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Culture - Rencontre

Derrière le buisson, l’indescriptible mêlée des secrets cachés

Avec sa nouvelle exposition « Let Me Stay a Little Longer », l'artiste libano-koweïtienne Tamara al-Samerraei se questionne face à la violence du sexe.

« Corridor » de Tamara al-Samerraei.

Tout commence avec une photographie, un souvenir, ou bien les deux. Qu'elles soient issues d'un album de vacances ou du Web, Tamara al-Samerraei s'inspire de ces photos, les transforme et les télescope. Avec le logiciel Photoshop, elle fait des montages et donne vie à de nouvelles photographies, imaginaires celles-ci. Une fois ce procédé réalisé, l'artiste se laisse porter par ses pinceaux. À l'instar de son œuvre Corridor, inspirée d'une photographie d'un ancien hôtel en Sardaigne, à laquelle l'artiste a intégré les jambes d'un corps inerte – ensommeillé ou déjà décédé – au premier plan. Tandis qu'à l'arrière-plan, les silhouettes, basées sur des images pornographiques récoltées sur Internet, d'un couple en plein ébat apparaissent derrière une végétation. L'œuvre n'a pourtant rien d'une ode à la sexualité débridée. L'artiste enchevêtre les corps dont le spectateur – placé dans le rôle du voyeur – ne sait pas s'il fait face à une scène d'intimité consentante ou de viol, le malaise s'installe.


Née en 1977 au Koweït, de l'union d'un père koweïtien aux origines irakiennes et d'une mère libanaise, Tamara al-Samerraei emménage à Beyrouth en 1995 pour étudier les beaux-arts à l'Université libano-américaine (LAU). Huit années durant, elle est l'assistante de l'illustratrice Najah Taher, ce qui lui permet d'avoir aussi son atelier. «La peinture est le médium que j'ai toujours aimé explorer. J'allais dire que c'est ce avec quoi je suis à l'aise, mais finalement c'est tout le contraire. À partir du moment où l'œuvre est commencée, on conçoit un problème et on doit ensuite trouver une solution», commente la trentenaire en souriant.

 

Frontières floues
Lorsqu'elle peint avec son acrylique et ses pastels, la brune aux cheveux frisés se lance dans un processus d'incessante remise en question. « Il m'arrive très souvent d'avoir une idée, de tenter de la peindre, puis de finir par tout jeter. Aussi, lorsqu'un seul élément me plaît, je le découpe avec un ciseau, plusieurs fois, et je l'intègre à un autre tableau, raconte-t-elle d'une voix aussi douce que granuleuse. Je ne bazarde pas forcément la toile qui ne me plaît pas, je la couvre d'une autre couche de peinture et cela devient autre chose. » L'artiste, aux œuvres aux différentes strates de lecture, a la spécificité de ne pas peindre sur des toiles tendues, mais collées contre un mur sans aspérité. « Je ne peux pas me contraindre à un format. Aussi, je me suis habituée à peindre ainsi car j'amoncelle les couleurs, je découpe la toile et je la gratte. Je ne pourrais plus travailler autrement», confie-t-elle.


Au contraire, lorsqu'il s'agit de parler de ses peintures, l'artiste ne veut pas trancher. Elle cultive volontairement les ambiguïtés, les frontières sont floues et poreuses : entre la vie et la mort, autant que celles entre le désir et la violence. Distinguer l'un et l'autre devient ardu. Les chairs, les fluides, les corps se mêlent. La Libano-Koweïtienne s'interroge sur les perceptions de la sexualité, de la procréation, autant que de la survie, de la violence ou du rapport à la mort. Le corps transparent, comme fantomatique, d'une femme d'une trentaine d'années apparaît sur la plage en train de se relever. Aussi, la peintre reproduit – tel un gimmick – une silhouette de deux corps qui se mélangent et se complètent.
Son exposition «Let Me Stay a Little Longer» n'était pas initialement pensée comme une série. Pourtant, même si celle-ci mêle des paysages et des croquis érotiques, l'ensemble est homogène. L'artiste étant «obsédée» par les mêmes thèmes, elle revisite des espaces à travers différentes couleurs et points de vue. La côte de Saintes-Maries-de-la-Mer en Camargue, dans le sud de la France, revient à diverses reprises dans ses tableaux. Elle n'y a pourtant été qu'une seule fois, à peine deux heures durant l'été 2013. L'émotion provoquée par la «magie» du lieu et des souvenirs attenants l'ont happée.

 

Dualité perturbante
Tamara al-Samerraei place aussi l'homme et la femme en plein acte sexuel derrière des plantes, comme des animaux en pleine faune. «Le sexe et l'intimité sont à la base de tout, lorsqu'il n'y a plus rien, l'humain revient aux instincts basiques», justifie-t-elle. Les croquis érotiques, basés sur des photos trouvées sur le Web, lui ont servi d'exutoire. «Les dessins sexuels étaient un moyen de m'enfuir de l'abstraction des autres peintures, d'aller droit au but, au concret.» La Libano-Koweïtienne entretient une dualité perturbante: laisser le spectateur décider si les femmes dépeintes subissent une agression ou non.


La question se pose d'autant plus que les visages des femmes disparaissent sur plusieurs des œuvres. Soit la tête est couverte d'une strate de peinture grisâtre, comme plongée dans la fumée, soit son visage est visible mais anonymisé car barré par des traits rouges horizontaux, à l'image de l'œuvre Flesh and Green. «Son visage n'était pas important pour moi, je suggère simplement des pistes, au lieu de montrer frontalement», justifie l'artiste qui a longtemps travaillé sur les secrets cachés dans sa carrière. Dans la tapisserie qu'elle a d'ailleurs réalisée, des motifs jaillissent: la figure d'une femme qui se couvre les yeux et un œil écarquillé (d'effroi?). L'intime conviction du spectateur se renforce, même si rien ne sera jamais aussi clair que le sentiment ressenti par la victime, il s'agit bien de viol(s). Tamara al-Samerraei met une nouvelle fois l'indicible en forme. Avec force.

 

*« Let Me Stay a Little Longer », de Tamara el Samerraei, à la Galerie Marfa', port de Beyrouth, jusqu'au 27 février, du mardi au vendredi de 12h à 19h et le samedi de 14h à 18h. Tél. : 01/571636.

Tout commence avec une photographie, un souvenir, ou bien les deux. Qu'elles soient issues d'un album de vacances ou du Web, Tamara al-Samerraei s'inspire de ces photos, les transforme et les télescope. Avec le logiciel Photoshop, elle fait des montages et donne vie à de nouvelles photographies, imaginaires celles-ci. Une fois ce procédé réalisé, l'artiste se laisse porter par ses pinceaux....

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