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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Les milices chiites irakiennes, ces autres acteurs de la lutte contre l’EI

Regroupées au sein d'une organisation plus large, les Unités de mobilisation populaire, les milices chiites irakiennes, servent de substitut à l'armée régulière, fantomatique et désorganisée, dans la défense de l'État et pour combattre Daech.

Des miliciens chiites irakiens de l’Organisation Badr défilent à Bagdad lors d’une parade de la Journée al-Qods, ou Journée de Jérusalem, le 25 juillet 2014. Thaier al-Sudani/Reuters

Le 10 juin 2014, quatre jours après le début de l'insurrection, Mossoul tombe aux mains de l'organisation État Islamique (EI). Trois jours plus tard, en réaction, l'ayatollah Ali al-Sistani lance une fatwa appelant les Irakiens à se battre contre Daech (acronyme arabe de l'EI) et provoque par ce biais la création des Unités de mobilisation populaire (Wahadate al-hachd ach-chaabi), dans lesquelles se réunissent toutes les milices chiites irakiennes, mais également les quelques tribus sunnites du Nord et du centre, les plus virulentes contre le califat autoproclamé.
Parmi les milices chiites, on en trouve des anciennes, déjà présentes dans les années 1990, ou créées suite à l'invasion américaine de l'Irak, mais aussi des toutes nouvelles, formées en réaction à l'avancée de l'EI.
Si, suite à cet appel au jihad, les effectifs de ces groupes armés ont explosé, il reste naturellement difficile d'estimer le nombre exact de combattants regroupés au sein des Wahadate al-hachd ach-chaabi. Quant au nombre de milices, il varie fortement selon les critères. Ainsi, si on élimine les milices de quartier ou des petites tribus, on en compte seulement entre 7 ou 8 réellement organisées, parmi lesquelles les Brigades de la paix (Saraya as-salam), l'Organisation Badr, les Brigades du Hezbollah, la Ligue des vertueux (Aassaïb Ahl al-haq), ou encore les Brigades de l'imam Ali (Kataeb al-imam Ali). Malgré la présence d'un chef, Fatih al-Fayyad, et d'un chef militaire, Jamal Jafaar al-Ibrahim, rebaptisé Abou Mahdi al-Mouhandis (l'ingénieur) sur le terrain, et même si Renad Mansour, chercheur au Centre Carnegie sur le Moyen-Orient interrogé par L'Orient-Le Jour, avoue « une certaine coordination », les Unités de mobilisation populaire restent un groupe à la structure très décentralisée, dont chaque milice possède son propre leader et son propre commandant. En outre, cette absence de commandement centralisé provoque un problème dans l'exécution des ordres et le contrôle des hommes, laissant la porte ouverte aux bavures et exactions.
Zoom sur les quatre milices les plus importantes de l'organisation.



L'Organisation Badr, « une milice pas comme les autres »

Plus qu'un simple groupuscule, l'ancienne Brigade Badr est un des piliers des milices chiites irakiennes depuis déjà bien longtemps.
Parmi les plus anciennes milices chiites irakiennes encore actives, et considérée comme l'un des principaux bras armés de l'Iran en Irak, l'Organisation Badr n'est « pas une milice comme les autres, c'est une armée », estime le journaliste indépendant, spécialiste de la question irakienne et secrétaire général de l'association Amitiés franco-irakiennes, Gilles Munier. Une armée par sa puissance militaire et son autonomie, beaucoup plus importante que toutes les autres, et ce grâce à son armement, à la formation de ses soldats et à ses blindés, en majorité financés par l'Iran.
D'abord branche armée du parti politique Conseil suprême de la révolution islamique en Irak sous le nom de Brigade Badr, elle est devenue elle-même, après 2003, un parti politique. Aujourd'hui, elle est aussi bien liée au gouvernement irakien qu'à la République islamique voisine, puisque considérée comme une section des gardiens de la révolution. Son leader Hadi al-Amiri a pourtant occupé des fonctions importantes au sein du régime irakien, d'abord comme ministre des Transports, puis chargé de la police et de l'armée dans la province de Diyala. Toujours est-il qu'en dépit de ses liens avec le gouvernement, l'Organisation Badr ne se bat pas forcément pour la survie du régime irakien, mais d'abord pour une idéologie. « C'est une armée qui défend les intérêts du panchiisme » explique Gilles Munier.
Si le nombre d'hommes membres de l'organisation est difficile à évaluer, surtout dans la mesure où il a augmenté avec l'appel aux armes de Sistani, ils seraient « environ 50 000 », estime néanmoins avec précaution Renad Mansour. Sur le terrain, la milice se bat en majorité contre l'EI autour de Diyala et de Babil, au sud de Bagdad, ainsi que dans la banlieue de la capitale, et ses quartiers généraux seraient localisés dans le sud et le centre de l'Irak. Clairement antiaméricaine, elle s'est tout de même résignée à l'appui aérien des États-Unis et de la coalition dans sa lutte contre Daech, comme à Tikrite, au nord de Bagdad, en mars 2015.

