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Moyen Orient et Monde

Une histoire américaine des tapis de bombes

Donald Trump, le favori républicain dans la course à la Maison-Blanche, a promis « de défoncer l’EI à coups de bombes ». « Suite à une rhétorique de ce genre (de la part de tous les candidats républicains), il n’y a rien d’étonnant à ce que, selon un récent sondage, près de 30 % des électeurs républicains, et 41 % des partisans de Trump, soient favorables au bombardement d’Agrabah, la scène centrale (et imaginaire) du dessin animé ‘‘Aladdin’’ de Disney. Le lieu a une consonance arabe, c’est amplement suffisant », soutient Ian Buruma. Aaron P. Bernstein/Getty Images/AFP

Ted Cruz, l'un des candidats républicains à la présidence des États-Unis, a récemment déclaré que sa solution à la crise au Moyen-Orient consistait à « envoyer des tapis de bombes » sur l'État islamique (EI), pour voir si « le sable peut briller dans le noir ». Donald Trump, le favori républicain, a promis « de défoncer l'EI à coup de bombes ». Un troisième candidat, Chris Christie, a proféré des menaces de guerre envers la Russie.
Suite à une rhétorique de ce genre de la part de leurs candidats, il n'y a donc rien d'étonnant à ce que, selon un récent sondage, près de 30 % des électeurs républicains (et 41 % des partisans de Trump) soient favorables au bombardement d'Agrabah, la scène centrale (et imaginaire) du dessin animé Aladdin de Disney. Le lieu a une consonance arabe, c'est amplement suffisant.
Une manière d'interpréter une telle rhétorique belliqueuse consiste à supposer que ses promoteurs sont sûrement des monstres assoiffés de sang. Une opinion plus charitable revient à dire qu'ils sont atteints d'un manque consternant de mémoire historique et de projection morale. Aucun d'entre eux n'a fait en personne l'expérience de la guerre. En outre, ils sont manifestement incapables de saisir les conséquences de leurs discours.
Pourtant, même une connaissance superficielle d'une histoire assez récente suffit à comprendre que « défoncer les gens à coups de bombes » ne contribue guère à gagner les guerres. Cela n'a pas marché au Vietnam et il est peu probable que ce soit le cas en Syrie ou en Irak. Même les nazis n'ont pas été vaincus par les tapis de bombes. Comme l'ont démontré des études d'après-guerre menées par les armées de l'air américaine et britannique, les chars russes ont fait davantage pour faire tomber la Wehrmacht qu'un bombardement aérien des villes allemandes.
Cela soulève la question, fort à propos en ce début d'année, des leçons que nous pouvons tirer de l'histoire. Après tout, rien n'est absolument identique à ce que nous avons connu dans le passé.
Il est probablement vrai que nous ne pouvons pas nous attendre à ce que l'histoire nous dise quoi faire dans chaque crise. Mais étant donné que certains schémas du comportement humain se répètent, la connaissance du passé peut nous aider à mieux comprendre notre époque. Le problème est que les politiciens – et les commentateurs – choisissent souvent de mauvais exemples à l'appui de leurs positions idéologiques.
Par exemple, comme peu de gens sont apparemment en mesure de se remémorer des faits plus anciens que la Seconde Guerre mondiale, les exemples choisis dans les années 1930 et 1940 sont la plupart du temps déformés. Chaque fois que l'on nous encourage à nous opposer à un dictateur, le spectre d'Adolf Hitler est invoqué et les fantômes de 1938 sont ressuscités pour contrer le scepticisme au sujet d'une guerre précipitée « préventive ». Ceux qui ont eu des doutes quant à l'invasion de l'Irak par George W. Bush sont considérés comme des « conciliateurs », semblables à Neville Chamberlain.
Notre attention quasi exclusive aux nazis et à la Seconde Guerre mondiale nous empêche de trouver d'autres parallèles historiques, peut-être plus instructifs. Les terribles guerres qui se déroulent actuellement au Moyen-Orient, par l'opposition féroce de sectes religieuses révolutionnaires et de chefs tribaux, contre des dictatures impitoyables soutenues par une grande puissance ou par une autre, ont beaucoup plus de choses en commun avec la guerre de Trente Ans qui a dévasté une grande partie de l'Allemagne et de l'Europe centrale de 1618 à 1648.
