l'on peut acheter bonbonnes de gaz, oignons et petit plats, l'écho d'une musique de Shakira émane d'un bar tchadien. La douce mélodie attire un groupe d'Irakiens qui n'hésitent pas à...

commentaires (1)

"A Calais, les Syriens reforment un "peuple" ?? Ne dîtes pas ça, voyons, sinon le petit Hitler va les décimer comme il le fait en Syrie.

Halim Abou Chacra

06 h 54, le 18 février 2016

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Commentaires (1)

  • "A Calais, les Syriens reforment un "peuple" ?? Ne dîtes pas ça, voyons, sinon le petit Hitler va les décimer comme il le fait en Syrie.

    Halim Abou Chacra

    06 h 54, le 18 février 2016

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