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Culture - Un an sans président de la République

Douze variations autour d’un fauteuil vide

Ils sont photographes, peintres, musiciens, comédiens, écrivains, architectes. Douze artistes pour douze mois sans président. Douze Libanais, avant tout, aux points de vue divergents à propos d'une vacance qui pèse lourd et s'éternise. Alors que certains crient au scandale, d'autres affirment qu'il s'agit là du dernier de leurs soucis et d'autres, encore, estiment que le pourrissement politico-économico-social restera le même ou ira crescendo. Entre révoltes, espoirs ou défaitisme, autant de prises de parole que les députés auraient intérêt à considérer, un an après le départ de Michel Sleiman.

« Ni envie ni besoin d'un président »

Zeid Hamdan (musicien, chanteur) : « Les Libanais n'ont ni envie ni besoin d'un président. Dans l'ensemble, ils ont abandonné tout espoir d'être entendus ou représentés, ils s'en remettent tous à Dieu (Tekkel ala Allah). Je n'ai connu, dans ma vie, que l'instabilité : depuis que je suis né, les présidents qui se succèdent ne me représentent en rien, ils ont été choisis par Damas. Cela m'oblige donc à m'adresser aux gens sans aucune considération territoriale. Je déteste les drapeaux et les passeports, c'est la plus grande escroquerie créée par les hommes. La vacance présidentielle libanaise c'est donc un grain de poussière dans l'univers de mes préoccupations. »

 

« Un karakoz ? Plutôt le vide ! »


Rauf Rifaï (peintre) : « Je préfère qu'il y ait un véritable vide, plutôt qu'un "karakoz" (NDLR : bouffon, personnage-clé de l'œuvre picturale de l'artiste) à la tête de l'État libanais. Je ne veux pas d'une marionnette télécommandée par l'étranger ou d'un jouet incapable de gouverner. Je rêve d'un président iconique, d'un héros capable d'amener un véritable changement au Liban. Quelqu'un qui mette de côté la religion dans son exercice du pouvoir, qui amène la laïcité et qui construise le Liban de demain. »

« Un vide vicié »

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Omar Abi Azar – compagnie Zoukak (théâtre) : « Pour nous, cela n'a jamais été la vacance présidentielle qui posait problème, mais plutôt la vacance idéologique de ce poste-là. Le seul souci des politiciens est de perpétuer la crise et la corruption en toute "obscénité". Notre travail, dans ces conditions, est forcément en marge de cette absurdité, mais nous devons la questionner afin de combler ce vide qui pourrit notre pays. »


« La guerre des clans »

Nidal Achkar (comédienne, metteure en scène et fondatrice du théâtre al-Madina) : « Je suis triste, mais pas surprise, par cette vacance. Le système politique confessionnel libanais a créé des clans, creusé ainsi les différences, au lieu de renforcer les liens de solidarité entre les citoyens. La non-élection d'un président de la République n'est que le sommet visible de l'iceberg. »

 

« L'espoir et la foi »

Magida el-Roumi (chanteuse) : « Le Liban s'effondre sous le poids de ses fardeaux. Le pays du Cèdre souffre avec ceux qui luttent pour la liberté. Sang, larmes et blessures cachent son vrai visage rayonnant d'autrefois. Il a perdu les traits d'un pays souverain, l'absence d'un président en est l'une des preuves. Oui, je n'ai pas peur pour le Liban. Oui, je garde espoir. Oui ! Cette terre sainte appartient à Dieu et à toute personne, de toute religion, digne de tout respect. Nous sommes, chrétiens et musulmans, les enfants de cet Orient. »

 

 

« C'est la même désillusion »

Youssef Tohmé (architecte) : « Cela fait longtemps que je suis très déçu par toute la classe politique, incapable de discuter d'une vision ou d'un projet, sauf quand il s'agit d'assouvir ses intérêts personnels. J'essaie de ne pas lire ou regarder les informations politiques, car, à chaque fois c'est la même désillusion. C'est l'énergie et la volonté des Libanais à survivre et à vivre qui m'intéressent et je tente de me concentrer là-dessus. Président ou pas, cela m'est égal, car il ne me représentera pas de toute façon. »

 

 

« Vue sur le bunker du vrai président »

