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Moyen Orient et Monde - Entretien

« Il y a aujourd’hui chez Sissi et Poutine une hostilité viscérale commune envers l’islamisme »

Pour analyser les enjeux de la visite d'État de Poutine au Caire, « L'Orient-Le Jour » a interrogé Karim Émile Bitar, directeur de recherche à l'Iris, spécialiste du Proche et du Moyen-Orient et des questions sociétales relatives au monde arabe.

Comment Poutine est-il perçu en Égypte ?
Le journal al-Ahram, très proche des autorités égyptiennes, a publié un long article hagiographique sobrement intitulé « Poutine, un héros de notre temps », accompagné de plusieurs photos où l'on voit Poutine torse nu, Poutine à la chasse, Poutine faisant du parapente, Poutine jouant au hockey, Poutine faisant du judo... Poutine est en effet très populaire chez les partisans de Sissi, qui pointent les similitudes entre les deux « hommes forts » : la virilité, la volonté de redresser la nation, de se poser en hommes providentiels et en remparts contre le « terrorisme ». On pourrait aussi trouver d'autres similitudes : l'autoritarisme débridé, l'obsession sécuritaire, la volonté de faire la chasse aux libéraux, aux athées et aux homosexuels, la domestication de tous les contre-pouvoirs, le Parlement, les médias, la justice...

 

À l'inverse d'Obama ?
La popularité de Poutine en Égypte est inversement proportionnelle à celle d'Obama, détesté par beaucoup d'Égyptiens qui prennent pour argent comptant la thèse selon laquelle l'Amérique aurait comploté avec les Frères musulmans. Il est ironique de voir des Égyptiens reprendre les théories du complot de Michelle Bachmann et de Fox News selon lesquelles Obama serait un militant secret du jihad et du califat. En réalité, l'objectif prioritaire des États-Unis est d'avoir un gouvernement égyptien disposé à coopérer avec eux et à préserver les intérêts stratégiques américains, que ce gouvernement soit dominé par les islamistes ou par les militaires. Force est de constater que ce pragmatisme et ce refus de s'engager totalement derrière l'un ou l'autre camp n'ont pas satisfait grand monde dans une Égypte extrêmement polarisée. Cela a été utile à Poutine qui profite aujourd'hui de l'antiaméricanisme ambiant pour reprendre pied au Moyen-Orient.

 

Quels sont les enjeux de la visite pour l'Égypte ?
Pour l'Égypte, cette visite est symboliquement importante pour montrer que Le Caire n'est pas entièrement dépendant des États-Unis, alors même que ces derniers continuent de lui verser chaque année 1,55 milliard de dollars dont 1,3 milliard qui vont directement à l'armée. Les enjeux commerciaux sont également significatifs puisque le niveau des échanges russo-égyptiens a augmenté de 80 % en 2014. Des négociations sont également en cours sur les ventes d'armes.

 

(Pour mémoire : Armes: la Russie et l'Egypte proches de conclure des contrats pour 3 milliards de dollars)

 

Et pour la Russie ?
La Russie espère vendre à l'Égypte des MIG 29 et des hélicoptères à hauteur de 3,5 milliards de dollars. Par ailleurs, la Russie souhaite négocier des accords de libre-échange entre l'Égypte et la zone économique eurasiatique, qui regroupe la Russie, le Belarus et le Kazakhstan. Poutine envisage également de créer une zone industrielle russe dans la région du nouveau canal de Suez. Avant même l'élection présidentielle qui a vu Sissi être plébiscité par 96 % des votants, Poutine lui avait apporté ouvertement son soutien. La Russie cherche en outre des soutiens sur la question ukrainienne, montrer qu'elle n'est pas isolée et élargir son influence à l'international. Poutine rêve aujourd'hui de remplacer la défunte « Internationale communiste » par une nouvelle « Internationale conservatrice » qui regrouperait les traditionalistes en matière religieuse et sociale et les partisans des nationalismes autoritaires et répressifs. Il existe de nombreuses passerelles et connivences idéologiques avec Bachar el-Assad, avec Sissi, et aussi avec les droites radicales et les mouvements nationalistes européens, Marine Le Pen, Viktor Orban et d'autres.

 

Les deux pays partagent-ils une vision commune de la lutte contre le terrorisme ?
Oui, la Russie a défendu sans état d'âme la répression en Égypte et fermé les yeux sur les massacres de la place Rabi'a el-Adawia. Poutine reste marqué par son expérience tchétchène, et estime que Bachar el-Assad en Syrie et Sissi en Égypte n'ont d'autres choix que de suivre son modèle et d'utiliser la manière forte contre les islamistes. Poutine craint surtout que l'islamisme radical ne s'étende jusqu'au Caucase, dans les républiques avoisinantes et en Russie même, qui compte 15 % de musulmans. Les deux hommes sont sur la même ligne donnant la priorité au « sécuritaire ».

