Il est dynamique, il est affable, il est jeune, mais il a surtout les idées claires et « la tête bien faite ». Le ministre hongrois des Affaires étrangères, Peter Szijjarto, a effectué la semaine dernière une visite éclair à Beyrouth pour s'entretenir avec les hauts responsables officiels du dossier explosif des réfugiés syriens et, parallèlement, de la coopération économique bilatérale.
La Hongrie a beaucoup à dire, à n'en point douter, au sujet de ce dossier qui revêt un aspect, certes, humanitaire, mais dont la dimension politico-socio-culturelle n'échappe aussi à personne. Le gouvernement hongrois a été l'un des premiers du Vieux Continent à être confronté, à grande échelle, à l'afflux des migrants illégaux. Il est, par voie de conséquence, particulièrement bien placé pour apprécier et évaluer à sa juste valeur le poids supporté par le Liban sur ce plan. Le chef de la diplomatie hongroise ne manque pas d'ailleurs de le relever, d'emblée, dans une interview qu'il a accordée à L'Orient-Le Jour en marge de sa courte visite au Liban. « Nous apprécions grandement les efforts et les réalisations du Liban dans ce domaine, souligne notamment Peter Szijjarto. Nous percevons votre pays comme l'une des garanties de la stabilité dans la région. Nous avons beaucoup d'estime pour ce que le Liban a fait d'ores et déjà en accueillant plus de 1,5 million de réfugiés. Si le Liban ne s'était pas occupé de la sorte de ces réfugiés, ces derniers auraient pris le chemin de l'Europe, avec toutes les conséquences que cela aurait entraînées ».
Partant de ce constat, le ministre hongrois relève que son gouvernement estime que l'Union européenne, et la communauté internationale en général, devrait soutenir financièrement le Liban davantage que ce qui a été déjà fait à cet égard. « Nous estimons, précise-t-il, que l'Union européenne devrait accroître son aide financière au Liban, à la Turquie, à la Jordanie et au Kurdistan irakien pour ce qui a trait à la prise en charge des réfugiés syriens. La Hongrie contribuera à cet effort global à hauteur de 3 millions d'euros. À notre avis, cette aide européenne devrait atteindre entre 3 et 6 milliards d'euros pour les quatre pays précités. »
Ce soutien financier est, à l'évidence, vital pour les pays d'accueil, mais il ne saurait être suffisant à lui seul. Pour M. Szijjarto, certains pays européens devraient également accorder au Liban, à un niveau bilatéral, une aide d'ordre sécuritaire. Il met l'accent à cette occasion sur la présence de la Finul au Liban-Sud et sur la contribution d'un contingent de Casques bleus hongrois à ce niveau. « À notre avis, les pays européens devraient accroître leur contribution à la Finul, souligne le chef de la diplomatie hongroise. Nous proposons notamment aux forces armées libanaises une formation au niveau du contrôle des frontières terrestres. Si le Liban l'accepte, nous serons ainsi très heureux d'assurer aux forces armées libanaises une formation pour la mise sur pied de patrouilles chargées du contrôle des frontières. »
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Une politique ferme
M. Szijjarto évoque précisément dans ce cadre l'expérience de la Hongrie qui a fait le choix d'adopter une politique ferme, et efficace, pour le contrôle de ses frontières terrestres en vue de juguler, et de stopper, le flux de migrants illégaux. « Nous pouvons partager notre expertise à ce propos avec le Liban », souligne-t-il. M. Szijjarto a d'ailleurs proposé une telle assistance hongroise aux responsables officiels libanais avec qui il s'est réuni lors de sa visite éclair à Beyrouth.
Dans un tel contexte, l'UE craint-elle que le Liban devienne un nouveau point de départ pour les migrants illégaux, voire une sorte de tremplin pour des cellules terroristes qui pourraient tenter de s'infiltrer en Europe en partant du littoral libanais ? Le chef de la diplomatie hongroise répond à cette interrogation avec prudence, tout en relevant certains aspects qui en disent long sur les appréhensions européennes, et donc hongroises, à ce propos. « C'est un fait établi qu'il existe dans votre pays plus d'un million et demi de réfugiés syriens, ce qui constitue une très grande charge, relève-t-il. C'est un fait aussi que si le Liban ne s'occupe pas suffisamment de ce problème, ces réfugiés pourraient être tentés de se rendre en Europe. À notre sens, ce serait foncièrement injuste que le Liban supporte seul un tel fardeau. C'est pour cette raison que nous soutenons que l'Union européenne devrait accroître son assistance au gouvernement libanais. »
Comme pour bien mettre en évidence que son pays est parfaitement conscient de la charge supportée par le Liban sur ce plan, M. Szijjarto relève que la Hongrie a accueilli cette année près de 390 000 migrants clandestins, « dont la plupart ont certes quitté le territoire hongrois, mais il n'en demeure pas moins que leur accueil, au départ, a nécessité de gros efforts de notre part ». « Nous réalisons donc ce que cela coûte au Liban de prendre en charge 1,5 million de réfugiés qui, de surcroît, sont restés dans diverses régions libanaises », souligne-t-il.
