Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Turquie / Législatives

Novembre meurtrier pour Erdogan ?

Alors que les violences entre Ankara et le PKK se multiplient de plus belle, les retombées des législatives prévues dans un peu plus d'un mois semblent plus que jamais incertaines pour le parti de l'hyperprésident turc.

Murad Seze / Reuters

Le 7 juin 2015, la Parti de la justice et du développement (AKP) du président turc Recep Tayyip Erdogan perd pour la première fois aux législatives la majorité absolue au Parlement qu'il détenait depuis 2002. En effet, en remportant plus que les 10 % requis pour entrer au Parlement, le Parti de la démocratie des peuples (HDP, prokurdes) a asséné un sérieux revers au parti islamo-conservateur. Après plusieurs semaines de tractations stériles pour former un gouvernement de coalition, le président a annoncé des élections anticipées pour le 1er novembre, déclaration qui incombe en réalité au Parlement.

Entre-temps, l'attentat dans le jardin du Centre culturel kurde à Suruç le 20 juillet (attribué à l'État islamique) a immédiatement été suivi d'attaques kurdes contre les forces de sécurité turques, accusées de complicité avec l'EI dans le contexte de la guerre en Syrie. Déjà fortement tendues en raison de plusieurs incidents meurtriers survenus au cours des derniers mois, les relations entre Ankara et les Kurdes se sont très rapidement dégradées : les fragiles pourparlers de paix sont aujourd'hui interrompus, et l'aviation turque bombarde régulièrement des positions du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Syrie et au Kurdistan irakien.


(Lire aussi : Erdogan et Davutoglu promettent de « continuer d'anéantir » la guérilla kurde)

 

Stratégie de la tension
Aujourd'hui, les détracteurs de Recep Tayyip Erdogan affirment sans détours que le président turc se sert du PKK pour détourner l'attention de son échec lors des dernières élections législatives. « C'est une accusation soulevée par les partis d'opposition CHP (Parti républicain du peuple, social-démocrate) et MHP (Parti d'action nationaliste). Selon eux, Erdogan aurait privilégié la tenue d'élections anticipées pour entretenir une stratégie de la tension et tirer profit du climat de violence », souligne Nicolas Monceau, maître de conférences en science politique à l'Université de Bordeaux. « Cette nouvelle stratégie électorale aurait pour but d'obtenir un soutien plus fort de l'électorat nationaliste afin de mettre en œuvre son projet de "République présidentielle" » accordant les pleins pouvoirs au chef de l'État.

Même son de cloche pour Hamit Bozarslan, directeur d'étude à l'Ehess (École des hautes études en sciences sociales) et spécialiste de la Turquie, pour qui cette stratégie de la tension est extrêmement claire. « Elle se traduit notamment par la rhétorique que le pouvoir utilise aujourd'hui – Erdogan tout comme la presse pro-AKP – présentant la Turquie comme un pays encerclé, menacé de guerre, menacé de l'extérieur par des armées de croisés ». Le spécialiste explique également que « le thème – et le terme – de trahison occupe une place absolument centrale dans le discours politique » et qu'avec une « surenchère nationaliste » à outrance, un « discours de peur absolue », Erdogan essaie de regagner du terrain.


(Lire aussi : « Les Kurdes ont compris que seul eux peuvent empêcher Erdogan d'instaurer un régime présidentiel »)

 

Nouvelle génération kurde...
Face à ce nouveau cycle de violences dont les deux camps se rejettent la responsabilité, il serait aisé de supposer que le PKK s'est précipité tête baissée dans le « piège » tendu par Ankara en multipliant les violences contre les forces de sécurité. À moins qu'une lutte intestine au sein même du parti indépendantiste ne soit à l'origine de sa réponse presque instinctive à l'attentat de Suruç comme à chaque raid de l'aviation turque. Toutefois, pour M. Bozarslan, ce n'est pas le cas. Il explique ainsi qu'aujourd'hui des forces autonomes se sont constituées au Kurdistan, où un microclimat politique s'est constitué. Selon lui, une sorte d'autonomisation au niveau local existe à présent et se traduit par des structures administratives, municipales notamment ; mais elle se traduit également par une organisation propre de la jeunesse. « Tant que le cessez-le-feu régnait, ceux qu'on peut considérer comme la catégorie senior (donc les chefs politiques kurdes) pouvaient contrôler ces forces de la jeunesse. Mais le discours de l'État s'est durci, et dans la ville de Cizre, qui a occupé la une des médias ces derniers temps (sous couvre-feu depuis début septembre, cette ville est devenue le symbole des violents combats qui opposent les forces de sécurité aux rebelles kurdes), il y a des policiers qui hurlent dans les haut-parleurs : Vous êtes tous des Arméniens. Donc le message est très clair. Quand on impose un couvre-feu ici et là, quand on décrète des quartiers et des villes fermés pour des raisons de sécurité, etc., il n'y a plus aucune instance de contrôle sur cette jeunesse. »

Bien que de nombreux parallèles aient été établis entre les violences actuelles et celles des années 1990, le contexte, local et régional, est aujourd'hui totalement différent pour la Turquie. Au fur et à mesure que les affrontements se multiplient et ne semblent pas vouloir se calmer, la crainte que le pays ne se dirige vers une véritable guerre civile se précise. « La situation apparaît de plus en plus incontrôlable », estime Nicolas Monceau, qui rappelle qu'en plus des combats quasi quotidiens qui opposent Kurdes et Turcs, « plusieurs manifestations organisées par des milieux nationalistes et des sympathisants de l'AKP ont dégénéré en violences, avec des attaques contre les bureaux du parti prokurde l'HDP, accusé de soutenir le PKK et contre le journal Hürriyet jugé antigouvernemental ».