 

Les Égyptiens ont choisi la Russie comme partenaire pour la construction de leur première centrale nucléaire. Est-ce un message fort adressé aux Américains et aux Français, alors que Sissi a été reçu en grande pompe à Paris ?
Le projet de centrale de Dabaa n'en est qu'au stade du mémorandum d'entente, il n'est pas certain qu'il ira à son terme, mais cela permet en effet aux Égyptiens d'envoyer des signaux aux Occidentaux. Sissi a été également reçu en grande pompe à Paris et applaudi à Davos. On est revenu à la situation qui prévalait avant les révolutions arabes et au nom de la stabilité, on ferme les yeux sur les atteintes aux droits de l'homme et sur l'écrasement des espoirs de liberté et de démocratie. Il semble y avoir une « préférence occidentale pour l'autoritarisme arabe », au nom de la guerre contre le terrorisme et du prisme sécuritaire. On ne veut pas regarder en face les conséquences à long terme de ce soutien aux autoritarismes et le caractère contre-productif de la « guerre au terrorisme ».

 

(Pour mémoire : Poutine carrément dithyrambique face à Sissi)

 

Qu'est-ce qui différencie la relation actuelle Égypte-Russie de celle qui prévalait du temps de Nasser ?
Tocqueville disait qu'« en politique, c'est presque toujours la communauté des haines qui fait le fond des amitiés ». Il y avait chez Nasser et Khrouchtchev une hostilité commune envers les États-Unis. Il y a aujourd'hui chez Sissi et Poutine une hostilité viscérale commune envers l'islamisme. La coopération russo-égyptienne a connu ses meilleurs jours dans les années 1950 et 1960. Le rapprochement entre Nasser et la Russie faisant pendant à la proximité américano-saoudienne. Ce que Malcolm Kerr avait appelé la « guerre froide arabe » entre Nasser et les pays du Golfe était une déclinaison de la guerre froide américano-soviétique. Mais après la mort de Nasser, l'Égypte a rejoint dans les années 1970 la sphère d'influence américaine.

 

Peut-il y avoir une remise en question de l'alliance entre l'Égypte et les États-Unis ?
L'Égypte d'aujourd'hui, par la force des choses, est solidement ancrée dans l'orbite géopolitique américaine, quelles que soient les récriminations des uns et des autres. Il est vrai que l''influence américaine en Égypte a considérablement diminué, pour des raisons liées aussi bien aux nouvelles circonstances géostratégiques qu'aux tergiversations américaines de ces dernières années et au manque de lisibilité de leur politique. Mais malgré cette confusion, l'Égypte ne va pas basculer en dehors de l'orbite américaine. Le flirt avec la Russie vise uniquement à faire monter les enchères. Sissi n'est pas Nasser et Poutine n'a pas vraiment les moyens de ses ambitions à l'international, notamment depuis la chute des prix du pétrole.

 

 

Comment Poutine est-il perçu en Égypte ?Le journal al-Ahram, très proche des autorités égyptiennes, a publié un long article hagiographique sobrement intitulé « Poutine, un héros de notre temps », accompagné de plusieurs photos où l'on voit Poutine torse nu, Poutine à la chasse, Poutine faisant du parapente, Poutine jouant au hockey, Poutine faisant du judo... Poutine est en effet...

commentaires (4)

POUTISSI... ET SISSI... SONT D'ACCORD... HARO SUR LES ISLAMISTES !

LA LIBRE EXPRESSION

15 h 21, le 11 février 2015

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • POUTISSI... ET SISSI... SONT D'ACCORD... HARO SUR LES ISLAMISTES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 21, le 11 février 2015

  • Rencontre au ras des pâquerettes de deux tyranneaux orientaux gnomes, nains et nabots !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 57, le 11 février 2015

  • Hier sur Arte , qu'on ne peut soupconner d'etre pro Hezb resistant , il etait etabli que l'ei est une creation binsaoud donc us et qu'aucune solution pour le vaincre ne pourra se faire sans la cooperation pleine et entiere de l'Iran NPR et de la Syrie du pdt elu Bashar . J'ai une question a poser , a supposer que la guerre est declaree en Ukraine , que les rebelles qui gagnent du terrain en ce moment se voient bombarde par kiev arme par l'occicon en riposte kiev bombarde Moscou , croyait vous que Moscou va rester les bras croises ? Et si donc Moscou raye kiev de la carte d'europe de l'est , les occicons ils font quoi ? ils attaquent Moscou ???? ya 3ammeh mettez du plomb dans vos cervelles rongees par la propagande sioniste ...

    FRIK-A-FRAK

    11 h 35, le 11 février 2015

  • L'article "hagiographique" d'al-Ahram, "Poutine, un héros de notre temps", ne pouvait évidemment pas mentionner, pour l'occasion, l'énorme responsabilité du président russe dans l'enfantement de Daech par la dictature de Damas, grâce à son aide illimitée et inconditionnelle à cette dictature. Poutine a aujourd'hui "une hostilité viscérale envers l'islamisme" le plus abject et le plus monstrueux à la naissance duquel il a énormément contribué.

    Halim Abou Chacra

    11 h 20, le 11 février 2015

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