(Pour mémoire : Bassil et Szijjarto : La solution à la crise des réfugiés passe par la paix en Syrie)
Démographie et main-d'œuvre
Y a-t-il un sentiment en Europe que cet afflux de migrants illégaux pourrait constituer un jour un danger socioculturel ou sécuritaire pour la population du Vieux Continent ? « Il existe un courant en Europe qui affirme que cette émigration pourrait être une solution au problème (du déclin) démographique auquel est confrontée l'Europe, répond en toute franchise M. Szijjarto. Nous ne partageons pas du tout cette perception. C'est vrai que l'Europe est confrontée à un problème démographique, mais à notre avis l'émigration ne pourrait nullement être la solution. Nous estimons qu'une bonne politique de planning familial devrait être la réponse au déclin démographique. Nous devrions inciter les familles à contribuer à l'accroissement du taux de natalité en ayant davantage d'enfants. À notre avis, l'émigration n'est donc pas la réponse appropriée ni au déclin démographique ni au problème de la main-d'œuvre. Il existe un taux de chômage non négligeable en Europe, ce qui signifie que nous avons encore un potentiel au niveau de la main-d'œuvre. »
M. Szijjarto n'écarte pas la possibilité qu'un afflux massif de migrants clandestins en Europe finisse par poser un problème d'ordre socioculturel. « L'arrivée en grand nombre de groupements de migrants pourrait poser sur le tapis la question de l'intégration sociale et culturelle, déclare le ministre hongrois. Cela dit, chaque pays (au sein de l'Union européenne) a parfaitement le droit de prendre la décision d'intégrer ou non un nombre significatif de groupes différents (de sa société). Dans cette optique, nous nous attendons à ce que les autres acceptent de la même façon notre droit à prendre la décision que nous jugeons opportune à notre niveau. »
« En ce qui nous concerne, poursuit le chef de la diplomatie hongroise, nous nous sommes conformés aux réglementations européennes et nous avons pris les mesures nécessaires pour stopper l'émigration clandestine. Nous avons réussi sur ce plan. Nous avons établi une enceinte à nos frontières avec la Serbie et la Croatie. Des milliers de policiers contrôlent désormais ces frontières et nous bénéficions en outre d'une assistance fournie par la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie. Ces pays ont mis à notre disposition des membres de la police ainsi qu'un équipement technique. Parallèlement, nous avons adopté une législation qui impose des peines de prison à toute personne qui endommagerait ou porterait atteinte à cette enceinte. Cela nous a permis de stopper totalement l'arrivée de migrants clandestins. »
Au départ, les flux migratoires passaient par la Serbie et la Croatie et atteignaient ainsi la Hongrie, « ce qui nous a amenés à construire un mur aux frontières avec ces deux pays », indique M. Szijjarto qui précise qu'au stade actuel, et du fait de cette mesure prise par les autorités hongroises, les migrants se rendent en Autriche, ce qui contourne la Hongrie. « Il reste que nous demeurons vigilants sur ce plan », affirme le ministre hongrois.
Un risque d'infiltration terroriste
Cet important afflux de migrants clandestins ne présente-t-il pas un risque d'infiltration de terroristes en territoire européen ? « Effectivement, le risque existe, reconnaît sans détour M. Szijjarto. Un chef d'organisation terroriste verrait en effet dans ce flux migratoire une opportunité d'envoyer des terroristes en Europe. Cela ne signifie nullement que l'on considère tous les migrants comme des terroristes. Loin de là, car ce n'est nullement le cas, d'autant que la plupart de ces migrants clandestins sont poussés par des considérations économiques. Ils ne peuvent pas être considérés comme des réfugiés car lorsque vous partez de Grèce, par exemple, pour vous rendre en Allemagne, vous ne pouvez pas être considéré comme un réfugié car il n'y a pas de guerre en Grèce. »
Pour M. Szijjarto, les migrants qui quittent la Grèce, la Croatie, la Hongrie ou la Serbie pour se rendre en Allemagne ont des motivations économiques, en ce sens qu'ils sont à la recherche de meilleures conditions de vie et ne peuvent donc pas être qualifiés de réfugiés. « Il est légitime que ces gens aspirent à de meilleures conditions de vie, mais auquel cas, il ne faut pas être hypocrite et les considérer comme des réfugiés, car du point de vue de la législation internationale, le statut de réfugié n'est pas le même que celui d'une personne qui émigre pour des considérations économiques, relève en toute lucidité le chef de la diplomatie hongroise. Un réfugié doit être logé alors que vous n'êtes pas obligé d'assurer un logement à une personne qui a émigré pour des considérations économiques. La sécurité de l'individu et la nécessité de préserver sa vie d'un danger constituent un droit fondamental. Par contre, vouloir bénéficier d'un mode de vie allemand ne représente pas un droit fondamental. Choisir le pays où on voudrait vivre est un fait qui ne relève pas de la législation internationale (pour l'octroi d'un statut de réfugié) ».
Et dans ce contexte, Peter Szijjarto relève en toute transparence que l'UE n'est pas confrontée aujourd'hui à une crise de réfugiés mais plutôt à un problème d'émigration clandestine massive, et à cet égard, « un clivage de plus en plus profond se creuse en Europe entre la population et certains dirigeants au pouvoir », pour ce qui a trait à l'attitude à adopter face à ces flux migratoires. Le débat sur ce plan est, en tout cas, grand ouvert et n'est pas près d'être clos.
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11 h 47, le 05 novembre 2015