 Patrick Baz (photographe et photojournaliste), écrivait sur sa page Facebook, peu de temps après la requête de L'Orient-Le Jour, les propos suivants : « M'exprimer sur la vacance présidentielle ? Je n'avais rien à dire jusqu'à ce matin où j'ai réalisé, qu'en fait, le Liban avait un président de facto depuis plusieurs années déjà. Pas maronite, certes, mais ce président-là décide à lui tout seul du sort du pays et ses discours à la nation sont suivis par toutes les communautés. Il envahit un pays voisin sans demander l'avis du Parlement, sa propre "garde républicaine" joue les gardes-frontières, car il considère que l'armée nationale en est incapable, et du fond de son bunker, il appelle à la mobilisation générale. Alors que les politiciens maronites se disputent un séjour dans un palais avec vue sur le bunker du vrai président. »

 

 

« Marginalisés, jusqu'au jour où... »

Akram Zaatari (réalisateur et photographe) : « Tant que le pays restera divisé comme il l'est aujourd'hui, nous n'aurons jamais un président qui représente la majorité des Libanais. Le Liban est un pays marginalisé, un brin minuscule au sein d'une équation régionale gigantesque. Il faudrait un pouvoir indépendant de l'extérieur, un pouvoir qui agisse pour le bien du pays. »

 

 

« Notre atout ? La diversité »

Zena el-Khalil (artiste et écrivaine) : « La situation me désole. Rien, ou presque, n'a changé cette année, malheureusement. Mon plus grand espoir est que nos politiciens travaillent à la construction d'une structure appropriée pour notre État. Nous avons encore à capitaliser sur notre atout le plus puissant qui est notre diversité. Dans l'une de mes dernières œuvres, j'utilisais des milliers de pins pour mes collages, jamais de colle. À tout moment on pouvait démonter et réassembler, pour raconter une histoire différente. Tout est subjectif au Liban : le vainqueur écrit sa propre version des événements. »

 

 

« La musique ? Un devoir national ! »

Walid Moussalem (musicien et directeur du Conservatoire national supérieur de musique) : « Nous vivons une situation grave et anormale. Se sentir en sécurité est le premier des besoins de tout homme. Or, avec ces trois institutions qui n'assument pas leurs fonctions et leurs responsabilités, les Libanais ne se sentent pas en sécurité. Le Conservatoire, et plus généralement les musiciens, doivent constituer un espace de liberté et de salut, dans le quotidien sombre des Libanais. Le poids qui pèse sur les épaules des artistes est plus important qu'auparavant. Nous avons un devoir de création, nous devons absolument proposer des moments de joie aux spectateurs. Que la culture reste une oasis de paix dans ce climat général lourd. »

 

« Wadda3a Istakbala »

Zeina Daccache (productrice, réalisatrice) : « Je ne sais pas si c'est de la mauvaise humeur (due à mes interminables démarches administratives dans les intendances pénitentiaires) ou du sarcasme... À chaque fois que je regardais les informations, je me demandais comment les journaux télévisés allaient réussir à combler le vide de "wadda3a istakbala"... À ma grande surprise, les nouvelles ont survécu... Les téléspectateurs ont survécu... Les télécommandes en sont... détendues. »

 

« La disparition, à petit feu »

Christine Tohmé (fondatrice et directrice de l'Association libanaise pour les arts plastiques, Ashkal Alwan) : « Je crois que notre impuissance à élire un président de la République démontre clairement l'échec de notre système politique. C'est aussi un indicateur de l'effondrement de l'État libanais et de ses institutions. C'est, pour moi, une source de honte et d'avilissement car nous n'arrivons pas, en tant que citoyens, à ressentir une appartenance à un État qui se respecte. Nous vivons dans une peur constante d'un retour à la guerre civile, à un État de non-loi, à la perte de notre vie politique, sociale, économique et culturelle. Notre république souffre d'un grand vice, en dépit d'un texte constitutionnel comportant les éléments nécessaires à la création d'un système démocratique. La seule explication plausible à toutes ces crises politiques est qu'il existe une mutinerie à l'encontre de la Constitution et du système démocratique. Dans des conditions pareilles, il n'y a plus de vie normale, l'économie se détériore, la situation sécuritaire se délite, les clivages deviennent plus aigus. Notre pays perd son dynamisme, devient isolé et perd son attrait aux yeux des touristes et investisseurs. La production artistique subit aussi les conséquences de cette situation et se ralentit, les manifestations culturelles et artistiques disparaissent peu à peu. »

 

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« Ni envie ni besoin d'un président »

Zeid Hamdan (musicien, chanteur) : « Les Libanais n'ont ni envie ni besoin d'un président. Dans l'ensemble, ils ont abandonné tout espoir d'être entendus ou représentés, ils s'en remettent tous à Dieu (Tekkel ala Allah). Je n'ai connu, dans ma vie, que l'instabilité : depuis que je suis né, les présidents qui se succèdent ne me...

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