Il ne s'agit que d'une première prise de contact. Un dégel, en langage diplomatique. Mais cette prise de contact revêt en soi une importance certaine du fait du lourd (très lourd, même...) contentieux qui oppose les deux parties.
La réunion de près de quatre heures qui a groupé hier soir à Aïn el-Tiné les représentants du courant du Futur et du Hezbollah a planté le décor, en quelque sorte, pour paver la voie au véritable dialogue qui devrait être lancé dans les tout prochains jours.
C'est sous l'égide du chef du législatif (et néanmoins leader du mouvement Amal), Nabih Berry, que cette séance préliminaire s'est tenue. La délégation du courant du Futur était présidée par M. Nader Hariri, chef de cabinet de l'ancien Premier ministre Saad Hariri, et comprenait le ministre Nouhad Machnouk et le député Samir Jisr. Quant à la délégation du Hezbollah, elle était présidée par Hussein Khalil, conseiller politique du secrétaire général du parti, et comprenait le ministre Hussein Hajj Hassan et le député Hassan Fadlallah.
En présence du ministre Ali Hassan Khalil (du mouvement Amal), les six délégués ont posé les jalons des discussions bilatérales appelées, en toute priorité, à amorcer une baisse de la tension sectaire sunnito-chiite, perceptible au niveau de la rue dans plus d'une région mixte, notamment dans la Békaa où l'État s'est abstenu de mettre en application le plan de sécurité qu'il avait planifié et qui est resté lettre morte, en dépit du fait qu'un plan sécuritaire semblable a été scrupuleusement appliqué à Tripoli, et au Liban-Nord en général, ce qui a contribué à attiser encore plus la tension entre les deux communautés.
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Le communiqué publié au terme des débats par le bureau de presse du président de la Chambre indique qu'au début de la réunion, M. Berry a évoqué « les dangers auxquels le Liban et la région sont confrontés dans le contexte présent », soulignant que de tels dangers imposent à « toutes les forces » de faire preuve d'un « sens élevé de responsabilité » et « d'assainir les relations internes afin de préserver le Liban, sa stabilité et sa paix civile, et de sauvegarder l'unité des rangs face aux dangers, notamment à l'ombre de l'escalade croissante dans la région ». Confirmant implicitement que l'objectif prioritaire de ce dialogue bilatéral est d'atténuer les tensions au niveau populaire, le communiqué indique que M. Berry a dénoncé explicitement « la crispation du discours confessionnel et sectaire » à l'échelle régionale.
Le communiqué précise en outre que les deux parties ont exprimé « leur souci et leur disposition à entamer un dialogue sérieux et responsable au sujet des différents problèmes, dans le cadre de la compréhension mutuelle à l'égard de la position de l'autre partie concernant les dossiers conflictuels ». « Les deux parties sont disposées à poursuivre ce dialogue de manière positive afin d'atténuer la crispation qui se répercute sur les rapports entre Libanais ». Le communiqué souligne aussi l'importance de « gérer les différends au sujet des problèmes conflictuels en ouvrant la voie à la concertation et à la coopération pour réactiver l'action des institutions et contribuer au règlement des problèmes qui entravent la normalisation de la vie politique ».
Dans le but évident d'éviter toute interprétation erronée qui pourrait être donnée à ce dialogue bilatéral, le communiqué précise que les participants à la réunion ont « mis l'accent sur le fait que ces rencontres ne visent pas à aboutir à un nouvel alignement politique sur la scène interne, de même qu'elles ne sont dirigées contre personne et ne visent pas à exercer une pression sur une quelconque force politique au sujet des échéances constitutionnelles » (allusion à peine voilée à la présidentielle et à la candidature du général Michel Aoun). « Ces rencontres, ajoute le communiqué dans ce cadre, constituent l'un des facteurs susceptibles de faciliter une entente entre les Libanais. »
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Ce texte confirme deux points essentiels : le souci prioritaire et explicite de faire baisser la tension sectaire sunnito-chiite ; et le refus d'inscrire ce dialogue dans le cadre d'un nouvel alignement politique. Concrètement, cela signifie que les « sujets qui fâchent » seront vraisemblablement évités au cours des prochaines séances de travail, à savoir, plus particulièrement, l'implication du Hezbollah dans les combats en Syrie et le sort de l'arsenal militaire du parti chiite pro-iranien. À cela s'ajoute la volonté affichée par les deux parties de ne pas se laisser entraîner dans le jeu des noms au niveau de la présidentielle afin de ne pas paraître imposer un choix musulman pour le règlement d'un dossier (la présidentielle) qui concerne principalement les chrétiens.
Ces « lignes rouges » posent toutes les limites du dialogue bilatéral qui s'amorce. Le leader des Forces libanaises Samir Geagea a conceptualisé ces limites dans une interview au quotidien saoudien al-Jazira en soulignant que le conflit entre le Hezbollah chiite et le courant du Futur sunnite ne revêt pas tant un aspect purement communautaire, mais il porte plutôt sur « la vision du Liban ». « L'enjeu, a précisé M. Geagea, n'est donc pas tant un rapprochement entre chiites et sunnites que la recherche d'un rapprochement entre deux projets politiques contradictoires. » Mais un dénominateur commun entre ces deux projets politiques aux antipodes l'un de l'autre est-il réellement concevable et possible à dégager à l'ombre de l'ancrage inconditionnel de l'une des parties à une puissance régionale aux visées hégémoniques évidentes ?
M. T.
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commentaires (8)
Il ne manquait plus que ces "ménénés(h)", pour casser encore plus les pieds de ces sunnites éhhh libanais !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 29, le 24 décembre 2014