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Moyen Orient et Monde - Irak

« De ce côté, ce sont les Kurdes, de l’autre les Turkmènes »

L’appellation « Kurde » inscrite sur une porte, signe de la violence du conflit contre les Turkmènes.Jean Marc Mojon/AFP

Quand une flambée de violences a opposé Kurdes et Turkmènes de la ville de Touz Khourmatou en Irak, la maison d'Ahmad Hassan Majid s'est retrouvée du mauvais côté de la ligne invisible qui sépare les deux communautés.

Longtemps voisins dans cette cité du nord du pays connue pour sa production de sel, et alliés dans la lutte contre les jihadistes du groupe État islamique (EI), Kurdes et Turkmènes, aussi appelés Turcomans, se sont brutalement déchirés en novembre dernier après un incident à un check-point. Depuis, les affrontements ont cessé, mais les divisions entre les deux communautés sont désormais plus fortes que jamais.

Bordant un quartier kurde, la maison d'Ahmad Hassan, un Turcoman, a été parmi les premières à être incendiées lors des violences de novembre. Il ne reste plus que les murs et une partie du toit. Dans la dépendance où ce père de famille de 36 ans avait installé sa boutique de mariage, seule une robe a survécu. « J'ai tout perdu », se désole-t-il en montrant ses possessions carbonisées. Il avait investi plus de 200 000 euros pour construire la maison. La famille, qui ne peut plus vivre dans cette carcasse insalubre, a dû déménager. D'autant que la maison se trouve maintenant du « côté kurde ».

En effet, à quelques mètres de là, un mur de blocs de béton érigé à la va-vite après l'éclatement des violences coupe brutalement une rue, établissant dans les faits une frontière jusqu'alors invisible. « De ce côté, ce sont les Kurdes, de l'autre les Turkmènes », explique Ahmad Hassan.
Aujourd'hui, des familles kurdes et turcomanes de Touz Khourmatou échangent leurs maisons des deux côtés de la ligne de séparation pour aller vivre au milieu des leurs. Les quartiers autrefois multiethniques deviennent mono-ethniques.

 

( Lire aussi : La politique turque en Syrie : du bon voisinage aux alliances contradictoires et dévastatrices)

 

« Pas d'autre endroit où vivre... »
Nihan Bahaeddine, elle, est revenue vivre chez elle après les affrontements, même si sa maison se retrouve à présent côté kurde. « C'est dangereux, mais nous n'avons pas d'autre choix (...). Les soldats ont laissé un désastre mais nous n'avons pas d'autre endroit où aller vivre », dit cette professeur turcomane de biotechnologie de 35 ans. En juin 2014, elle avait déjà dû fuir sa maison à Mossoul quand l'EI avait conquis cette deuxième ville d'Irak. À Touz Khourmatou, elle a retrouvé sur les murs de la chambre des enfants et dans le couloir des inscriptions clamant : « Touz fait partie du Kurdistan. »

À la faveur de la lutte contre l'EI, les forces kurdes ont pris le contrôle de zones au-delà des frontières de leur région autonome, comme Touz Khourmatou, et elles les intégreraient volontiers au Kurdistan irakien. Mais les milices chiites irakiennes, qui, elles aussi, se battent contre l'EI et comptent de nombreux Turkmènes dans leurs rangs s'y opposent.
Touz Khourmatou, ville de 100 000 habitants contrôlée par les milices chiites et les peshmergas kurdes, est aujourd'hui au cœur de cette lutte d'influences.

 

(Lire aussi : En Irak, la tranchée de la discorde entre Kurdes et Turkmènes )

 

« Kurdes » à la peinture
C'est un incident le 12 novembre à un check-point qui a mis le feu aux poudres. Selon des sources kurdes et turkmènes, environ 110 maisons et au moins 200 commerces, les deux tiers appartenant à des Turcomans, ont été incendiés ou endommagés lors des violences qui ont suivi. Au moins dix Turkmènes et huit Kurdes sont morts, selon le responsable kurde Shallal Abdoul Baban. L'hôpital a été incendié et un chirurgien tué.

Un rapport publié cette semaine par Human Rights Watch a établi que des civils avaient été visés uniquement en raison de leur origine ethnique. Les agresseurs « ont tué, kidnappé et détruit de nombreuses propriétés dans l'impunité totale », a souligné l'organisation de défense des droits de l'homme. Pour éviter que leurs échoppes ne soient brûlées, des commerçants ont écrit à la peinture « Kurdes » sur les portes. Les inscriptions sont toujours visibles.

Les rivalités entre Turcomans et Kurdes vont bien au-delà de Touz Khourmatou. Cette semaine, des responsables turkmènes ont dénoncé la construction par les Kurdes d'une large tranchée qui traverserait l'Irak d'Est en Ouest. Les Kurdes se défendent en affirmant qu'elle vise à se protéger de l'EI. Mais les Turkmènes estiment qu'elle vise à agrandir leur région autonome du Kurdistan.
Une nouvelle source d'angoisse pour les Turkmènes de Touz Khourmatou qui craignent de se retrouver du mauvais côté de la tranchée même s'ils sont du bon côté du mur séparant leur ville.

 

Pour mémoire
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