L'Organisation Badr
Chef : Hadi al-Amiri
Date de création : 1983
Effectifs : environ 50 000 hommes
QG : sud et centre de l'Irak.

 

Les Brigades de la paix, aux ordres d'un seul homme

 

Un milicien irakien des Brigades de la paix agite un drapeau à côté d'un lance-roquettes pendant les combats contre l'EI dans la région de Salaheddine, le 31 août 2014. J.M. Lopez/AFP

 

Soumise aux désirs politiques à courant alternatif de son chef Moqtada al-Sadr, la milice navigue entre retraits et retours au front.
Créée en 2003 sous le nom de l'Armée du mahdi et rebaptisée en juin 2014, la milice des Brigades de la paix est « un cas particulier sur le plan politique en Irak », estime Gilles Munier. « Elle dépend des décisions de son leader Moqtada al-Sadr, qui choisi de la dissoudre ou de la remobiliser, et dont la personnalité et l'influence dépassent celles de tous les autres chefs de milice », ajoute-t-il. Fils d'un grand ayatollah fondateur du mouvement sadriste dans les années 1980, Moqtada al-Sadr, succédant à son père, est vite devenu un des « hommes du clergé le plus puissant et respecté », selon le site de la Stanford University, Mapping Militant Organizations.
Dès la première année de l'invasion américaine, il lance l'Armée du mahdi dans laquelle il appelle tous les partisans du mouvement sadriste à le rejoindre. D'abord avec l'objectif d'expulser les américains du sol irakien, Moqtada al-Sadr décide de baisser les armes après des heurts avec la Brigade Badr qui tueront 50 pèlerins chiites. À plusieurs reprises, il choisit de reprendre les activités militaires de la milice avant de changer d'avis pour consacrer cette dernière à d'autres finalités, comme la provision de services sociaux en 2008 ou la politique pour les élections de 2010.
En 2013, il annonce la dissolution de l'Armée du mahdi, mais pas pour très longtemps puisque la chute de Mossoul en juin 2014 le pousse à remobiliser ses forces sous le nouveau nom de Brigades de la paix. En février 2015, il décide de nouveau de retirer sa milice du front après des incidents impliquant la mort de civils chiites, pour finalement la rappeler afin de participer à la reconquête de Tikrit un mois plus tard. Les Brigades de la paix, dont l'implantation la plus importante est à Sadr City, Bassora ou Najaf, se démarquent également des autres milices par leur attitude plus détachée envers l'Iran. Malgré une certaine aide de l'Iran, un séjour de trois ans à Qom et des hommes entraînés par le Hezbollah libanais, Moqtada al-Sadr « essaie de jouer un rôle nationaliste pro-Irak pour s'éloigner de l'influence iranienne », analyse Renad Mansour.
Aujourd'hui, il reste très critique vis-à-vis des États-Unis, menaçant même en mai dernier d'attaquer les forces américaines, et les effectifs de sa milice seraient quant à eux plus réduits que ceux de l'Organisation Badr.

Les Brigades de la paix
Chef : Moqtada al-Sadr
Date de création : 2003 sous l'appellation Armée du mahdi
Effectifs : entre 10 000 (al-Jazira) et 50 000 (The Telegraph) hommes
QG : Sadr City, Najaf, Bassora.

 

Aassaïb Ahl al-haq, l'élève dépasse le maître

 

Des combattants de la milice Aassaïb Ahl al-haq à Bassora, mobilisés pour la contre-attaque de Ramadi. Haidar Mohammad Ali/AFP

 

