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Moyen Orient et Monde - Tribune

L’eau, les guerres et l’avenir incertain

En décembre 2009 j'ai rencontré Walid Moallem, le ministre syrien des Affaires étrangères, dans son bureau, accompagné par un politicien éminent britannique. Le ministre nous a raconté sa vision du processus de paix avec Israël par étapes. Il avait deux conditions essentielles : la première, que l'accès sécurisé aux eaux de Tibériade soit assuré. La deuxième : la Turquie doit garantir le processus de paix. Il disait que le gouvernement à Damas ne peut se fier qu'à un seul État en tant que garant de ses intérêts et c'était la Turquie sous la présidence d'Erdogan.
Dans notre rapport « La Paix Bleue », publié en février 2011, le Strategic Foresight Group propose plusieurs solutions pour utiliser l'eau en tant qu'instrument de paix et de prospérité au Moyen-Orient. Une des solutions a été adaptée des options de Moallem.
Un mois après la parution du rapport, la Syrie est plongée dans la guerre civile. La cause principale était l'érosion du contrat social fondamental liant l'État et son peuple. Mais une des causes importantes était aussi la sécheresse et l'échec à poursuivre la coopération régionale sur l'eau, qui avait forcé plusieurs agriculteurs à vivre dans la misère et la migration vers les métropoles syriennes, lesquelles étaient déjà sous pression. L'allié le plus fiable de la Syrie s'est transformé en ennemi le plus féroce. La guerre régionale qui s'en est suivie menace maintenant de se transformer en confrontation globale.
Dans certaines parties du monde, des dirigeants ont reconnu le lien tacite entre l'eau, la paix et la sécurité. Les relations entre l'Inde et le Bangladesh se sont améliorées considérablement une fois que le traité pour la gestion du fleuve Teesta avait été rédigé dans un grand marchandage sur le paradigme de la sécurité. En 2013, le Strategic Foresight Group a invité les dirigeants du parti au pouvoir et ceux de l'opposition en Inde et au Bangladesh à préparer le cadre amenant à la signature du traité sur le fleuve Teesta et introduire le mécanisme pour éviter les conflits sur l'eau pendant les prochaines années. Dans l'ancienne Yougoslavie, une fois que les accords de Dayton ont été signés, les nouveaux États se sont mis d'accord sur la gestion collaborative de la rivière Sava. Cet accord a contribué à établir la paix et la coopération entre les pays des Balkans, qui ne connaissaient jusque-là que la mort et la violence.
Quand le monde reconnaissait l'équation subtile entre l'eau, la guerre et la paix, passée inaperçue dans l'opinion publique mondiale, Strategic Foresight Group a pris deux initiatives : en premier nous avons développé un quotient sur la coopération en eau pour 219 bassins fluviaux partagés dans 148 pays. Cette approche prouve le fait que quand deux pays sont engagés dans une coopération active sur l'eau, ils ne se font plus la guerre pour n'importe quelle raison.
Deuxièmement, grâce à notre collaboration avec le gouvernement suisse, le panel global sur l'eau et la paix a été créé en novembre 2015. Le panel est convoqué par les gouvernements de 15 pays de tous les continents et il est présidé par Danilo Turk, ancien président de la Slovénie. Le prince Hassan de Jordanie en fait partie.
Le panel répondra aux appels du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, pour explorer les liens entre l'eau, la paix et la sécurité. Il proposera une architecture globale pour utiliser l'eau en tant qu'outil de paix par le biais d'incitations financières, de l'établissement de mécanismes de la « hydrodiplomatie », de l'encouragement pour former des organismes de gestion collaborative de l'eau dans tous les bassins fluviaux, de la promotion de meilleures pratiques et le plus important, par le biais de l'engagement des hauts responsables politiques dans le discours sur l'eau. Le panel organisera des consultations dans différentes parties du monde et présentera son rapport aux Nations unies en décembre 2017.
Si le panel réussit à établir une architecture opérationnelle, son travail sera pertinent pour 2,3 milliards de personnes vivant dans les bassins fluviaux partagés du monde en développement avec une production économique brute de 10 milliards de dollars par an. Au cours des années, avec l'expansion de la coopération sur l'eau, le coefficient marginal de capital diminuera et les dépenses militaires aussi. Cela créera un dividende annuel de la paix de 200 milliards de dollars.
Par contre, l'échec du panel à proposer une architecture globale serait catastrophique. Actuellement, plus de 320 milliards de mètres cubes d'eau douce sont épuisés chaque année en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient. C'est comme si dix Euphrate disparaissaient de la planète chaque année. Si cela continue, il y aura une forte baisse dans la production alimentaire et une demande nouvelle pour à peu près 200-300 tonnes de denrées alimentaires dans les marchés internationaux. Cela peut se traduire en une hausse phénoménale des prix alimentaires. Des émeutes de la faim pourront se dérouler non seulement dans des pays pauvres comme le Népal et le Nigeria, mais aussi au Pérou et au Paraguay. Aucun pays ne pourra échapper à la catastrophe des prix alimentaires élevés, aux migrations forcées, au terrorisme, aux dictatures et peut- être à une guerre mondiale d'ici à 2039.
Didier Burkhalter, ministre suisse des Affaires étrangères, a indiqué lors de la cérémonie de lancement du panel global sur l'eau et la paix : « L'eau ne signifie pas seulement le développement, mais aussi la sécurité. » La Syrie l'avait compris en décembre 2009. Mais le manque d'action en urgence a amené le Moyen-Orient au bord du précipice. Il est temps que le monde se réveille avant que l'histoire de la Syrie ne se répète partout.

* Dr Sundeep Waslekar est le président de Strategic Foresight Group, un think tank international qui a travaillé sur ou avec 50 pays de quatre continents.

En décembre 2009 j'ai rencontré Walid Moallem, le ministre syrien des Affaires étrangères, dans son bureau, accompagné par un politicien éminent britannique. Le ministre nous a raconté sa vision du processus de paix avec Israël par étapes. Il avait deux conditions essentielles : la première, que l'accès sécurisé aux eaux de Tibériade soit assuré. La deuxième : la Turquie doit...

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