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Culture - Interview

« Les langues se délient, et vomissent un discours effrayant, comme dans les années 30 »

En à peine deux semaines, le dernier clip futuriste et inquiétant d'Ibrahim Maalouf affiche près de 500 000 vues au compteur de YouTube. L'excellente reprise de « Run the World (Girls) », de la pop star Beyoncé, participe au succès, mais c'est surtout le vidéoclip choc et engagé qui intrigue. Le trompettiste franco-libanais se confie à « L'Orient-Le Jour ».

Ibrahim Maalouf. Photo DR

Quand avez-vous tourné le clip de « Run the World (Girls) » ? Le diffuser le lendemain du second tour des régionales en France n'était pas anodin ?
Nous avons tourné le clip le 10 novembre 2015, trois jours avant les attentats de Paris. Nous avions décidé de le diffuser rapidement pour coller avec la sortie de l'album. Le hasard dramatique du calendrier nous a d'abord découragés. Puis, après avoir mûrement réfléchi à la situation, nous nous sommes dit que s'il y avait un moment où ce clip avait du sens, c'était vraiment aujourd'hui.

Rassemblements interdits, fichage, couvre-feu, le clip futuriste résonne fort avec les critiques à l'égard de l'état d'urgence...
Ce ne sont pas du tout des critiques à l'égard de l'état d'urgence, certaines personnes ont compris le contraire de ce que nous avons mis en image. Il s'agit d'une critique de l'inverse de l'état d'urgence. C'est-à-dire, un état de non-droit total, national et d'une xénophobie généralisée qui régnerait si un parti d'extrême droite venait à prendre le pouvoir. En fait, l'état d'urgence est nécessaire car, suite aux événements cumulés de janvier et de novembre, il est normal de prendre certaines dispositions.

 

 

Récemment, vous parliez d'un « mouvement nauséabond et triste qui monte depuis 2011 ». Comment cela se manifeste en France ?
Il y a une montée exponentielle des propos antimulticulturels. Tout le monde sait que, dans le fond, nous sommes tous attachés à nos valeurs, à nos principes et aux notions d'identités. Mais les langues se délient et vomissent un discours effrayant qui rappelle l'époque des années trente.

Craignez-vous l'accession au pouvoir de Marine Le Pen en 2017 ?
Si le Front national arrive au pouvoir, ou si certains politiciens s'alignent sur la politique de l'extrême droite française, on se retrouvera à vivre le type de situations que nous avons mis en image dans le clip. Un exemple simple : dans le programme du parti de Marine Le Pen, il y a la suppression de la double nationalité pour toute personne ayant une nationalité autre qu'européenne en plus de la française. Cela reviendrait pour moi à choisir entre ma nationalité libanaise, donnée par ma mère car je suis né à Beyrouth, et ma nationalité française que j'ai donné à ma fille qui, elle, est née en France. Je devrais donc choisir entre la nationalité de ma mère et celle de ma fille. Impossible pour moi d'établir une préférence. Je serais donc obligé de renoncer à l'une des deux, et à vivre dans la clandestinité.

 

(Lire aussi : Quand Ibrahim Maalouf découvre qu'il est fiché par Interpol)

 

Croyez-vous au multiculturalisme et en la tolérance ?
La tolérance, je n'y ai jamais vraiment cru. C'est une erreur de croire que tolérer l'autre, c'est l'accepter tel qu'il est. On tolère la personne, donc la personne a le droit d'existence. OK, super... (ironique). Accepter l'autre dans sa différence, c'est autrement plus difficile, d'autant plus que c'est la seule façon qu'on puisse offrir à nos peuples pour cohabiter. Aujourd'hui, en France, j'ai l'impression qu'être français d'origine arabe ou juif, noir ou asiatique, ou même Français d'origine libanaise, est devenu une différence alors qu'il y a quelque années, cela était considéré comme une richesse ! Je crains que le populisme de bas étage – que l'on croyait anecdotique à une époque – ne soit devenu une pensée collective, partagée par de nombreux Français. Et c'est inquiétant. Au Liban, nous ne connaissons cela que trop bien. Les mariages mixtes au Liban sont quasiment impossibles, encore aujourd'hui. Si la France commence à fonctionner ainsi, ce sera une énorme régression.

