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Liban - Rencontres d’Averroès

Comment combattre une violence qui « nous est inhérente » ?

De gauche à droite : Samir Frangié, Nizar Saghiyé et Roger Assaf, débattant de l’origine de la violence dans le monde arabe et des moyens de l’affronter.

Dire « Je suis Averroès » aujourd'hui, c'est mettre la raison au défi d'une redéfinition des valeurs universelles, plus affinée face à la montée des extrêmes, et donc plus audacieuse. Les rencontres annuelles d'Averroès (ou les Moultaka Ibn Ruchd), initiées en 2012 à Beyrouth, à partir des rencontres d'Averroès de Marseille, réunissent des intellectuels, sociologues, politologues, artistes et journalistes du monde arabe, pour une réflexion interculturelle autour d'un fait de société.

Le décor sobre de la bibliothèque municipale de Bachoura a encadré des réflexions sur la montée des extrêmes dans le monde arabe, aboutissant à l'inévitable constat de la mort d'Ibn Ruchd.
Modéré par l'avocat Nizar Saghiyé, avec la participation de l'ancien député Samir Frangié et du metteur en scène et homme de théâtre, Roger Assaf, le débat a néanmoins tenté de définir une méthode propice à relancer le printemps arabe.
« Faut-il ressusciter Averroès, ou encourager l'émergence de nouveaux penseurs à la mesure de notre monde? » Les réponses fournies ont concilié les deux options.

Un constat nécessaire a été avancé au préalable par Samir Frangié. « Le printemps arabe n'a pas donné ce qui était attendu. Dirigé contre la dictature, il a basculé dans un conflit armé, qui a revêtu de surcroît un caractère confessionnel. Le conflit syrien a été exporté à la région, et le monde arabe semble traverser la guerre de Trente ans en Europe, qui s'était achevée par le traité louche de Westphalie », a relevé le politologue. Mais le schéma régional est encore plus « obscur » que le XVIIe siècle européen. En effet, au « conflit civil confessionnel, ethnique et communautaire, a pris part un camp qui estime que le retour à l'époque des califats est la solution ».

C'est ainsi, une dangereuse remontée de l'histoire qui a été initiée, et qui ne semble pas près de s'achever. « Nous témoignons aujourd'hui de la mort d'Averroès, puisque nous nous tournons désormais vers le passé lointain afin d'y puiser les éléments de justification de notre violence actuelle », a déclaré Samir Frangié. Il a même décrit « une course vers le point le plus éloigné, le plus profond et le plus violent du passé ». Ainsi, « l'Iran aspire à l'empire, les Turcs à l'époque ottomane, et les Israéliens à l'État juif », ajoute-t-il.
Ce « tournant » montre que non seulement la violence a surpassé la volonté de changement, mais elle est surtout « inhérente à ceux qui la pratiquent. Elle est une émanation de nous, et non le résultat d'une stratégie ou d'une planification extérieure ».
Preuve en est que « l'État islamique est capable aujourd'hui, en perpétrant un attentat terroriste, d'influencer l'équilibre intérieur européen et d'accroître la popularité des extrêmes politiques ».
Cette violence, qui obéit à « une logique indomptable », ne peut être « contenue par les seuls moyens sécuritaires », a souligné l'auteur de l'essai Voyage au bout de la violence.

Le modèle libanais
Un retour à soi s'impose, sur la base des préceptes du vivre-ensemble, dont le Liban serait, selon lui, le modèle. « Nous sommes le seul pays où non seulement chrétiens et musulmans se partagent le pouvoir, mais également sunnites et chiites », a-t-il relevé, estimant que « l'accord de Taëf a fondé la légitimité de l'État sur la base du vivre-ensemble. Et ce lien ainsi établi n'a pas d'équivalent dans le monde ». Revenant sur la déclaration de l'ancien Premier ministre et opposant soudanais Sadek al-Mahdi, qui avait jugé nécessaire « un accord de Taëf au Soudan », Samir Frangié a estimé que des accords équivalents à Taëf s'imposent tout autant en Syrie, à Bahreïn, au Yémen et en Irak. « Il est de notre devoir de véhiculer ce modèle, d'abord en surmontant le conflit régional », a-t-il souligné.

