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Culture - Web culture

L’art révolutionnaire syrien a son musée virtuel

Animé par la volonté de conserver et de diffuser les productions artistiques nées avec la révolution syrienne par devoir de mémoire, « The Creative Memory » rassemble désormais sur un site Internet les œuvres de centaines d'artistes syriens dont les bâillons sont tombés – sur le net.

Delawer Omar

Au-delà de la résistance armée et des répressions sanglantes, la révolution syrienne a libéré une dynamique artistique et créatrice sans précédent. Surout que la Syrie était un pays brimé, où l'art a été assujetti pendant quarante ans aux interdits du régime et à l'autocensure. Pendant les premiers mois du soulèvement populaire, l'expression par le dessin, la sculpture, la peinture ou encore le cinéma a littéralement explosé, en même temps que le tsunami de liberté qui a traversé toutes les strates de la population. C'est dans le but de documenter le plus largement possible cet élan artistique spontané – né pour enfin hurler l'existence sociale, politique et culturelle d'un peuple – que le site Internet The Creative Memory (la mémoire créative de la révolution syrienne) a vu le jour.

« J'étais, comme beaucoup d'autres, fascinée par cette fluidité d'expression. Par exemple, lorsque les gens étaient réunis, ils dansaient et chantaient, déconnectés, et donc sans peur, se souvient Sana Yazigi, rédactrice en chef du projet. Ce qui m'a marquée, ce sont les manifestants qui ont commencé à remplacer les paroles de chansons traditionnelles par des revendications sociales et politiques. C'était spontané et extraordinaire, et cela venait du peuple, des gens ordinaires. Les artistes et les intellectuels ont aussi joué un rôle, mais cet élan-là venait de la rue. »

Rédactrice en chef d'un agenda culturel damascène, Sana Yazigi décide, avec deux collaborateurs, de repérer, archiver et partager la multitude de productions artistiques qui naissent alors chaque jour dans son pays. Avec la révolution, la parole des quelques grands noms de la scène artistique syrienne se libère, comme celle du célèbre Mounir Chaarani, dont les calligraphies délaissent la représentation de proverbes populaires pour arborer des slogans politiques. Mais plus que la simple diffusion d'œuvres d'artistes déjà connus, Sana Yazigi, désormais accompagnée d'une équipe de dix personnes, s'attelle à mettre en lumière les anonymes, dont la liberté d'expression est née en même temps que la révolution.

« Je voulais avant tout montrer l'expression, et j'insiste sur le mot. Je ne me soucie pas de l'art pour l'art. Si un artiste crée pour s'exprimer, très bien, mais le plus important, c'est la réception du message par le public. L'art se doit d'exprimer le sentiment des populations », martèle Sana Yazigi, pour qui « la qualité esthétique n'est rien en comparaison avec la profondeur de la pensée derrière la création ». « Qui peut juger de la beauté, ou non, de quelque chose ? Le fait de s'exprimer est déjà beau en soi », ajoute-t-elle.

Dictateurs obèses de pouvoir
Alors que les manifestations ébranlent le pays et que les derniers bâillons tombent, l'ébullition de la révolution touche tous les domaines de la création, et les nouveaux talents se multiplient. Il y a le sculpteur Khaled Dawa et ses dictateurs obèses de pouvoir, à l'instar de Bachar el-Assad, ou Jamal Aboul Housn et ses calligraphies libertaires. Avec les années, le conflit s'enlise et devient tentaculaire. Les artistes n'hésitent pas à s'exprimer sur leurs nouveaux ennemis, comme Hossam Saadi qui imagine un billet de la Banque centrale de Daech, où les femmes apparaissent recouvertes d'un tchador noir.

Grâce à Internet, toutes ces créations deviennent alors accessibles au plus grand nombre, notamment grâce à leur référencement sur The Creative Memory. Mais leur mise en ligne signifie aussi qu'elles ne pourront pas être détruites par le régime ou la guerre. Si Sana Yazigi reconnaît que l'expression artistique a faibli depuis le début de la révolution en même temps que l'espoir des populations, elle insiste sur l'importance de continuer à sauvegarder et diffuser ces œuvres qui participent au devoir de mémoire. « L'humain oublie, c'est naturel, mais nous avons le devoir de nous souvenir », estime-t-elle. « Se souvenir, c'est pouvoir décider de ce que l'on peut oublier et ce dont on a le devoir de se rappeler. »
« Le devoir de mémoire est crucial, c'est ce qui permet la renaissance », conclut Sana Yazigi, qui espère pouvoir doubler l'équipe de The Creative Memory d'ici à l'année prochaine.

 

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