Pourquoi avoir repris cette chanson de Beyoncé ?
J'ai choisi ce morceau en particulier car j'ai imaginé dans le clip que la résistance contre cette situation se faisait pacifiquement, artistiquement, et qu'elle était menée par des femmes. Mais surtout, j'aime cette chanson, je la trouve originale et pleine de surprises.

 

 

De quelle manière vous sentez-vous féministe ?
Aujourd'hui encore, les femmes n'ont pas les mêmes droits que les hommes, et il est temps que cela change. Combien de femmes sont encore mortes sous les coups de leurs maris au Liban ? N'est-ce pas affligeant ?

Quel rôle l'art et les artistes peuvent-ils jouer dans ces moments de crispation de nos sociétés ?
Je pense que l'art est une façon comme une autre de dessiner un avenir meilleur. Plus on visualise cet avenir, plus on y croit. Je suis un grand rêveur, mais je suis tout autant très cynique. Alors la proposition artistique que je fais est un compromis entre tout cela. Et j'espère que cela aide certaines personnes à mieux vivre leur mal-être, autant que ma musique m'aide à vivre.

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Autopsie d'un clip qui fait des vagues


Capture d'écran du clip « Run the World (Girls) ». Hajiba Fahmy, l'unique danseuse française de Beyoncé, joue le rôle de la meneuse du mouvement de résistance, dont les membres sont contraints à la clandestinité.

 
«Il faut tirer la sonnette avant qu'il ne soit trop tard. N'en déplaise à certains, oui je suis un artiste engagé. Pas politique, juste engagé », écrivait Ibrahim Maalouf la semaine dernière sur sa page Facebook à propos du formidable clip reprise de Run the World (Girls). Réalisé par Jérôme de Gerlache, le vidéoclip plonge le spectateur en octobre 2027 dans une France devenue totalitaire. Deux policiers infiltrent un « groupuscule féminin dissident et non armé », selon les termes utilisés par une journaliste à la radio, alors que tout mélange de population est interdit depuis 2020. La charismatique Hajiba Fahmy, l'unique danseuse française de Beyoncé, joue le rôle de la meneuse du mouvement de résistance, dont les membres sont contraints à la clandestinité. Couvre-feu, ministre des Origines et badge de reconnaissance pour les personnes dites « différentes »: la France du futur imaginée par l'artiste franco-libanais fait froid dans le dos.
La dystopie dépeinte dans le clip a provoqué une avalanche de commentaires xénophobes sur la page consacrée. Ils « déversent leur haine de la fraternité que nous tentons de protéger tant bien que mal », estime le trompettiste sur un autre post qui dit pourtant avoir pris « le temps de développer un vrai propos afin de ne pas être mal compris ». Depuis la semaine dernière, Ibrahim Maalouf demande à ses fans de trancher entre la censure tous les messages haineux ou bien de les laisser tels quels pour sauvegarder la liberté d'expression. Autant dire que l'affaire est loin d'être close.

 

 

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Quand avez-vous tourné le clip de « Run the World (Girls) » ? Le diffuser le lendemain du second tour des régionales en France n'était pas anodin ?Nous avons tourné le clip le 10 novembre 2015, trois jours avant les attentats de Paris. Nous avions décidé de le diffuser rapidement pour coller avec la sortie de l'album. Le hasard dramatique du calendrier nous a d'abord découragés. Puis,...
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Depuis plusieurs années je met en garde une majorité de Libanais "en général Chrétiens" qui se réfèrent au Front National,si par malheur ce parti fasciste arrive au pouvoir ils en subiront les conséquences. Ne jamais oublier que le Liban est un pays "Arabe" comme défini dans la constitution et que la référence à toutes religions sur les papiers officiels est interdite en France,et sachant que la majorité des forces de l'ordre ont une tendance a être très sensible aux personnes venant de des pays arabes s'en suivront ce que l'on appelle des "bavures"

yves kerlidou

08 h 42, le 30 décembre 2015

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Commentaires (1)

  • Depuis plusieurs années je met en garde une majorité de Libanais "en général Chrétiens" qui se réfèrent au Front National,si par malheur ce parti fasciste arrive au pouvoir ils en subiront les conséquences. Ne jamais oublier que le Liban est un pays "Arabe" comme défini dans la constitution et que la référence à toutes religions sur les papiers officiels est interdite en France,et sachant que la majorité des forces de l'ordre ont une tendance a être très sensible aux personnes venant de des pays arabes s'en suivront ce que l'on appelle des "bavures"

    yves kerlidou

    08 h 42, le 30 décembre 2015

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