L'Église maronite a décidé de commémorer officiellement, par une neuvaine de prières et de manifestations diverses (18-25 juillet), le cinquantenaire de la béatification de saint Charbel par le pape Paul VI (1965). Tout récemment, le patriarche Raï avait interprété cette décision de Paul VI comme un geste destiné à attirer l'attention du monde sur l'Église d'Orient, au regard de son importance et peut-être aussi en prévision des heures dramatiques qu'elle allait vivre. En 1965, en effet, le destin de cette partie du monde était en partie scellé et les penseurs du califat et de l'islamisme étaient déjà à l'œuvre. La dévastation de la Vigne du Seigneur que l'on constate fut annoncée au moyen de messages prophétiques et de manifestations surnaturelles que les patriarches d'Orient ont négligé d'interpréter ou dont ils se sont ouvertement moqués.
Les manifestations du cinquantenaire se tiendront à Bkaa-Kafra (caza de Bécharré), village natal de saint Charbel, et seront couronnées par une messe patriarcale, le 25 juillet, des causeries, des processions, l'inauguration d'une petite entreprise de produits du terroir, la procession des reliques de saint Charbel à Bécharré, le village d'origine de sa mère, et une cérémonie en présence du nonce apostolique (22 juillet).
Tour à tour, ces deux dernières années, quelques sages maronites comme le P. Michel Awit, longtemps chef du protocole au siège patriarcal de Bkerké, l'abbé Boulos Naaman, ancien supérieur général de l'ordre libanais maronite, et le vicaire patriarcal Samir Mazloum ont publié sur l'Église maronite, son identité et sa mission de courts ouvrages – car l'essentiel est bref – où ils ont consigné des recommandations qui sont à la fois des confidences d'amants et des mises en garde de pasteurs. Toutes leurs recommandations se rejoignent, sur le fond.
« La première élite maronite fut élevée à l'école de Haouka, qui se trouvait au cœur de la montagne. Elle a été élevée à l'école de l'ascétisme, de la sobriété de vie et de l'amour de Dieu, dit l'abbé Naaman. De cette petite graine semée par saint Maron et venue se réfugier au Liban, une patrie pour l'homme est née, et non pour les seuls chrétiens, mais pour tout homme, car cet homme est le message du christianisme », explique l'abbé Naaman.
« Malheureusement, enchaîne-t-il, nous nous sommes transformés en un peuple de gens intéressés, opportunistes. Nous avons régressé et sommes revenus à une époque antérieure à celle de l'émir Béchir, éparpillés en branches (joubab) et communautés. Nous qui, de fermiers associés chez les grands féodaux, avions réussi à réunir toutes les communautés en une seule patrie, la patrie libanaise, aujourd'hui, à cause de notre égoïsme, notre repli sur nous-mêmes, notre amour du pouvoir et de l'argent, ces communautés se sont dispersées. »
Certes, dans ce processus, des causes externes ont été des facteurs de dissolution, convient l'ancien supérieur de l'ordre maronite libanais. Mais aujourd'hui, une nouvelle élite est convoquée par l'histoire. Sinon, notre vocation disparaîtra ou elle sera confiée par la Providence à un autre peuple. Je ne veux pas être pessimiste, mais je sais que la Providence trouvera ceux qui vont compléter le cours de cette histoire. Car l'histoire de l'humanisation de cette partie du monde ne va pas s'arrêter avec nous.
Esprit d'exploitation
« L'Église – prêtres comme moines –, les universités, les écoles sont aujourd'hui animées d'un esprit d' exploitation, insiste l'abbé Naaman. Le peuple est à bout, exténué. Les facteurs externes sont évidents, mais il est grand temps de prendre conscience qu'il y a quelque chose à l'intérieur que nous négligeons. Il faut aller au peuple et cesser de le sermonner. L'une des qualités du chef est son pouvoir d'écoute. »
Pour l'abbé, à l'exemple de ce que fait le pape François, il est nécessaire de dénoncer et de combattre le carriérisme et l'amour de l'argent dans l'Église. « Dans les écoles, les universités, il faut plus de miséricorde, plus d'enseignement par l'exemple, plus de modèles, dit-il. Il faut y limiter le gain et le réinvestir. Il faut redonner au peuple ce qui vient du peuple. »
De toute évidence, l'abbé Naaman est réellement inquiet de voir l'Église maronite, comme peuple de Dieu, perdre son identité spirituelle et le rôle qu'elle a joué dans l'histoire comme ferment de nation. Pour lui, le grand danger que court le Liban, l'enjeu de civilisation, ce n'est pas la disparition physique de l'Église qui a vu naître un géant de la sainteté comme saint Charbel, mais sa disparition spirituelle.
Par un hasard heureux, je suis tombé, dans la bibliothèque d'un couvent, sur un ouvrage du P. Michel Hayek sur Le père Charbel. Paru chez La Colombe, c'est une ancienne édition aujourd'hui introuvable. Et parce que c'est Michel Hayek qui l'a écrit, je l'emprunte. Ce qu'on peut savoir de saint Charbel a déjà été dit et redit. Ce que j'apprends de Hayek me ravit. Décrivant le Annaya des années 50, il raconte y avoir vu « les Buick américaines des touristes de l'ascèse en quête d'un lieu de week-end spirituel » et des hommes « qui essaient de se monter comme des compagnies d'assurances de joie ».
De l'entrée de Charbel Makhlouf au couvent, il dit : « Il s'était arraché à sa famille, son village, sans bruits, sans vin d'honneur. » Prenons garde que tous les honneurs que nous lui rendons aujourd'hui ne soient frelatés, prenons garde de ne pas nous transformer en gérants de l'Église, de ne pas transformer nos couvents en supermarchés de la sainteté. Pourquoi Michel Hayek et Youakim Moubarak ont-ils été vivre à Paris ? Ils étouffaient donc tellement au Liban ?
Pour mémoire
« Saint Charbel m’a opérée »
commentaires (7)
Excellente source de méditation sur l'Eglise maronite, ce qu'elle a été, ce qu'elle est aujourd'hui, et ce qu'il faut qu'elle devienne. Merci!
Yves Prevost
06 h 15, le 17 juillet 2016