Même si la perception du Liban comme modèle a été critiquée, notamment par Nizar Saghiyé, qui a fait remarquer que « le clientélisme politique est un vice du système qu'il faut abattre, avant de pouvoir parler de modèle libanais », et même si certaines personnes dans l'assistance, confondant vivre-ensemble et coexistence, ont jugé l'approche de l'ancien député quelque peu utopique, il reste que la perception de l'autre dans toute son humanité, « et ses infinies appartenances et identités » sous-tend les plaidoyers pour la liberté, comme celui de Roger Assaf, autour de la même table ronde. Traitant des rapports entre « la liberté d'expression et l'expression libre », l'homme de théâtre a posé une problématique essentielle : « Cette liberté que nous réclamons fait-elle partie de la lutte pour le pouvoir ou entre les pouvoirs en place, ou bien est-elle au cœur d'un projet démocratique dont le dessein est d'amener tous les individus à s'exprimer et connaître les idées des autres ? »

Même si l'idéal de liberté est terni par « une mentalité arabe majoritairement favorable à l'autorité du censeur », et, même si, au Liban spécifiquement, la liberté est desservie par « la contradiction des repères », il est une constante qui doit continuer d'inspirer les esprits réformateurs : « La liberté d'expression, oui ! Mais pour exprimer la liberté. » Autrement dit, « la liberté doit pouvoir s'exprimer indépendamment de son institutionnalisation » et son expression doit servir la liberté.
Toutefois, « ne vous attendez pas à observer de sitôt une maturation d'une pensée nationale émancipée et démocratique dans le monde arabe », a-t-il conclu.

 

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CERTES PAS EN CONFIANT NOTRE DESTINÉE AU SAINT ESPRIT !

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 19, le 04 avril 2015

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Commentaires (2)

  • CERTES PAS EN CONFIANT NOTRE DESTINÉE AU SAINT ESPRIT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 19, le 04 avril 2015

  • L’intégrisme, la violence et le fanatisme sont des phénomènes équitablement répartis entre les divers sunnitiques, chïïtiques et chréti(e)ns de ces kottors-patelins. Seule la manière dont ils s’expriment change entre eux. Les études menées par plusieurs experts et spécialistes patentés originaires de ce soi-disant croissant fertile sur leur hypocrisie et sournoiserie commune, en n’abordant never évidemment la violence faite aux moult sunnitiques tout en systématiquement gonflant celle faite aux chrétiens et aux chïïtiques, tend à maintenir une dangereuse dichotomie entre eux, produisant l’image d’un chréti(e)n ou d’un chïïtique victime face à un sunnitique sectariste. Considérer ce simple sunnitique comme un épervier nomade, dont le "chréti(è)no-chïïtique" campagnard et rural serait l’éternelle victime, est de la pure fumisterie qui est due à un sentiment d'aversion pour les sunnitiques en général, ou à une doctrine professant l'infériorité du sunnitique puîné mahééék, par rapport bien sûr au chïïto-chréti(e)n lui par contre, simplement pâmé ; ya hassértéééh ! Moult chercheurs agrées-brevetés issus de ces steppes arides et désertées simili-exotiques, ont donc mené des recherches sur ce phénomène éhhh sous-développé, mais ont dû attendre des années avant qu’un éditeur "neutralisé" niais n’ose leurs travaux éditer ! Il est temps qu’ils recherchent une "Saine" coopération entre eux, ya harâm, ces loin d’être déjà évolués si simplets ; n’est-ce pas, yâ wâïyléééh ? !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 13, le 04 avril 2015

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