Séparée très tôt de l'Armée du mahdi, celle dont le nom signifie « Ligue des vertueux » en français a vite fait son trou dans le milieu milicien grâce à la supervision poussée de l'Iran.
Considérée dans la lutte contre l'EI comme plus importante que les Brigades de la paix, Assaïb Ahl al-haq (AAH) est à l'origine un résidu de la milice sadriste, qui a ensuite fait sécession définitive après que son leader, Qais al-Khazali, en 2006, eut été recruté par le corps des gardiens de la révolution islamique pour diriger la nouvelle milice que ces derniers avaient commencé à former en Iran. Selon le site spécialisé de la Stanford University, AAH a donc d'abord commencé ses opérations militaires aux côtés du Hezbollah libanais pendant le conflit contre Israël durant l'été 2006 avant de revenir en Irak avec pour mission d'attaquer les forces de la coalition américaine.
De fait, si l'on peut considérer presque toutes les milices « comme des "proxys" directs de l'Iran », selon les termes de Phillip Smyth, chercheur à l'Université du Maryland et auteur du blog Hizballah Cavalcade, AAH est de celles qui remplissent le mieux ce rôle tant ses liens avec l'Iran sont serrés. Un des meilleurs exemples est l'influence du commandant des forces al-Qods, Qassem Suleimani, qui serait à l'origine de la création de l'AAH et qui aurait supervisé ses activités. Après l'évacuation des Américains, la Ligue des vertueux s'est lancée en politique, tentant d'éliminer ses rivaux sadristes, promouvant les idéaux de la révolution islamique iranienne, et surtout étant « très proche de Maliki » selon M. Mansour. Comme la plupart des milices irakiennes, l'AAH a été accusée de nombreuses exactions, entre kidnappings, assassinats et massacres, que ce soit contre des milices chiites rivales ou des civils de confessions variées. Contre l'EI, elle s'est également battue en Syrie, et l'aide de l'Iran lui as permis de participer aux batailles les plus ardues comme à Amerli. Sur le plan géographique et comptable, son quartier général est basé à Bagdad, et la milice possède également des bureaux dans plusieurs villes du sud et du centre de l'Irak comme à al-Khalis, Bassora ou Najaf, pour un effectif total d'environ 4 000 miliciens.

Aassaïb Ahl al-Haq
Chef : Qaïs al-Khazali
Date de création : janvier 2006
Effectifs : environ 4 000 hommes
QG : Bagdad.

 

Les Brigades du Hezbollah, à l'image du Hezb libanais

 

Les volontaires chiites de la milice irakienne Brigades du Hezbollah, contrôlée par l'Iran, sont entraînés pour combattre les insurgés sunnites extrémistes de l'EI. Ahmad al-Rubaye/AFP/Getty Images

 

Proches du Hezbollah libanais, les Brigades du Hezbollah sont la représentation idéale des fidèles serviteurs de l'Iran que sont la plupart des milices chiites en Irak.
La milice Brigades du Hezbollah est celle qui se rapproche le plus du Hezbollah libanais. « Elle partage les mêmes idées et la même idéologie que le Hezbollah libanais, confirme Phillip Smyth, elle prône le wilayet el-faqih (la tutelle du clergé) et répond aux demandes de l'ayatollah Khamenei. »
Milice issue de l'Organisation Badr, elle a été créée par l'ancien conseiller des Forces al-Qods iraniennes et l'actuel commandant des Unités de mobilisation populaire, Abou Mahdi al-Mouhandis (l'Ingénieur), quelques mois seulement avant l'invasion américaine en Irak. Agent important de l'Iran en Irak, elle est initialement composée d'un noyau de quelques centaines de membres extrêmement bien entraînés débarqués des Badr, auxquels se sont ajoutées de nombreuses recrues motivées par la guerre contre l'EI. Selon Phillip Smyth, « il y a peu de miliciens à plein temps, la plupart sont là à temps partiel », mais au total, le chercheur estime que la milice comptait 3 à 5 000 hommes au printemps 2014.
Seule milice parmi les quatre présentées à être considérée comme une organisation terroriste par les Américains, elle « s'est fait davantage connaître après l'arrivée de la coalition américaine lors de la guerre en Irak », affirme M. Smyth, grâce à ses armes plus sophistiquées, fournies par la Russie à travers l'Iran. À l'instar des autres milices, les Brigades du Hezbollah restent profondément antiaméricaines, ce qui pousse souvent les forces américaines, quand elles le peuvent, à éviter les zones dans lesquelles combattent ces groupes armés au moment de lutter contre l'EI.
« Les États-Unis ont longtemps cherché des alliés chiites qui ne soient pas démesurément sous l'influence de l'Iran », conclut M. Smyth.

Brigades du Hezbollah
Chef : Abou Mahdi al-Mouhandis
Date de création : 2003
Effectifs : 3 à 5 000 hommes
QG : sud et centre de l'Irak.

 

 

Pour mémoire

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Le 10 juin 2014, quatre jours après le début de l'insurrection, Mossoul tombe aux mains de l'organisation État Islamique (EI). Trois jours plus tard, en réaction, l'ayatollah Ali al-Sistani lance une fatwa appelant les Irakiens à se battre contre Daech (acronyme arabe de l'EI) et provoque par ce biais la création des Unités de mobilisation populaire (Wahadate al-hachd ach-chaabi), dans...

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"Acteurs" ? Pantomimes, oui !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

11 h 51, le 21 août 2015

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Commentaires (2)

  • "Acteurs" ? Pantomimes, oui !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 51, le 21 août 2015

  • L'AUTRE FACE DE LA MÊME MONNAIE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 06, le 21 août 2015

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