Pendant trois décennies, les armées en maraude ont assassiné, pillé et torturé tous les villages et les villes sur leur passage. La plupart de ceux qui ne furent pas tués sont morts de faim ou des maladies transmises par un grand nombre d'hommes armés.
Comme les guerres actuelles, la guerre de Trente Ans est souvent considérée comme un conflit essentiellement religieux, mais entre catholiques et protestants. En fait, une fois encore, tout comme pour la violence actuelle dans laquelle le monde arabe est embourbé, la situation était beaucoup plus compliquée. Des soldats mercenaires protestants ou catholiques ont changé de camp à chaque fois que cela leur convenait, lorsque le Vatican a soutenu les Princes protestants allemands, ou que la France catholique a soutenu la République protestante néerlandaise et que de nombreuses autres alliances ont été forgées au-delà des clivages sectaires.
En réalité, la guerre de Trente Ans fut une lutte pour l'hégémonie européenne entre les monarchies des Bourbon et des Habsbourg. Tant que l'une n'a pas été assez forte pour dominer l'autre, la guerre a continué, en provoquant des souffrances horribles parmi les paysans et les citadins innocents. Tout comme au Moyen-Orient de nos jours, d'autres grandes puissances (la France, le Danemark et la Suède, entre autres) ont pris part au conflit en soutenant un camp ou l'autre, dans l'espoir d'obtenir un avantage pour elles-mêmes.
La similitude avec les guerres en Syrie et en Irak est frappante. L'EI est une rébellion sunnite brutale contre les dirigeants chiites. Les États-Unis s'y opposent, mais également l'Iran, une puissance chiite, et l'Arabie saoudite, dirigée par des despotes sunnites. L'axe principal du conflit au Moyen-Orient n'est pas religieux ou sectaire, mais géopolitique : une lutte pour l'hégémonie régionale entre l'Arabie saoudite et l'Iran. Ces deux puissances sont des bailleurs de fonds entre grandes puissances et elles attisent délibérément les fanatiques religieux. Mais les différences théologiques ne sont pas la clé qui permet de comprendre l'escalade de la violence.
Quelles leçons pouvons-nous tirer de tout cela ? Certains soutiendront peut-être que seule une réforme religieuse profonde apportera la paix à long terme au Moyen-Orient. Mais bien que la réforme de l'islam puisse être souhaitable en soi, elle ne mettra pas fin à la guerre toute proche.
Le président syrien Bachar el-Assad ne se bat pas pour une secte de l'islam (dans son cas, celle des alaouites), mais pour sa survie. L'EI ne se bat pas pour l'orthodoxie sunnite, mais pour un califat révolutionnaire. La lutte entre l'Arabie saoudite et l'Iran n'est pas religieuse, mais politique.
Il y a eu des moments au cours de la guerre de Trente Ans où un règlement politique aurait pu être possible. Mais la volonté de profiter de ces opportunités a manqué. Un parti ou un autre a recherché un plus grand avantage dans la poursuite de la lutte (ou en encourageant les autres dans ce sens).
Ce serait une tragédie si des opportunités similaires étaient manquées de nos jours. Les règlements exigent des compromis. Les ennemis devront finir par se parler. La vantardise sous forme de tapis de bombes et les accusations de complaisance à l'encontre de ceux qui tentent de négocier ne feront que prolonger le martyre, si elles ne provoquent pas une catastrophe encore plus grande. Et cela aura des répercussions sur la plupart d'entre nous.

© Project Syndicate, 2016.

Ted Cruz, l'un des candidats républicains à la présidence des États-Unis, a récemment déclaré que sa solution à la crise au Moyen-Orient consistait à « envoyer des tapis de bombes » sur l'État islamique (EI), pour voir si « le sable peut briller dans le noir ». Donald Trump, le favori républicain, a promis « de défoncer l'EI à coup de bombes ». Un troisième candidat,...

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