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Liban - Conférence

Où en est-on des droits de l’homme, 800 ans après la Magna Carta ?

Beyrouth a célébré jeudi, lors d'un débat à la Maison de l'avocat, la célèbre charte arrachée par les barons anglais au roi Jean sans Terre en 1215, qui a inspiré de multiples Constitutions et la Charte des droits de l'homme.

Sur la tribune, de gauche à droite : l’avocat Joe Karam, modérateur du débat, Tom Fletcher, Georges Jreige, Naji Dahdah et Akram Azoury.

C'était le 15 juin 1215 : le baronnage anglais devait entreprendre une démarche qui mettrait, pour la première fois, des limites au pouvoir absolu du roi Jean sans Terre et garantirait les droits de tout un chacun d'avoir accès à la justice. La « Magna Carta », ou Grande Charte, composée de 63 articles, est communément considérée comme l'un des documents juridiques les plus importants pour le développement de la démocratie moderne. Huit cents ans plus tard, presque jour pour jour, une conférence a été organisée par l'ordre des avocats de Beyrouth, en collaboration avec l'ambassade de Grande-Bretagne, le jeudi 18 juin, à la Maison de l'avocat. Des questions portant sur l'héritage de la Magna Carta et la mise en application des principes des droits humains par la justice libanaise ont été débattues.
S'appuyant sur des passages du texte même de la charte, le bâtonnier Georges Jreige s'est attardé sur le tournant qu'a représenté la signature de ce document, qui a mis des limites au pouvoir d'un roi et instauré des principes en faveur des libertés et contre la corruption, en plein Moyen Âge. Il s'est demandé s'il ne fallait pas une nouvelle Magna Carta pour renforcer les libertés publiques au Liban et trouver un remède à une justice souvent boiteuse et à un système devenu anticonstitutionnel, ne respectant ni le pacte national ni les institutions, ce que prouve l'absence d'un président de la République. Nous voulons un État moderne, à commencer par l'élection d'un président, a-t-il dit.

C'est non seulement à l'importance de la Magna Carta dans l'histoire de Grande-Bretagne et dans l'inconscient collectif de son peuple, mais aussi à l'histoire de Beyrouth, ancien centre d'enseignement du droit de l'empire romain au VIe siècle, qu'a fait référence Tom Fletcher, ambassadeur de Grande-Bretagne. M. Fletcher a évoqué des aspects du système libanais qui devraient être améliorés afin de renouer avec le passé glorieux de la capitale et avec le rôle qu'on s'attendrait à la voir jouer, s'attardant plus particulièrement sur la pratique de la torture qui se poursuit dans les centres de détention, et le traitement réservé aux employées de maison étrangères, qui n'ont souvent pas accès à leurs droits. Sur un autre plan, il s'est demandé ce que serait une Magna Carta d'aujourd'hui à l'heure du numérique, à une époque où il faut trouver un fragile équilibre entre préservation des libertés publiques et sécurité.


(Lire aussi : En l'absence d'une loi réglementant le travail domestique, la SG réduit les libertés des employées de maison étrangères)


Le juge Naji Dahdah a axé son intervention sur l'application des principes des droits de l'homme dans la justice libanaise, sachant que la Constitution de ce pays fait partie de celles inspirées par la Magna Carta comme par des conventions internationales. Il a cependant noté des lacunes dans la loi qui empêchent souvent le juge d'appliquer au plus haut point ces principes dans ses décisions. Il a préconisé d'identifier les points vagues dans la loi afin que les juges puissent les interpréter à la lumière des traités en relation avec les droits de l'homme, signés par le Liban. Le juge a cependant souligné les grands progrès réalisés ces dernières années dans ce domaine.

Une arme aux mains des juges
Pour sa part, l'avocat Akram Azoury a cité des pactes bien plus récents qui ont repris les principes de la Magna Carta, tel le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en 1966, leur donnant une force exécutive. Parmi les principes qu'il a cités : ne jamais arrêter une personne ou l'emprisonner sans respecter des mesures prévues par la loi, faire en sorte qu'un suspect comparaisse rapidement devant un juge ou une autorité compétente, reconnaître que nous sommes tous égaux devant la justice... L'avocat a estimé que la justice au Liban est globalement un pouvoir autonome, suivant les textes qui la régissent, à l'exception de trois points : la nomination par le pouvoir exécutif de la majorité des membres du Conseil supérieur de la magistrature (la plupart devraient être élus selon lui), le rôle du ministre de la Justice dans les nominations judiciaires et, enfin, le fait de muter les juges sans leur consentement. Concernant le rôle des juges dans l'application du Pacte international, Me Azoury a souligné que ceux-ci ont une arme réelle en main, qui leur est fournie par le code de procédure pénale : en cas de contradiction entre le texte du pacte et les lois nationales, le juge se doit d'appliquer le texte international.

Enfin, c'est de la lutte menée par la société civile en faveur des droits de l'homme qu'a parlé Darine el-Hajj, juriste de formation et militante. Elle a dégagé plusieurs idées de la Magna Carta : selon elle, l'histoire de la signature de ce document prouve que toutes les catégories du peuple doivent être engagées dans l'application des principes des droits de l'homme. L'influence de ce document, qui s'est étendue sur le monde entier et sur une période de 800 ans, montre que ces principes sont absolus et non relatifs, a-t-elle ajouté. Enfin, elle en a conclu que toute charte en faveur des droits doit émaner de la volonté d'un peuple, sinon elle risque de demeurer lettre morte. Elle a parlé enfin de la société civile au Liban, des hauts et bas de sa relation avec les autorités, des défis qui lui font face (manque de ressources, difficulté d'initier des changements dans la société, absence d'un cadre législatif pour protéger les militants), et des quelques progrès récents.


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