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Anjar : née du courage de quelques milliers d'Arméniens

Deuxième ville arménienne du Liban, après Bourj Hammoud, Anjar est née du courage de quelques milliers de réfugiés arméniens ayant fui le Sandjak d'Alexandrette.

À la frontière libano-syrienne, non loin de Masnaa, une localité a vu le jour il y a soixante-seize ans. Exclusivement arménienne, Anjar est née avec l'arrivée au Liban des réfugiés de Jabal Moussa, 5 125 personnes qui ont fui, en juillet 1939, leurs villages non loin d'Alexandrette.


1 205 familles en tout, originaires de Khodr Bek, de Wakf, de Yougoun Oulouk, de Kabboussié, de Hajji Hababli, de Betiass, ont construit une cité qui compte actuellement une dizaine de milliers d'habitants. Il a fallu aux habitants des six villages arméniens de Jabal Moussa trois mois pour arriver à destination. Ils ont passé quarante jours à Rass el-Bassit, en Syrie. Ils se sont rendus ensuite en bateau à Tripoli pour prendre le train vers Rayak. C'est à pied ou en camion que les réfugiés arméniens sont arrivés à Anjar le 14 septembre 1939, fête de la Sainte-Croix.


Sur l'unique site sablonneux de la région déserte et marécageuse, ils ont dressé des tentes. La première servira d'église, la deuxième fera office d'école et les autres seront transformées en logements.
Victimes des épidémies, notamment de la malaria, les Arméniens de Anjar n'ont jamais perdu courage. Arrivés à destination, ils entament la construction des « cabanes françaises ». Une chambre de seize mètres carrés (4 mètres par 4 mètres) entourée d'un jardin de 400 mètres carrés fera office de foyer durant des années. Ils parviennent à transformer le désert en terrain agricole. Ils construisent des églises et des écoles... Anjar est aujourd'hui une ville bien vivante. Particulière, différente de toutes les localités agricoles de la Békaa. Dans cette zone inondée de soleil, les couleurs de la nature sont plus fraîches, les rues propres et éclairées se coupent à angles droits, dans les maisons, il y a des instruments de musique, des ordinateurs...

 

(Retrouvez notre supplément spécial centenaire du génocide arménien, "De la douleur à la renaissance", aujourd'hui vendredi avec L'Orient-Le Jour, dans les kiosques au Liban)


C'est le gouvernement français qui a acquis les terrains pour eux pour la somme de 415 mille francs. Une part non négligeable de cet argent a été octroyée par de riches Arméniens. Les habitants des six villages de Jabal Moussa ont été contraints de quitter leur terre natale cédée par la France à la Turquie. À l'origine, Anjar n'était qu'un site marécageux, jonché de ronces.


Selon des documents datant de 1928, la ville que Anjar deviendra était formée de deux biens fonciers de 18 kilomètres carrés, situés à 900 mètres d'altitude, appartenant à Ahmad Fahmi pacha et cédés en héritage à Rouchdi bey Fahmi et sa mère Aïcha. Quand le gouvernement français acquiert les deux biens fonciers, ils seront divisés entre les 1 205 familles de réfugiés venues de Jabal Moussa. Ainsi, chaque cabane française de seize mètres carrés sera-t-elle construite sur un lopin de terre de 400 mètres carrés. En février 1940, les réfugiés auront droit également à des terrains agricoles, irrigués et non irrigués.


Non seulement la France a supervisé l'opération de lotissement des terrains à l'intention des réfugiés, mais elle a, de plus, distribué 25 kilos de farine à chaque personne et versé à chaque famille 10 piastres par enfant. La construction des cabanes a commencé malgré l'hiver glacial et malgré la couche de neige de quarante centimètres qui recouvrait le sol.

