C'est un véritable sursaut patriotique qui a conduit hier 28 députés chrétiens au siège patriarcal maronite à Bkerké, incontournable instance nationale de recours aux heures graves de la vie du pays.
Et c'est avec la solennité d'un véritable homme d'État, doublé d'un patriote sans artifice, que le Premier ministre Tammam Salam s'est adressé aux Libanais, dans un message diffusé sur toutes les chaînes, mettant en garde contre la poursuite du blocage de l'élection présidentielle ; et contre sa banalisation dans les esprits.
Le sursaut des députés devrait, normalement, leur faire prendre conscience de leurs propres défaillances dans l'interprétation de la Constitution. En effet, c'est l'interprétation restrictive de l'article 49 de la Loi fondamentale, par tous les blocs parlementaires, qui semble à l'origine du blocage. Réunis au sein du bureau de la Chambre, les députés du 8 et du 14 Mars avaient alors, pour des motifs différents, mais avec la même méfiance viscérale qu'ils nourrisent les uns pour les autres, choisi de considérer que le quorum des deux tiers des membres de la Chambre des députés serait requis pour toute élection présidentielle.
Or l'article 49, qui prévoit que le quorum des deux tiers est nécessaire au premier tour de scrutin, ne prévoit rien pour les autres tours, de sorte qu'il est légitime de penser que le quorum, pour ceux-ci, est celui que toute séance parlementaire requiert, à savoir la majorité absolue, soit 65 députés. C'est d'autant plus plausible que le président de la République est lui-même éligible, après le premier tour, à la majorité absolue. Tout se passe comme si, entre le consensus et la lettre de la Constitution, les députés avaient eu peur, et avaient choisi le consensus.
La réalisation de l'énorme erreur d'interprétation ou de calcul qu'ils ont faite devrait normalement mener les députés chrétiens du 14 Mars, ainsi que leurs collègues du bloc Joumblatt, à considérer qu'ils sont désormais au second tour de scrutin, que la majorité qualifiée n'est plus nécessaire, et que la session électorale est ouverte et permanente, jusqu'à élection d'un président.
C'est en tout cas cette direction qu'ils semblent vouloir prendre, sachant qu'un grand obstacle nommé Nabih Berry, pour ne citer que lui, se dresse devant eux.
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Victoire morale pour Raï
Le sursaut contre la forfaiture des députés chrétiens du bloc de Michel Aoun est en tout cas une immense victoire morale pour le chef de l'Église maronite, qui se bat depuis le premier jour de la vacance présidentielle, en mai 2014, contre le blocage artificiel et de mauvaise volonté de l'élection présidentielle.
Le patriarche Raï a même proposé depuis le printemps dernier que la Chambre siège sans discontinuer, et que des tours de scrutin successifs soient organisés jusqu'à l'élection d'un nouveau président.
Par ailleurs, il est possible d'observer une légère évolution de Bkerké en faveur d'une nouvelle ligne constitutionnelle moins restrictive que celle que le siège patriarcal maronite avait traditionnellement observée depuis toujours, dans le souci que le chef de l'État maronite jouisse du plus grand appui politique possible. Certes, dans une mise au point, Bkerké a tenu à affirmer que l'idée d'un quorum à la majorité absolue n'est pas venue du siège patriarcal, mais des députés.
À sa lecture, certains ont sauté à la conclusion que le patriarche Raï reste attaché au quorum des deux tiers pour l'élection d'un président ; qu'il préfère une majorité qualifiée à une majorité simple. Or ce n'est pas ce qu'affirme le communiqué, puisque selon le texte publié, le siège patriarcal déclare se soumettre à l'avance à toute décision que les députés prendront à ce sujet. Une façon comme une autre de dire que cette question n'est pas du ressort de Bkerké, mais du Parlement.
Les observateurs auront par ailleurs noté facilement où vont les préférences du patriarche Raï, puisqu'à un moment, il a clairement désigné les 42 députés qui bloquent les séances parlementaires, sans préciser leur couleur politique.
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Victoire sur nos peurs
Dans cette situation de pourrissement politique, il est plus que méritoire que certaines institutions continuent de fonctionner et sauvent l'honneur. C'est le cas en particulier du Conseil supérieur de la magistrature dont le mandat vient à expiration à la mi-juin, et dont le renouvellement est tributaire de la désignation de cinq de ses membres par le Conseil des ministres. Sera-t-il la prochaine victime du blocage politique ? s'interrogent les observateurs.
Ce serait d'autant plus dommage que cette instance met les bouchées doubles pour clôturer aussi rapidement que possible le dossier des islamistes arrêtés en 2007, et dont un certain nombre ont heureusement été remis en liberté hier, soit pour non-lieu, soit pour avoir purgé la peine qu'ils encouraient. Une victoire pour la justice, à n'en pas douter. Et une victoire sur nos peurs, à l'heure où, dans le Qalamoun syrien, des Libanais meurent pour que vive le Croissant persan, sachant que la République islamique d'Iran a vu le jour bien avant que l'État islamique ne balaie les frontières dessinées par l'accord Sykes-Picot.
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commentaires (6)
Les deux tiers au premier tour, d'accord, mais au second, la moitié de la Chambre des députés + 1 doit être appliquée impérativement. C'est ainsi dans tous les pays du monde sauf en Corée du Nord et au Liban du tandem CPL-Hezbollah.
Un Libanais
15 h 08, le 27 mai 2015