Costume sombre avec chemise blanche au col cassé, silhouette gracile, cheveux plaqués en frange rebelle sur le front, teint clair comme ces Anglais qui ignorent les brûlures du soleil et des doigts (projetés sur écrans de part et d'autre de la scène) qui courent sur l'ivoire des touches comme de grandes tarentules blanches en quête de proies, de repères et de liberté....
Oliver Poole, du haut de ses vingt-quatre ans, allure d'étudiant oxfordien, a du talent à en revendre, de l'excentricité et un goût accentué pour les facéties. Verbalement et surtout au clavier... Par conséquent, voilà un concert qui sort du rang, entre moments sérieux et pastiches à la manière Rachmaninov. Certes éblouissants, mais vidés de leur âme, avec un matraquage sans retenue qui frôle la frénésie...
Reflet d'une personnalité touchée par la grâce et le dévouement des œuvres caritatives et humanitaires entreprises avec cœur et générosité, la musique que cet artiste merveilleux distille presque avec violence à son auditoire est entre passion et accents éthérés (plutôt rares!), entre bravoure extrême et impudeur. Une palette de nuances et de contrastes saisissants. En toute netteté et brio. Sur fond de houle déchaînée et éruptive.
Changements et variations de tonalités perçus entre la gravité de cet Adagio de Mozart, interprété presque dans le noir, brusquement empreint d'une certaine tristesse et le romantisme échevelé de la Fantasiestucke de Schumann, somptueuse narration dédiée à un onirisme délirant (que Geliebte Clara adorait interpréter!).
«Sans le silence il n'y a pas de musique et sans la paix il n'y a pas d'harmonie», avait dit l'artiste en exergue de sa prestation.
Petite pause et reprise avec Stravinsky et sa poupée Petrouchka, transcrite au piano pour des pas de danse d'un ballet d'une décapante modernité. Âpre éloquence du clavier pour les «diaboliques cascades d'arpèges» – pour reprendre les termes d'Igor le magicien– enserrées dans des cadences vives, emportées, saccadées où la sève de l'esprit russe semble inépuisable dans son énergie, sa verve truculente et ses ressources de renaissance. Et plus que jamais volcanique sous les doigts d'un pianiste alerte et vif qui ne recule devant aucun effet de démonstration musculaire. Jusqu'au dernier accord, si rageusement plaqué que littéralement le piano a fumé... Avec une pellicule de poussière qui s'est échappée en l'air sous les spots. Avouons que c'est du jamais-vu!
Et voilà qu'arrive le clou de la soirée: les improvisations. Après un bref morceau de Rachmaninov, bien entendu brillamment interprété, comme pour donner le ton, le pianiste a une interaction amusante avec son public. Un jeu pur et simple. Allez, d'abord on présente la clef à chaque aile de la salle pour fredonner et le piano fait l'accompagnement. Cela donne un charmant charivari, peu convaincant il est vrai, mais qui ravit tout le monde, ou presque, les puristes exclus, cela va de soi...
On récolte ensuite auprès des festivaliers quelques titres phares tels Les variations de Goldberg de Bach, Le destin de Beethoven, Hit me baby one more time (chanson écrite par Max Martin et chantée par Britney Spears) et un Happy Birthday tout banal qu'on entonne d'habitude bardé de bougies et de bons
sentiments...
Et cela donne un déferlement infernal spectaculaire. Les lignes et les contours d'une mélodie se brouillent comme une tornade qui parasite un écran dès que les rafales de notes et les salves d'appogiatures à la Rachmaninov pleuvent comme des cordes. Giboulées torrentielles pour un pianiste qui ne perd pas le nord et, en plein orage et tempête, tape fort. Comme ces enfants candides au regard clair et au grand rire sonore qui désarment tout esprit pincé et chassent toute poussée rigoriste...
Culture - Festival al-Bustan
Oliver Poole, spectacle pour une entente avec le piano...
Un prénom d'un personnage de roman de Dickens pour un jeune pianiste british qui a le goût du spectacle et du « happening ». Prodige et prodigieux Oliver Poole ! Dès qu'il se met devant le clavier, la pénombre devient lumière et l'âme est twistée entre exaltation et coups de boutoir pour une humanité plus joyeuse, presque délurée...
OLJ / Par Edgar DAVIDIAN, le 23 février 2015 à 00h00