(Lire aussi : « Il n'y a aucun espoir, la liberté de la presse décline en Turquie »)

 

... et turque
Pour M. Bozarslan, la responsabilité du conflit incomberait à une nouvelle génération de responsables politiques, de journalistes, d'hommes d'action, souvent d'âge moyen, qui ne viendraient pas de l'AKP des origines, mais plutôt de la gauche. Eux prônent ouvertement un discours de guerre civile, dénonce l'expert, et font souvent référence au siège de Kut-el-Amara en 1916 (un épisode de la Première Guerre mondiale qui avait opposé l'Empire britannique à l'Empire ottoman, sorti vainqueur). Une guerre opposerait encore, à leurs yeux, les héritiers de Kut-el-Amara à ceux de Lawrence d'Arabie. Ils font également allusion, toujours d'après M. Bozarslan, à des « armées croisées » qui comprennent aussi la diaspora arménienne, le lobby juif, les homosexuels, les zoroastriens, etc. Ceux-ci attaqueraient la Turquie, « dernier lambeau de l'Empire ottoman, et seul pays stable de la région ». Pour cette nouvelle génération, il faut déstabiliser la Turquie afin que la région s'effondre totalement. C'est la dernière guerre de l'indépendance et il faut que la Turquie y participe.

En attendant, il est plus que jamais incertain que les élections prévues début novembre se tiennent. « Certains leaders politiques, dont le HDP, appellent au report du scrutin en raison de la situation chaotique dans le pays », rappelle ainsi M. Monceau. En outre, il n'est pas du tout établi que l'AKP puisse reprendre le dessus en termes de sièges, et l'expert abonde en ce sens. « Les sondages réalisés au cours des dernières semaines ne semblent pas indiquer cependant un changement significatif du rapport de forces politiques, même si la situation instable du pays aura très certainement un impact sur les résultats ». Hamit Bozarslan va plus loin et affirme que malgré la difficulté de prédire le résultat des prochaines législatives, des sondages en série montrent que l'AKP ne va pas gagner son pari, bien au contraire.
« Il y a d'autres sondages qui affirment que 80 % de la population se dit mécontente, voire mélancolique, déprimée ; quelque 56 % des gens estimeraient également qu'Erdogan est responsable de la situation actuelle. Il n'est pas du tout exclu donc que les votes en faveur de l'AKP, qui étaient de l'ordre de 40,7 % tombent à 35-36 % », conclut l'analyste.

 

 

Pour mémoire
Erdogan maintient son pari risqué de convoquer des élections dans un climat délétère

La Turquie ne peut venir à bout de la rébellion du PKK

Erdogan promet de débarrasser la Turquie du PKK

Ankara accuse la BBC de "soutenir le terrorisme" dans un reportage sur le PKK

Un journal qui s'est moqué d'Erdogan en une est perquisitionné

Le 7 juin 2015, la Parti de la justice et du développement (AKP) du président turc Recep Tayyip Erdogan perd pour la première fois aux législatives la majorité absolue au Parlement qu'il détenait depuis 2002. En effet, en remportant plus que les 10 % requis pour entrer au Parlement, le Parti de la démocratie des peuples (HDP, prokurdes) a asséné un sérieux revers au parti...

commentaires (3)

OU : LA DÉSILLUSION !

LA LIBRE EXPRESSION

21 h 57, le 22 septembre 2015

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • OU : LA DÉSILLUSION !

    LA LIBRE EXPRESSION

    21 h 57, le 22 septembre 2015

  • Qund on veut avoir le cul entre plusieurs chaises , on finit par basculer dans l'abime qu'on s'est creuse. Ce mec verra une bien triste fin , alors que ceux qu'il a combattu seront la pour le regarder souffrir .

    FRIK-A-FRAK

    15 h 28, le 21 septembre 2015

  • j'ai beaucoup de mal à comprendre la feuille de route de ce président !!! Il combat le PKK, soutient quelque fois Daech, apporte très peu d'aide aux migrants syriens, ferme quelque fois sa frontière aux syriens qui veulent s'échapper de leur enfer, envoi des navires vers Gaza, il se trompe d'ennemis en attaquant les kurdes qui sont les seuls opposant sérieux à Daech,etc... Double jeu, double risque, Ou va donc la Turquie qui cherche à entrer dans l'Europe ???!!! Enfermé dans son super palais, il risque également beaucoup que son peuple le chasse, alors, traditionnellement, appel à l'armée ... pas beau , tout ça

    FAKHOURI

    13 h 51, le 21 septembre 2015

Retour en haut