 

(Karékine II à « L'Orient-Le Jour » : L'intention génocidaire a commencé au XIXe siècle)


Quelques années plus tard, des actes de propriété sont octroyés aux habitants. Avec l'indépendance du pays en 1943, les terrains qui appartenaient à la France sont récupérés par le jeune État libanais. C'est pour cette raison que Anjar est l'une des rares localités libanaises qui présentent des biens publics appartenant à l'État libanais et non à la municipalité de la localité. En 1956, en 1963 et en 1967, l'État libanais délivre encore des actes de propriété aux personnes qui ont habité Anjar depuis 1939. Jusqu'à présent, dans la localité, chaque terrain peut être enregistré, conformément à la loi, au nom « de tout réfugié arménien du Sandjak d'Alexandrette qui prouve son droit de propriété sur le terrain en question ».

 

Les cabanes françaises
Construites quelques mois après l'arrivée à Anjar des réfugiés arméniens, les cabanes françaises n'ont jusqu'à présent pas été détruites. Et elles ne le seront jamais. C'est le cas également des petites fontaines édifiées dans chaque quartier de la localité et qui ont servi jusqu'aux années cinquante à alimenter les réfugiés en eau. Pour les habitants de Anjar, ces cabanes restent le témoin visible du courage et de l'endurance des Arméniens de Jabal Moussa.


Aujourd'hui, plus aucune famille n'habite cette chambre française, pourvue initialement d'un WC, construit un peu plus loin, et entourée d'un terrain de 400 mètres carrés. Certains ont bâti des villas à proximité de la cabane, d'autres ont intégré cette chambre à une partie de la maison. Les cabanes ont également été transformées en fonds de commerce. Certains Arméniens, qui ont quitté Anjar pour s'établir à Zahlé ou Beyrouth, ont préservé leur premier bien immobilier acquis au Liban. Ils l'utilisent en week-end pour les rencontres entre famille et amis.


Comment a-t-on réussi à vivre dans de telles cabanes, où toute une famille était contrainte de cuisiner, de manger, de dormir, de respirer dans un espace réduit ? Durant l'hiver, les habitants allumaient un feu à l'intérieur de la cabane ; le soir, on le recouvrait de cendres et on y installait un lit qui était formé d'un matelas assez fin, capable de retenir la chaleur.
Parfois, douze personnes logeaient dans une même cabane. Il y avait une chambre, certes, mais aussi plusieurs coins, l'un était consacré à la cuisine, l'autre aux rangements... Nombre d'habitants de la localité avaient prévu, pour faire de la place, une mezzanine en bois à l'intérieur de la cabane.

 

 

Un repas en communauté tous les 14 septembre


Sur l'artère principale de Anjar, à quelques kilomètres de l'entrée de la localité, se dresse, toute blanche, une église à l'architecture typiquement arménienne. La fresque qui décore son autel et qui présente une Vierge à l'enfant a été peinte par Paul Guiragossian. « Sur la carte du Liban, Anjar a la forme d'un aigle, l'église est la tête de l'aigle », soulignent les Arméniens de Anjar, une ville où trois églises, selon les trois rites des habitants, orthodoxe, catholique et protestant, ont été construites. Chaque année, à la fête de la Sainte-Croix, date anniversaire de l'arrivée des Arméniens à Anjar, les habitants se rassemblent sur la place de l'église orthodoxe pour commémorer l'événement. Beaucoup d'Arméniens originaires d'autres régions libanaises se rendent également dans cette localité de la Békaa pour participer à la cérémonie. Il y a une quinzaine d'années, sur la place de l'église, deux grandes cheminées en forme de croix ont été construites. Le feu y est allumé uniquement à l'occasion du 14-Septembre. C'est ici que les habitants de Anjar égorgent les moutons et préparent une « hérissé » qui cuira toute une nuit durant. Le matin, habitants et hôtes partagent le repas, symbole d'abondance et de communion. À la place de l'église également, un monument a été érigé en mémoire des 18 martyrs de Jabal Moussa, dont les ossements sont préservés à Anjar. D'autres objets chers aux Arméniens ont été sauvegardés dans la localité, notamment un drapeau portant une croix et datant de 1915. « C'est cette croix qui a sauvé les Arméniens de Jabal Moussa », affirment les habitants. Au cours de tout leur périple, cette ancienne banderole les a accompagnés.

 

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